Michoacán

N’avoir aucune attente à propos d’un endroit est le meilleur moyen de ne pas être déçu, voire d’être agréablement surpris. Nous savions deux choses du Michoacán : c’est le premier producteur mondial d’avocats et une destination hivernale populaire pour les papillons monarques. Nous avons découvert des paysages magnifiques et variés, une culture indigène bien ancrée et très ancienne, une gastronomie riche et subtile et surtout une hospitalité incroyable.

Dark waters

Le plus grand lac du Mexique est tellement pollué qu’il est fortement déconseillé de s’y baigner. Quelques pêcheurs et tout un écosystème naturel continuent pourtant d’essayer de survivre sur ses rives. En une cinquantaine de kilomètres seulement, nous avons traversé à la fois les communautés les plus riches et les plus pauvres que nous ayions vu au Mexique jusqu’ici. Étrange et embarrassant, et pourtant si beau.

À l’ouest du lac, le pueblo magico d’Ajijic est aujourd’hui une véritable colonie de retraités et télétravailleurs gringo. Comme souvent dans ce genre d’endroits, on croise aussi bien des riches cowboys arrogants qui ne parlent pas un mot d’espagnol que des artistes et ex-hippies. Richard et Diana, nos hôtes, font partie de cette deuxième catégorie. Enseignants globe-trotteurs à la retraite, ils ont travaillé dans des écoles américaines aux Etats-Unis, France, Maroc, Bulgarie, Equateur, République Dominicaine, Mexique… Après avoir terminé leurs carrières à Guadalajara, ils profitent d’une retraite de septuagénaires actifs et sportifs. Pour Richard, il n’est pas question de raccrocher le flambeau. Son métier d’enseignant était pour lui un moyen de contribuer à améliorer le monde par l’éducation. À plus de 70 ans, il s’est reconverti en podcasteur/instagrameur. Son objectif : parler des projets qui contribuent à impacter positivement la planète pour inspirer ses auditeurs à trouver des organisations proches de leurs affinités avec lesquelles s’engager (lien en bas de page).

À l’est du lac, la route se transforme en piste et nous traversons des villages enclavés et très pauvres. Dans la rue, de jeunes enfants jettent des cailloux aux chiens qui se battent pendant que des femmes se lavent les cheveux dans des bassines devant leur maison. Les activités économiques semblent être la culture de la chayotte, une plante proche de la pomme de terre, et la pêche.

Purepecha

La ville de Zamora est notre première étape dans l’état de Michoacán. Située dans la plaine à 1500m d’altitude, il y fait chaud. Ici on cultive principalement des baies (framboises et mûres) sous des tunnels en plastique. Nous rencontrons Lili, Nacho et Fernando, groupe de cyclistes qui préparent un voyage en Italie et nous hébergent pour la soirée. Le lendemain matin, ils nous accompagnent en direction de la meseta purepecha. La meseta est un plateau volcanique situé à une altitude moyenne de 2500m où vit la nation Purepecha, descendante du peuple Tarasque, rival des aztèques, qui régnait sur l’ouest de l’altiplano mexicain avant l’arrivée des espagnols.

Santuario de Guadalupe de Zamora

Dans les villages purepecha de la meseta, l’ambiance est irréelle. Il fait froid, l’air est enfumé par les feux des cheminées et cuisinières. Des hauts-parleurs diffusent des voix de femmes qui semblent répéter des mantras incompréhensibles, probablement dans la langue purepecha. C’est dimanche, jour de biture pour les hommes. À Cocucho, le chef du village un brin éméché nous donne de l’eau et nous assure que nous sommes à seulement deux jours de vélo de Mexico (il nous aura fallu un mois pour y arriver, en faisant quelques détours). À Angahuan, un cavalier nous explique qu’ici il n’y a pas grand chose à faire le dimanche, mais qu’il y a beaucoup de fêtes traditionnelles qui sont des occasions de boire des coups, écouter de la musique, danser et bien sûr célébrer les traditions.

Le lundi dans les communautés indigènes au Mexique est le jour des travaux communautaires. Lors de notre passage à Angahuan, les hommes se préparent à aller nettoyer une rivière et les femmes sont chargées de leur apporter à manger. Pendant ce temps, nous allons explorer les ruines de San Juan Parangaricutiro, village détruit par l’éruption du volcan Paricutín et dont seule l’église dépasse encore de la lave. Le Paricutín est un des volcans les plus jeunes du Mexique et même du monde. Le 20 février 1943, après plusieurs jours d’activité sismique, un couple d’agriculteurs a découvert une faille dans son champ de maïs d’où s’échappait de la fumée. Effrayés, ils ont couru au village prévenir les habitants. L’éruption du Paricutín a duré 9 ans, a rasé plusieurs villages et a attiré de nombreux volcanologues pour qui c’était une occasion rare d’assister à la formation d’un volcan. Nous sommes ici à l’ouest de l’axe néovolcanique, plus haute cordillère du Mexique qui s’étend à travers tout le centre du pays. Tous les plus hauts sommets du Mexique (Pico de Orizaba – Citlaltépetl, Popocatépetl, Iztaccihuatl, Nevado de Tolua etc) sont situés le long de cette chaîne de montagnes à la forte activité volcanique et sismique. Du fait de l’altitude élevée, le climat est tempéré et c’est le long de cet axe que la population du pays est la plus dense.

