Détour en Amazonie, deuxième partie : l’Amazonie colombienne

Suite à la casse du moyeu Rohloff d’Elisa par un technicien à Bogota, nous devons rejoindre le Brésil pour pouvoir réparer cette pièce complexe. Le plan consiste à rejoindre Leticia, ville colombienne au bord du fleuve Amazone, d’où nous prendrons le bateau pour Manaus, capitale de l’Amazonie brésilienne où nous pourrons envoyer la roue par la poste à Klaus de Teutobike à Porto Alegre, expert sud-américain de cette technologie allemande.

Leticia

La première difficulté est d’arrivée à Leticia : pour rejoindre cette ville d’Amazonie, il existe seulement deux possibilité : l’avion ou le bateau. Idéalement nous préférerions éviter l’avion, mais les seules informations dont nous disposons concernant le bateau sont un peu déprimantes : il n’y aurait pas vraiment de ligne régulière, et il faudrait compter entre 10 jours et 1 mois de navigation sur le Putumayo pour atteindre notre objectif. De plus, un marin breton que nous avons rencontré quelques semaines plus tôt nous a raconté avoir tenté l’expérience et s’être retrouvé coincé à mi-chemin. En raison de la sécheresse sévère qui touche actuellement la Colombie, le niveau d’eau serait trop bas pour permettre aux bateaux de passer… Nous aimons l’aventure, mais dans le cas présent nous avons une mission et cette équation aurait un peu trop d’inconnues. Nous optons donc pour l’avion, espérant que cet aller-retour forcé sera le dernier avant longtemps.

Nous décollons de Bogota au lever du soleil et arrivons au dessus de Leticia après une heure de vol. Nous survolons un océan vert traversé par le serpent marron du Solimões, nom donné à la section du « fleuve océan » qui traverse cette région. L’Amazone est (de très loin) le plus grand fleuve au monde, son volume d’eau équivaut à 20% de l’ensemble de l’eau fluviale de la planète et il rejette quotidiennement dans l’océan Atlantique 112km3 d’eau douce. À titre de comparaison, le volume du lac Léman, plus grand lac d’Europe, est de « seulement » 89km3 . Comme le dit Gauthier, aventurier français que nous avons rencontré chez lui près de Santarem : « j’habite au milieu de la plus grande réserve d’eau douce au monde ». Toute cette eau ne vient pas de nulle part : la combinaison de chaleur et de de forêt immense génère une évaporation importante et donc beaucoup de pluie, particulièrement le soir et le matin en cette fin de saison humide. Et le matin de notre arrivée n’échappe pas à la règle : la piste d’atterrissage est couverte de nuages très bas. Au sol, c’est la tempête. L’avion entame son atterrissage, et au dernier moment, alors que nous ne sommes plus qu’à quelques dizaines de mètres au dessus du sol, remet plein gaz pour nous arracher aux nuages. Alors que nous reprenons de l’altitude, le commandant de bord nous avertit : les conditions ne sont pas suffisantes pour garantir un atterrissage en sécurité. Nous passons l’heure suivante à tourner en rond au dessus de la forêt en espérant que les nuages se dissipent… Avant que le manque de kérosène ne nous contraigne à repartir pour Cali, à l’autre bout du pays. Nous ne pouvons nous empêcher d’y voir encore un autre signe de l’univers nous indiquant de mettre fin au voyage, et surtout de ne plus prendre l’avion. Heureusement, après quelques heures d’attentes, les conditions semblent s’améliorer et nous pouvons repartir et atterrir sereinement dans la capitale de l’Amazonie colombienne.

Leticia, très loin du centre de la Colombie mais au carrefour de 3 pays.

Ici, tout est différent de ce que nous avons connu jusqu’alors. Le climat n’est pas aussi chaud que nous l’imaginions, mais il est totalement saturé d’humidité. Quelques pas dehors et ma chemise est trempée… La population est aussi différente de ce que nous avions vu jusqu’alors en Colombie. Très peu de blancs, de noirs et de métis, presque exclusivement des indigènes d’Amazonie. Les peaux sont foncées, les yeux bridés, les gens petits et fins et les femmes ont des cheveux noirs brillants dont la longueur rend admirative Elisa malgré ses nattes qui lui arrivent presque au nombril.