Plus bas dans la vallée, nous redescendons vers Patzcuaro. Cette petite ville au bord de son lac était un important centre religieux pour les Tarasques, qui considéraient le lac comme la porte entre le royaume des vivants et des morts. Après la conquête les espagnols ont implanté ici leur pouvoir religieux et administratif pour contrôler le Michoacán. Aujourd’hui, Patzcuaro est une ville assez touristique, en particulier au moment de la fête des morts où le lac joue un rôle important. Chaque village purepecha est spécialisé dans un artisanat : poterie, lutherie, travail du cuivre, fabrication d’alebrijes et de statuettes de diables… Cet artisanat est ensuite exposé et vendu à Patzcuaro dans différentes boutiques et ateliers. De nombreuses galeries d’arts sont venues se greffer à cette dynamique, faisant de cette ville un lieu culturellement très actif.

La culture Purepecha se ressent aussi beaucoup au marché, où l’on croise de nombreuses femmes en tenue traditionnelle. Quelques jours avant le carnaval, on y trouvait des toritos, statuettes de taureaux qui sont utilisées lors de cette fête dans le cadre d’une danse aux origines incertaines.

Patzcuaro a vraiment été un coup de coeur pour nous. Nous n’y avons passé que 4 jours, mais c’est un de ces endroits où nous aurions pu nous arrêter très longtemps.

Soylent Green

L’état de Michoacán est surtout connu pour être le premier producteur au monde d’avocat. L’essentiel de la production est située autour de la ville d’Uruapan, de l’autre côté de la meseta purepecha. Dans les années 2010, la forte croissance de la demande en avocats a entrainé une ruée vers l’or vert et les cartels ont cherché à s’emparer de cette manne financière. À tel point que la région a connu une véritable guerre de l’avocat. Heureusement pour nous, en tant que touristes nous ne sommes pas vraiment affectés et nous ne ressentons pas vraiment d’insécurité, malgré les articles sur internet qui classent Uruapan comme une des villes les plus dangereuses du monde. Les gens sont plutôt rassurants : contrairement à d’autres endroits, personne au Michoacán ne nous a dit « c’est dangereux ». Par contre, cette folie de l’avocat est réellement un problème pour la région. Si elle contribue effectivement au dynamisme économique, la richesse créée ne profite pas à tout le monde. Elle se fait même au détriment de certaines populations rurales, qui sont forcées à vendre leurs terres ou à payer de lourdes taxes aux cartels. L’impact environnemental non plus n’est pas négligeable : la culture de l’avocat nécessite beaucoup d’eau, et la monoculture n’est jamais bonne pour la biodiversité et la résilience face aux maladies. On y repensera avant d’en mettre dans tous nos plats.

Morelia

La capitale du Michoacán, surnommée la ville rose, est une grande ville universitaire dont le riche patrimoine du centre historique est classé à l’Unesco. L’université de Morelia est d’ailleurs la plus ancienne du continent américain. Nous y rencontrons de nombreuses personnes intéressantes : Manuel, livreur à vélo pour une entreprise d’optiques, qui n’a pas eu la chance de faire des études mais est très éduqué et parle parfaitement plusieurs langues, qu’il pratique en abordant les étrangers (comme nous) dans la rue. Brice, historien français vivant à Morelia depuis des années, expert en médecine traditionnelle. Nos hôtes Alejandro, Ximena et leurs enfants, famille adorable à la fois artistes, sportifs, scientifiques et très altruistes. Beaucoup d’inspiration pour la suite de notre voyage et le futur.

L’effet papillon

Chaque année au mois d’octobre revient le papillon monarque. Cet insecte migrateur passe l’été au Canada et aux États-Unis et l’hiver dans le centre du Mexique, en particulier dans les forêts d’altitude du Michoacán où le climat frais, la floraison et la présence d’eau lui permette de survivre. Son retour coïncidant avec la fête des morts, les peuples préhispaniques pensaient qu’il s’agissait des esprits des défunts et les vénéraient. Aller voir les papillons monarques pour les Mexicains, c’est un peu comme les fleurs de cerisier pour les japonais : un véritable rituel. Pour les préserver, des réserves ont été implantées dans des endroits propices, à proximité de villages de montagnes. L’implication économique de la population locale, qui entretient les sentiers et guide les visiteurs permet à la fois de créer des emplois dans ces zones montagnardes et d’inciter la population à en prendre soin pour garder cette source de revenus. Les villages dépendants des papillons, la coupe illégale d’arbres est réduite et les forêts sont entretenues plutôt que rasées.

Au-delà du lien entre le monde des morts et des vivants, le papillon monarque est aujourd’hui associé à la liberté et aux migrations. De nombreux mexicains et latino-américains tentent chaque jour de passer aux États-Unis, pour fuir des contextes économiques difficiles, la violence de la mafia et des gangs ou des situations politiques complexes. La traversée est particulièrement dangereuse : obstacles naturels (jungle du Darien, désert de Sonora…), coyotes (passeurs) pas toujours fiables, police mexicaine réputée très dure avec les migrants venant du sud, mur le long de la frontière américaine… Sur notre route nous avons rencontrés ou entendu parler de beaucoup de candidats à l’exil mexicains, vénézuéliens, colombiens, cubains et même russes et iraniens. Nous en avons rencontrés presque autant qui, après avoir réussi à passer aux Etats-Unis et travaillé plusieurs années illégalement se sont fait expulsés ou sont rentrés par choix. Pendant que les papillons monarques passent et repassent la frontière librement.

Chroniques d’un voyage annoncé

Après le Michoacán nous descendons de quelques centaines de mètres d’altitude et entrons dans l’état de Mexico par une petite route sinueuse à travers des vallées sèches et érodés, où les fleurs violettes des jacarandas bordant la route contrastent avec le brun des paysages. Il fait chaud… Nous arrivons à Valle de Bravo, petite station balnéaire un peu fresa (BCBG) en bord de lac, spot de parapente réputé à 2h de Mexico, qui évoque un peu une version tropicale des Alpes du Nord. Nous avions prévu d’y passer une journée de repos pour récupérer avant d’attaquer l’ascension du Nevado de Toluca, mais à l’hôtel nous rencontrons Diana, Angélique et Fernando, avec qui nous passons les deux jours suivants à refaire le monde et à répondre aux questions de Fernando sur le voyage à vélo pour son podcast Cronicas de un viaje anunciado (lien en bas de page).

Liens

Cronicas de un viaje anunciado, interview (en espagnol) pour le podcast de Fernando, où nous parlons de voyage à vélo

The green elephant in the room, blog et podcast de Richard proposant des solutions et listant des organisations environnementales à rejoindre ou soutenir

Nevado de Toluca

Du haut de ses 4645m, le Nevado de Toluca, ou Xinantécatl (homme nu) en nahuatl, est le quatrième plus haut sommet du Mexique. À vélo il est possible d’atteindre le cratère à 4200m, au terme d’une longue ascension à travers des paysages ruraux. Le dernier village est à 3500m d’altitude, sur un petit plateau. Des chevaux y tirent des charrues, qui creusent des sillons pour planter choux et pommes de terres. On y trouve des puestos de quesadillas en bord de route et du café qui nous réchauffe, pendant que les écoliers attendent le bus pour rentrer de l’école.

À 3700m, nous commençons à sentir le mal des montagnes : légère nausée et vertiges. Deuxième pause quesadillas et atole (boisson chaude à base de cacao, canne à sucre et maïs), le temps que ça passe. Puis nous repartons et campons un peu plus haut, à 4000m, au milieu des derniers pins et buissons, avec vue sur les lumières de la vallée de Toluca et ses 750 000 habitants.

En terme de paysages, la différence entre un cratère à 4200m au Mexique au mois de mars et une quelconque montagne entre 2000m et 3000m en Europe de l’ouest en été est assez subtile.

C’est au niveau des sensations que l’altitude se fait sentir. Le soleil brûlant qui alterne soudain avec le froid glacial lorsque un nuage passe. L’impression que nos poumons vont exploser au moindre effort un peu trop intense. Le contraste saisissant des jeux d’ombre et de lumière. Le bleu intense du ciel au dessus de la couche blanchâtre des strates les plus basses de l’atmosphère.

Et dire que c’est juste la sortie du dimanche pour les trailers et cyclistes de la capitale de l’état de Mexico, 2000m plus bas, qui n’ont pas besoin du full look Salomon ni de vélos en carbone pour s’envoyer en l’air.

2 petites journées pour grimper les 75km et 3000m de dénivelé depuis Valle de Bravo, et deux petites heures pour redescendre 2000m plus bas de l’autre côté du volcan, dans le Valle de Tenango. Pas besoin d’aller dans les Alpes pour glisser dans la poudreuse. Le versant oriental est tellement desséché et labouré que le moindre coup de vent emporte avec lui des tourbillons de poussière. Et ça souffle aujourd’hui. Nous voilà plongés dans un dust bowl contemporain : le paysage est gris, l’air est gris, nous nous mouchons gris. Dire que les gens qui vivent ici respire cette poussière 6 mois par an…

Puis c’est l’orage. À 2500m d’altitude, la température chute en quelques minutes de 25 à 7 degrés, avec un vent glacial et une pluie ardente qui nous frigorifie. La période de Mars à Mai est sensée être la plus chaude et sèche de l’année. Pourtant la pluie tombe pendant plusieurs heures cet après-midi et les jours suivants. La pluie fait tomber la poussière en suspension dans l’air, le volcan apparait à nouveau et domine le plateau de son imposante masse sombre.