Leticia est une petite ville faisant partie d’une agglomération d’un peu plus de 130 000 habitants, répartis de part et d’autres de la « triple frontière » entre la Colombie, le Brésil et le Pérou. À l’inverse de Tijuana, où la frontière était matérialisée par un mur et théoriquement infranchissable, ici on passe d’un pays à l’autre comme si on changeait simplement de quartier au sein d’une même ville. À la différence que de part et d’autre de cette frontière presque invisible, l’ambiance et la langue changent du tout au tout. À Leticia et Santa Rosa on parle espagnol, à Tabatinga portugais. Et lorsque nous allons acheter nos billets de bateaux et faire nos formalités de migration au port brésilien, nous nous rendons compte à quel point la communication va être compliquée les semaines à venir. À l’écrit, les deux langues sont tellement proches qu’il nous est possible de comprendre l’essentiel d’un texte en portugais. À l’oral, c’est une autre paire de manches : la prononciation est totalement différente et nous ne comprenons absolument rien… Heureusement, beaucoup de brésiliens comprennent plus ou moins l’espagnol et nous pouvons communiquer dans un portugnol encore approximatif.

Puerto Nariño

Le bateau pour Manaus ne part que dans quelques jours et une fois passé la première surprise, Leticia/Tabatinga n’est pas une ville particulièrement agréable. Il n’y a pas grand chose à faire ici, et les routes sont saturées de motos qui rendent l’ambiance sonore particulièrement désagréable. Nous embarquons donc sur une lancha (grosse pirogue rapide) pour Puerto Nariño, petit village indigène à 70km en amont, où se concentre l’activité touristique de la région et où nous avons trouvé une agence de voyage qui propose de nous loger gratuitement dans une cabane dans la jungle en échange de notre aide pour servir d’interprète à leurs clients non-hispanophones. En d’autres termes, nous sommes logés, nous faisons les activités gratuitement et nous rencontrons les habitants du village en ayant un peu moins l’étiquette « touriste ».

Puerto Nariño est un véritable petit paradis à l’écart du monde. Ici pas de véhicules motorisés (en dehors des bateaux), tout le monde se déplace à pied ou à vélo. La grande fierté du village c’est le ponton tout neuf, le plus moderne de la région. Il a coûté cher, mais c’est un investissement utile pour attirer les touristes. Il faut que le monde le sache ! Le tourisme commence tout juste à se développer et en est encore à un stade un peu amateur. Les professionnels du secteur ne parlent qu’espagnol et les différents dialectes indigènes locaux, d’où leur besoin de volontaires étrangers comme nous pour les aider. Les activités auxquelles nous avons participé sont encore au stade de rodage, on sent qu’il n’y a pas encore encore de véritable expérience concernant les attentes des voyageurs et qu’on leur propose des contenus et des tarifs sans véritable idée de ce qui peut se faire ailleurs. Les habitants sont curieux de voir ces étrangers débarquer dans leur village et prennent le temps de discuter avec nous. Le samedi, le championnat local de football est l’attraction principale. Ce territoire de seulement 8000 habitants parvient à avoir plusieurs équipes sponsorisées par les entreprises locales et un public. Nous avons un peu l’impression d’être à un grand rassemblement familial, ce qui n’est pas totalement faux : dans ces petits villages indigènes isolés, comme c’était déjà le cas au Canada, la société est divisée en quelques clans, équivalent de familles élargies.

Malheureusement, le bateau pour Manaus va bientôt partir et nous ne pouvons rester que quelques jours à Puerto Nariño. Nous quittons à regret ce petit havre de tranquillité mais nous sentons vraiment que nous aurions pu rester un long moment ici, où notre présence et notre maitrise des langues étrangère aurait pu être réellement utile à la communauté. Encore un endroit où nous reviendrions bien, pour y rester plus longtemps… Puerto Nariño est seulement notre premier arrêt en Amazonie, et déjà notre premier pincement au coeur au moment du départ.

C’est tout pour cette deuxième partie ! Dans le prochain épisode, nous raconterons notre descente en bateau-hamac du fleuve Amazone, de la frontière colombienne au coeur de l’Amazonie brésilienne. À bientôt !

Détour en Amazonie, première partie : galère à Bogota

Nous sommes arrivés sur le continent sud-américain le 31 janvier 2024. Après un mois compliqué où les galères et les mauvaises nouvelles se sont enchainées, nous n’avons pratiquement pas pu rouler un seul kilomètre et, par conséquent, notre budget s’est envolé. Arrivés à Bogota, nous espérions avoir enfin conjuré le sort et reprendre la route sereinement. Nous ne le savions pas encore, mais le bout du tunnel était encore loin. Nos vélos étant un peu fatigués après plusieurs mois de chaleur humide et d’air salé en Amérique centrale, nous les avons confié à un atelier pour un changement des roulements de direction d’Elisa, de mes roulements de moyeu avant et de mon boitier de pédalier. Une petite révision de routine en somme. Malheureusement, le technicien a qui nous avons fait confiance a pris la liberté d’ouvrir le moyeu Rohloff d’Elisa sans savoir ce qu’il faisait, l’a détruit et nous a rendu le vélo l’air de rien, en essayant de camoufler les dégâts.