D’île en île de Sinaloa à Nayarit

Une journée particulière

Le 5 janvier à Sinaloa fut une journée particulière. Nous nous réveillons tranquillement. La plage où nous campons, à quelques kilomètres de Mazatlán, est magnifique : derrière nous les cocotiers, devant nous des dauphins en pleine chasse, accompagnés de pélicans surfeurs qui volent en formation, frôlant la crête des vagues. Nous rejoignons la route en traversant un resort. À l’entrée, les deux gardes qui nous ouvrent le portail nous demandent où nous allons. Ils ont l’air un peu inquiets. Ils nous expliquent qu’il y a des malandrinos qui arrêtent les voitures à l’aéroport (sur notre route), et qu’il faut faire très attention. Pas très rassurés, nous continuons notre chemin. Quelques mètres plus tard, un motard s’arrête à notre niveau et nous dit qu’il faut faire demi-tour, rentrer à Mazatlán et se mettre à l’abri. Il nous explique la situation, nous montre un nuage de fumée noir dans le ciel. C’est près de l’aéroport. Ils brûlent des voitures, et quand ils sont énervés comme ça, « ils tuent n’importe qui, peu importe que tu sois mexicain, japonais ou américain. Il y a des enfants de 10 ans qui portent des armes ». Pas hyper rassurés, nous faisons demi-tour. J’envoie un message pour prévenir les groupes WhatsApp de cyclistes locaux. Tout de suite, les référents locaux du Red de Apoyo a los Cicloviajeros (Réseau d’aide aux voyageurs à vélo, RAC) me contactent, pour me demander où nous sommes et nous guider jusqu’à un endroit sûr. Le ferry pour retourner à Mazatlán est fermé, comme tous les transports publics. Toutes les radios sont allumées et diffusent les messages du gouvernement, demandant aux habitants de l’état de Sinaloa de rester chez eux. Nous nous posons à un restaurant à Isla de la piedra, pour faire le point. Nous pensons que la plage où nous avons campé la veille est sûre, probablement plus sûre que la ville : pas d’accès par la route, pas d’habitations, aucune raison que des sicarios énervés viennent ici. Nous soumettons le plan au RAC, qui valide. Dans la soirée, pas hyper rassurés, nous voyons des hélicos de l’armée passer au dessus de nos têtes. Nous apprenons par WhatsApp qu’une brigade de l’armée est tombée dans une embuscade entre Villa Union et Escuinapa, à quelques kilomètres d’ici. Un militaire a été abattu. Nous finissons par nous endormir en serrant un peu les fesses. Bilan officiel de cette journée : 29 morts, des dizaines de blessés, 250 véhicules détruits.

Le lendemain, c’est le jour des rois, la guerre fait rage dans les boulangeries pour obtenir une rosca de reyes, équivalent local de la galette des rois, mais dans la rue tout est calme, revenu à la normal. Elisa se sent mal, nous retournons à Mazatlán. COVID. Nous sommes bloqués à l’hôtel pour une dizaine de jours.

Ya se van

Après quelques jours alités, nous pouvons enfin repartir. À peine sortis de Mazatlán, nous sommes déjà en pleine campagne. Les chemins ruraux sont plein de travailleurs, à pied, à vélo ou à moto, qui nous indiquent la route. Gros changement d’ambiance par rapport à la Baja California. C’est plutôt rassurant d’ailleurs, surtout après les événements de la semaine dernière. Je préfère être ici, entouré de gens bienveillants, que sur une route anonyme à forte circulation. Vendredi, fin d’après midi, c’est l’heure du retour des champs. Il y a une hiérarchie sociale des travailleurs agricoles selon leur moyen de transport. Les plus pauvres, principalement des femmes amérindiennes portant des jupes longues au couleurs très vives qui contrastent avec leurs longs cheveux noirs, sont transportés dans de vieux bus scolaires américains recyclés par les grandes entreprises agricoles. Les moins pauvres, généralement des hommes ou des couples métisses, se déplacent à vélo ou à moto.

La route au début n’est pas très belle, mais intéressante. Nous roulons d’abord le long de la plage sur un chemin de terre. À droite, l’océan sauvage et sa violence magnifique : le bruit puissant du ressac, les pélicans en chasse, les caracaras et urubus noirs qui scrutent l’horizon en attendant que s’échoue une carcasse de poisson, tortue ou dauphin. À gauche, une nature domptée, qui n’a plus rien de naturelle : les élevages de crevettes hors sol succèdent aux plantations de cocotiers et piments. Les cultures sont alignées, irriguées, optimisées.

Culture de piments et cocotiers.

Au village suivant les gens sont dans la rue. C’est samedi midi, ils passent un bon moment et nous saluent d’un air joyeux. « Hi ! » « Good Morning ! ». Nous comprendrons les jours suivant que tout le monde pense que nous sommes américains… Ce qui nous vexe un peu. Un homme à moto nous aborde. Il a travaillé en Californie plusieurs années et est content de nous voir pour pratiquer son anglais. Habituellement notre stratégie est de dire que nous ne parlons que français et espagnol, mais dans ce cas nous faisons une exception.

Nous avons un choix à faire : passer par la plage ou faire un long détour qui nous fera passer par l’autoroute et une grande ville. La plage n’est passable qu’à marée très basse et une fois engagés, il n’y a plus d’échappatoire pendant une vingtaine de kilomètres. Trois fois rien : sur la plage précédente, il nous a fallu un peu plus d’une heure pour couvrir la même distance. Allez, on y va ! Une piste de terre à travers les plantations de manguiers et les marécages nous emmène jusqu’à la côte. Un groupe d’hommes sortent de l’ombre d’un arbre en brandissant leurs machettes à notre passage… Pour nous saluer, rien de plus. La marée commence tout juste à descendre lorsque nous arrivons, nous espérons que dans une heure ou deux, nous pourrons passer. Déjeuner, petite sieste et c’est parti. Malheureusement, ça ne se passe pas tout à fait comme prévu. Un paramètre que nous n’avions pas pris en compte : le coefficient de marée. Nous sommes juste le jour de la nouvelle lune, l’écart entre marée haute et basse est très faible, et la plage est pentue. Très rapidement, nous nous retrouvons à pousser nos vélos. Nous espérons que la situation sera meilleure à marée basse. Mais non… Fatigués, nous arrivons à la tombée de la nuit à une route de terre bien propre, qui nous permettrait de contourner la plage. Malheureusement, cette route est privée et gardée. Impossible de passer. Il faut continuer. Au total, 20km de poussage de vélo dans le sable. La plage est certes déserte et magnifique, mais nous ne profitons pas vraiment. Physiquement, ce n’est pas facile. Moralement c’est très dur : le paysage ne change absolument pas, et nous avançons à 3-4km/h.

Arrivés de l’autre côté à Isla Del Bosque, soudain la plage devient très peuplée. C’est dimanche, les gens pêchent, mangent aux restaurant de plage et s’enfilent des litres et des litres de bière au bord de l’eau. Mais une fois la nuit tombée, le calme revient et nous avons la plage pour nous. Seul un petit chat affamé et pas timide nous tient compagnie, et nous partageons notre plat de riz nature avec lui.

Un copain pas timide et entreprenant.

D’île en île

Le lendemain matin, nous arrivons à Teacapan, où nous trouvons un pêcheur qui accepte de nous faire traverser l’estuaire. De l’autre côté, c’est l’état de Nayarit et l’Isla Del Otro Lado, beaucoup plus sauvage et parait-il infesté de moustiques. La plage est plate et ferme, parfaite pour rouler, et une armada d’oiseau marins nous escorte sur les premières centaines de mètres. Au bout d’une dizaine de kilomètres, les palapas du village de la Puntilla nous invitent à quitter le sable pour découvrir les chemins de terre. Le village semble désert, jusqu’à ce que les hauts-parleurs de la camionnette du boulanger se mettent à chanter. « Panadero se va… » Au Mexique les artisans et vendeurs ambulants annoncent leur passage en diffusant des messages musicaux enregistrés. Tout le monde sort alors acheter ses petits panes dulces. Le village est minuscule, ses habitants charmants. Nous ne sommes qu’à 10km du bourg de Teacapan et pourtant, nous nous sentons au bout du monde. Jusqu’à l’autre bout de l’île nous roulerons sur des petits chemins ombragés, qui se transformeront en route et nous amèneront le soir à Palmar de Cuautla, village de pêcheurs à l’autre extrémité de cette longue bande de terre plate entre marais et océan. Nous sommes habitués aux poules et aux chiens qui courent librement dans les rues mais c’est la première fois que nous voyons des cochons. Notre arrivée sur la Plaza centrale n’est pas vraiment incognito. Un tiers du village assiste à une messe en plein air, un autre tiers à un match de basket et les autres jouent aux cartes en buvant des bières. Un homme nous aborde immédiatement, en anglais. Nous sommes les bienvenus, personne ne nous dérangera ici et si nous avons besoin de quoique ce soit les habitants sont « a sus ordenes » (« à vos ordres », formule de politesse mexicaine).

Nous sommes restés 5 jours dans l’état de Nayarit, et ce genre de situation a été quotidienne. Dans chaque petit village, au moins une personne est partie travailler aux USA dans la cueillette de fruits, et est revenu après plusieurs années. Cueillir des fruits aux Etats Unis rapporte plus (18$/h) que n’importe quel travail ici. Mais ici, il y a les amis, la famille, la vie est meilleure, on se sent chez soi tout simplement. Partout donc, des gens parlant bien anglais nous abordent et nous demandent d’où nous venons aux USA, avant de nous raconter tous les endroits qu’ils ont visité là-bas, Las Vegas en tête. Qu’ils parlent anglais ou pas, les habitants de la région sont d’une générosité incroyable. Chaque jour on nous invite, on nous offre des cadeaux…

Nous passons cette nuit au restaurant de plage du village, où une tablée de poivrots aux yeux rouges vident des caisses entières de bières en marmonnant, sous le regard sévères des patronnes qui continuent pourtant à les servir. Comme par magie, notre table se couvre de ceviche, tostadas, salsa et crevettes. Nos bouteilles à peine vidées sont remplacées par des pleines. Et quand la nuit tombe vers 18h, les poivrots enfourchent leur chevaux, qui connaissent probablement la route pour rentrer chez eux. Un espace sous la palapa est balayé, des chaises et une lampe sont amenées, on nous donne la clé des toilettes et on nous laisse seuls pour la nuit avec le bruit des vagues.