Les moyeux du fabricant allemand Rohloff sont un peu la montre suisse du vélo de voyage : précis, complexes, increvables… et chers. À elle seule, cette pièce coûte presque autant que le reste du vélo. C’est un investissement que nous avons choisi de faire pour plusieurs raisons : il permet de se libérer du dérailleur, partie fragile (notamment sur les chemins boueux ou caillouteux, ou lorsque l’on charge le vélo dans un bus ou un camion), de limiter l’entretien au strict minimum (plus de galets de dérailleurs à démonter, plus de crasse difficile d’accès entre les pignons de la cassette…) et d’avoir une transmission très durable (ces moyeux sont théoriquement capables de durer une vie entière de voyageur à vélo et se bonifient avec l’âge, contrairement aux transmissions classiques « jetables »). Le seul inconvénient : comme toute mécanique complexe, en cas de problème, tout est compliqué. Mais en théorie, il n’y a pas de problème. Sauf lorsqu’une intervention humaine le provoque… Nous restons convaincus que cet investissement est rentable sur le long terme comparé à une transmission plus classique et nous referions ce choix sans hésiter, mais à l’avenir nous serons plus prudents lorsqu’il s’agira de confier nos vélos à quelqu’un.

Après quelques échanges de mails avec Rohloff, le problème est rapidement identifié et le verdict tombe : les réparations nécessaires sont trop complexes, il faut envoyer la roue entière à un centre de réparation agréé. Le plus proche, Teutobike, est à Porto Alegre, au sud du Brésil, à 4800km à vol d’oiseau de Bogota. Au-delà des Andes, au-delà de l’Amazonie, à l’autre bout du plus grand pays d’Amérique Latine. Autant dire au bout du monde. D’après Klaus, le propriétaire de Teutobike, envoyer la roue depuis la Colombie vers le Brésil, puis à nouveau vers la Colombie est trop risqué : deux douanes à passer, des taxes à payer et le risque que la roue reste bloquée d’un côté ou de l’autre de la frontière. Pas le choix : nous devons aller au Brésil. Sur le moment c’est un véritable coup dur : notre budget, déjà entamé par le mois sédentaire qui vient de s’écouler, va être encore plus creusé par les réparations et le détour. Après tout ce que nous avons déjà subi depuis la blessure d’Elisa au Costa Rica, j’ai le moral dans le chaussettes. Je n’ai plus la force mentale de continuer, juste envie de rentrer en France, mettre fin à ce voyage qui me semble maintenant absurde et retrouver ma famille, mes amis et une vie stable. Ce qui me convainc de continuer, c’est la raison : nous avions pris un peu d’avance en Amérique centrale, ce qui nous permet, malgré ces contretemps, d’avoir encore la possibilité de traverser le continent en passant à la bonne saison les points critiques (hauts cols andins, salar d’Uyuni, Patagonie…), qui ne sont franchissables à vélo que quelques mois par an. Si nous rentrons maintenant, cette opportunité ne se reproduira probablement jamais. Ce serait vraiment dommage de faire une croix sur cette partie du voyage, qui promet à la fois des opportunités de camping sauvage dans des paysages grandioses, des routes intéressantes et des détours qui pourraient être l’objet d’un voyage à eux seuls. Depuis deux ans, l’Amérique du Sud est le véritable objectif, le reste n’étant qu’une sorte de long échauffement.

La solution la plus économique que nous trouvons consiste à nous rendre à Leticia, capitale de l’Amazonie colombienne, où nous pourrons embarquer sur un des bateaux qui transportent passagers et marchandises sur le fleuve Amazone, véritable autoroute fluviale de 3700km desservant 3 pays et plusieurs millions d’habitants, d’Iquitos au Pérou à Belem sur la côte brésilienne. Nous descendrons à Manaus, ville de 2,5 millions d’habitants en plein coeur de l’Amazonie, où nous enverrons la roue par la poste à Klaus, qui nous la renverra une fois les réparations terminées. Le plan est ficelé, ne reste plus qu’à le réaliser !

Trip le chat vérifie le bon emballage de la roue pour le voyage à venir.

La suite dans le prochain article !