Mexcaltitán

La prochaine traversée nous permet d’accéder au minuscule village-île de Mezcaltitán. Selon certains historiens, ce village serait la mythique Aztlan, d’où sont originaires les Aztèques. Une prophétie leur aurait demander de partir fonder une nouvelle ville « là où un aigle posé sur un cactus dévore un serpent », le même aigle que celui représenté aujourd’hui sur le drapeau mexicain. Une des particularités de Mezcaltitán, c’est qu’on n’y accède qu’en bateau et que ses rues se transforment en canaux pendant la saison des pluies. Un peu comme une version miniature de Tenochtitlan, l’ancienne capitale aztèque aujourd’hui devenue Mexico.

Culturellement, ce village est très important pour les mexicains. Encore une fois, à peine arrivés sur la plaza, les habitants nous abordent. Non, nous ne sommes pas américains mais français. « Désolé pour la coupe du monde, on était pour vous ». Très vite, le sujet de la politique est abordé. La plaza où nous sommes porte une plaque en hommage à l’actuel président mexicain, Angel Manuel Lopez Obrador. Dire qu’il est populaire ici est un euphémisme. Un homme nous avoue qu’il se sent très chanceux d’être né dans un pays avec une culture aussi riche que le Mexique, mais que jusqu’à présent tous les politiciens sans exception étaient des « voleurs corrompus ». « Merci à Dieu et au peuple de nous avoir donné Angel Manuel Lopez Obrador comme président. Jamais je n’aurais imaginé connaître dans ma vie un président aussi bon» nous dit-il. En résumé, si AMLO (son diminutif) bénéficie d’une telle opinion positive dans le pays, c’est parce qu’il mène une politique anti-corruption, démocratique (diminution des salaires des élus, mise en place d’un référendum de mi-mandat permettant au peuple de destituer le gouvernement), redistributive (création d’aides sociales pour les plus pauvres, les étudiants et les retraités, augmentation du salaire minimal) etc. C’est également un excellent communiquant, qui se présente tous les matins en conférence de presse pour faire face aux médias d’opposition.

Nous passons le reste de l’après midi à manger des empanadas de crevettes et du ceviche en observant les corneilles de Sinaloa se disputer des queues de poissons, bercés par le rythme lent des cumbias mexicaines, avant d’embarquer sur la dernière panga collective qui nous ramène sur la terre ferme. La lumière est rasante et de ce côté du marais, tout est cultivé. Un peu avant le coucher du soleil, nous nous présentons sur la plaza du dernier village pour demander un endroit où camper. Les gens discutent entre eux, et nous finissons chez Chely, qui a une chambre de libre dans sa maison. Comme ce n’est pas tous les jours qu’elle a des invités français, en plus de nous offrir un lit et une douche, Chely nous invite à partager le repas avec sa famille. Nous n’en demandions pas tant !

En el muelle de San Blas

Le lendemain, après quelques kilomètres à travers des champs qui laissent la place à la mangrove, nous arrivons à San Blas, port ancien d’où partaient les premiers colons de la Basse-Californie puis les bagnards des îles Tres Marias, le Cayenne mexicain. San Blas est réputé pour ses moustiques et ses crocodiles et on nous a déconseillé d’y camper. Nous nous installons donc à la Casa Del Pelicano, maison au patio verdoyant décorée sur le thème des oiseaux de la région. Les viejitos qui gèrent l’hôtel nous prennent sous leur aile. Le patron porte casquette et blouse de marin et du haut de ses 87 ans, il continue à aller au marché à vélo tous les matins pour acheter le poisson et les légumes qu’ils préparent ensuite en famille. Nous nous régalons des tacos de coryphène à la salsa verde maison!

Une des institutions de San Blas, c’est Juan Banana, petit café – épicerie fine réputée pour ses banana breads. Nous y rencontrons Juan, le patron, qui a fondé la maison il y a 50 ans. D’après nos calculs, Juan doit avoir entre 65 ans et 70 ans, mais il en paraît à peine 60. Ex-surfeur professionnel, il a fait des compétitions en France, voyagé partout en stop et est investi localement dans la protection de l’environnement. En sortant du café, nous sommes rattrapés par Skye, américain-mexicain et pur produit californien. Skye a beaucoup voyagé, il a passé quelques mois en France et notamment à Rennes. Il adore la Bretagne, où il a surfé, et veut pratiquer son français. Il nous invite chez lui, et nous passons le reste de l’après-midi à l’écouter parler smoothies, detox et yoga en partageant un peu d’herbe locale. Sa coloc massothérapeute rentre et nous avons tous droit à des massages gratuits. Puis arrive un autre ami surfeur, qui nous fait lui aussi l’éloge d’AMLO. Le soleil descend, c’est l’heure de rentrer.

Jungle Jack

En quittant San Blas, nous rencontrons enfin des crocodiles sauvages. Ces animaux potentiellement dangereux pour l’homme doivent être traités avec respect et distance, un peu comme les ours en Amérique du Nord. Nageant lentement dans l’eau boueuse de la lagune, entourés d’aigrettes blanches, disparaissant entièrement sous l’eau et réapparaissant un peu plus loin, ils sont effectivement assez inquiétants. Un tout petit s’aventure un peu trop près de la route. Il est tellement petit que je ne le remarque qu’au dernier moment, quand il s’enfuit à toute jambe pour éviter que je ne lui roule dessus… Frisson partagé !

La route quitte le marais et ondule à travers la jungle. Après environ 400km entièrement plats, nous apprécions de retrouver un peu de relief. Partout au bord de la route, des stands vendent des fruits aux formes inconnues déclinés sous toutes les formes : frais, séchés, confits, préparés de mille façons. Jaquier, caramboles et les plus classiques noix de coco, bananes et papayes nous régalent. Alors que nous nous apprêtons à camper au bord d’une rivière, l’agriculteur qui exploite la parcelle de l’autre côté vient à notre rencontre. Dans un anglais parfait, il nous propose de venir camper sur son terrain. Alors que nous installons la tente, il nous apporte du bois pour faire un feu, et nous offre des noix de coco et du jaquier, fruit à la texture rappelant la viande et au gout proche de la banane et de la mangue. L’endroit est paradisiaque. Viva Nayarit !

Cabalgata en Baja

Robinsonade

À Tijuana, Edgar nous avait prévenu : le désert est une expérience intérieure, presque spirituelle. Dans Robinson et les limbes du Pacifique, le personnage principal seul sur une île désapprend petit à petit les codes de la société pour atteindre un état d’éveil et de contemplation en parfaite harmonie avec son environnement. Cette traversée de la Basse-Californie nous a fait entrapercevoir toute la puissance mystique du désert : comme le Robinson Crusoé de Fournier, nous avons dans un premier temps souffert de la monotonie et tenté de nous raccrocher à notre civilisation. Pour nous cela passe par les arrêts wifi dans les restaurants routiers, qui nous permettent de communiquer avec nos lointains proches.

Les horaires et calendriers ne sont que des conventions sociales, qui n’ont plus de sens lorsque l’on est seul. Petit à petit nous avons commencé à perdre le compte des jours et des heures et à vivre uniquement au rythme du soleil. À tel point que nous nous sommes rendus compte seulement plusieurs jours après avoir changé d’Etat que nous avions également changé de fuseau horaire.

Lorsque nous traversons le bassin de Vizcaino, la route devient désespérément rectiligne et plate, à travers une végétation monotone. Quand le regard n’est plus stimulé, il se tourne vers l’intérieur. Dans ce genre de situation je m’enferme dans une sorte de bulle de méditation. Je ne pense à rien d’autre qu’à avancer à un rythme plutôt soutenu, qui me permet de me maintenir dans cet état. Chaque stimulation qui m’oblige à changer mon rythme ou à porter mon attention sur l’extérieur me fait sortir de ma bulle et me fatigue nerveusement. Une voiture qui passe un peu trop près, le vent de face qui ne me permet pas d’atteindre ma « vitesse de méditation » ou Elisa, beaucoup moins rapide que moi mais que je ne veux pas perdre de vue, ce qui m’oblige à m’arrêter trop souvent. À la longue je finis par exploser et je deviens insupportable. 40 jours dans le désert, quand on n’est pas Jésus, Mohammed, ou Bouddha, c’est long ! Nous avions déjà vécu cette situation dans le nord du Canada. J’aimerais aller au bout de cette expérience un jour, mais je crois que cela ne peut se faire que seul.

Heureusement, lorsque nous sortons des routes, notre attention est entièrement absorbée par notre environnement. La beauté des paysages, la faune et la flore qui nous entourent nous remplissent de joie. Si le bitume matérialise une barrière entre nous et la nature, ce n’est plus le cas sur une étroite piste de terre sans aucun traffic, où nous zigzaguons à travers les plantes. Les animaux, ne risquant pas de se faire tuer par une voiture lancée plein pot dans un bruit effrayant sont beaucoup moins craintifs, plus nombreux et nous laissent les admirer plus facilement. La difficulté de la progression nous oblige également à ralentir, à faire plus de pauses et nous vide complètement physiquement. La Baja Divide est une route particulièrement belle qui se mérite. Sur cet itinéraire, la magie du désert opère puissance mille. La beauté grandiose des journées solitaires laisse la place aux soirées et aux nuits époustouflantes. L’absence de Lune lors de notre traversée nous offre des ciels noirs remplis d’étoiles, qui succèdent à des couchers de soleil à tomber par terre. Si visuellement c’est une claque, les sensations sonores sont encore plus fortes. Quoi de plus intense que de dormir dans le silence total du désert ou bercé par le ronronnement du ressac du Pacifique, et d’être réveillé au petit matin par le bourdonnement des colibris plutôt que par le rugissement des camions ?

À Ciudad Constitucion, nous retrouvons Oscar, que nous avions croisé plusieurs mois plus tôt au Yukon. Avec son crâne entièrement rasé, son calme imperturbable et le bouquin de Matthieu Ricard sur la méditation qu’il nous offre, on croirait presque un moine bouddhiste en mission. Nous décidons de terminer la route ensemble jusqu’à La Paz, où nous prendrons le ferry pour le continent. Oscar, finisher d’Ironman, est beaucoup plus rapide que nous et fait de plus longues journées. Pour nous c’est un challenge d’essayer de le suivre. Dès le deuxième jour, nous sommes épuisés. Mais nous découvrons que dans la fatigue, nos corps s’habituent et trouvent leur rythme. Si nous ne sommes plus en mesure de passer une bosse en force, nous pouvons continuer à rouler à un rythme plus tranquille sans difficulté. Chaque soir, nous sommes épuisés et nous nous endormons profondément. Chaque matin et après chaque pause, nous sentons que nos corps commencent à récupérer. Expérience intéressante et complémentaire de celle de la solitude du désert, qui éveille mon intérêt pour un bikepacking plus sportif que je ne pensais pas fait pour moi.

Un peu d’histoire

La colonisation de la péninsule est récente. Les premiers colons espagnoles furent des missionnaires catholiques, arrivés à partir du 18e siècle, suivis par des éleveurs puis des investisseurs étrangers intéressés par les ressources naturelles : métaux et poisson notamment. Aujourd’hui, le pillage de la nature est toujours le moteur de l’économie locale. Mines, exportation de homards et poissons vers la Chine, tours en véhicules tout terrain dans des environnements fragiles, harcèlement des baleines qui viennent se reproduire en mer de Cortez pour des touristes qui veulent s’approcher suffisamment près pour les toucher…

Cette colonisation a commencé par le sud, puis s’est étendue petit à petit vers le nord. Si bien que plus nous avançons et plus l’architecture est ancienne et les villages et ranchs nombreux. Santa Rosalía, ville minière fondée par l’entreprise française du Boléo, se distingue par son architecture qui évoque la Louisiane ou les DOM-TOM et son église conçue par Eiffel. Les oasis de Mulegé et San Ignacio par leurs rues tortueuses et leur architecture baroque typiquement espagnole. Et les villes agricoles poussées comme des champignons lors des 50 dernières années déploient leurs larges rues quadrillées adaptées à la voiture de part et d’autre de la Ruta 1.

Cowboys

Sur les highways, les cowboys sont ces touristes au volant de leurs énormes camping-cars qui conduisent leur véhicule comme si c’était une arme. Lancés pleine balle, ils roulent comme s’ils étaient seuls sur la route et reprochent aux cyclistes de les mettre en danger. Ces fous sont terrifiés à l’idée de se faire braquer et exhibent tous leurs jouets à plusieurs centaines de milliers de dollars : énorme 4×4 tractant un encore plus gros camping car, auquel sont parfois attachés un bateau et un véhicule tout terrain. Comme leurs ancêtres à la conquête de l’ouest, ils se regroupent en caravane et envahissent les endroits qui leur plaisent, sans considération pour la nature des lieux. Après tout ils apportent de l’argent, alors ils peuvent bien se permettre de garer leurs énormes maisons de plastique et d’aluminium sur les plus belles plages, au ras des flots. N’avoir que trois pas à faire entre le frigo et les pieds dans l’eau, une certaine idée de la liberté. Heureusement certains relèvent le niveau, nous dépassent très respectueusement en nous faisant de grands signes amicaux, nous offrent de l’eau et même des bières. Nous avons même croisé des américains en Prius avec une tente… Espèce très rare à protéger !

Sur les pistes de terre et de sable, les cowboys sont d’authentique vaqueros, portant moustache, santiags et stetson. Perchés sur leurs chevaux, lasso à la main, ils parcourent l’immense territoire de leur ranch pour surveiller le bétail et protéger chèvres et vaches des coyotes. Si le vieux pickup Ford rouillé et grinçant a remplacé la charrette, leur uniforme comme leur métier ont très peu changé depuis que leurs ancêtres sont arrivés dans ce désert. Lors des grandes occasions, ils se réunissent pour une cabalgata, une chevauchée. Fiers et amicaux, ils s’arrêtent toujours pour discuter et nous inviter à camper sur leurs terres. Muy feo répondent-ils quand nous leur demandons comment est la route plus loin. Ils savent de quoi ils parlent : vissés à leur destrier, ils vivent au même rythme lent que nous sur nos vélos et font face aux mêmes obstacles, bien que leurs montures soient plus adaptées à cet environnement que les nôtres. Ces cowboys ci ont tout mon respect. Ils vivent une vie rude et austère mais leur bienveillance est infinie comme le désert.