Au pays du café et des nuages

Sous les nuages

La descente depuis l’altiplano (environ 3000m d’altitude à cet endroit) à Orizaba (1250m) est incroyable. Très vite, l’air se charge d’humidité et la végétation devient réellement luxuriante. Le ciel est embrumé, la visibilité plus courte. Nous traversons de nombreux villages, minuscules et très pauvres. Comme c’est samedi, c’est aussi jour de mariage et de fête : tout le monde est dehors, les femmes en tenue traditionnelle, les hommes avec leurs plus beaux chapeaux. Nous passons sous les nuages et arrivons finalement à Orizaba fatigués, dans une atmosphère moite et grise. Quel changement : nous avons l’impression d’être dans un autre pays. L’architecture, l’humidité, la façon de s’habiller des gens, la musique : tout est différent. Même les couleur des peaux : Veracruz est l’état avec l’influence afro-mexicaine la plus forte. On pourrait presque être à Cuba. Le centre-ville est très populaire, voire carrément pauvre. La population est très dense et nous sommes fatigués, c’est inconfortable. Nous allons boire une bière bien fraîche dans un bar… Et nous nous rendons compte que si tous les (nombreux) bars de la rue ont des rideaux, c’est pour cacher ce qu’il s’y passe : les borrachos (ivrognes) descendent bière sur bière en parlant fort pendant que les prostitués en tenues fluorescentes patientent dans les bars et devant les hôtels, le regard perdu dans l’écran de leurs smartphones devant le défilé indifférent des paysannes descendus en ville vendre leur maigre production.

Le long de la rivière d’Orizaba, des enclos hébergent des animaux sauvages qui ont été « sauvés » du braconnage et de maltraitances. La relation très proche entre les singes araignée et le personnel qui nettoie leur cage à ce moment là nous fait sourire. Puis arrivent les grands animaux. Jaguars, ours, autruches… Tous tournent en rond, l’air fou. Ils ont l’air bien mal en point…. Attristés, nous partons.

Orizaba est la ville à l’ambiance la plus étrange que je n’ai jamais vu. C’est une destination de vacances pour les mexicains, avec parcs à thèmes, téléphérique, jeux pour enfants etc. De ce côté là, on pourrait presque être dans une ville de la côte languedocienne ou vendéenne. Mais cet aspect cohabite aussi avec ce centre-ville très pauvre, peut-être le plus pauvre que nous ayons vu jusqu’à présent au Mexique. De l’autre côté du zocalo, l’ambiance change du tout au tout : les prostituées, guitaristes de rue et paysans pauvres cèdent la place aux restaurants végétariens, cafétérias, boutiques naturistas, maisons avec jardin, garages et grosses voitures, très à l’américaine. De ce côté-ci de la ville, j’ai l’impression d’être à La Paz. L’impression que me donne Orizaba c’est d’être un condensé dans un très petit espace de tout ce qu’est le Mexique : le tourisme vert et culturel côtoie le tourisme de masse, l’extrême pauvreté côtoie l’opulence, l’agriculture (café, fruits) côtoie l’industrie (notamment la plus grande brasserie Heineken du monde)… Et il suffit de traverser une rue pour passer de l’un à l’autre.

À peine arrivés à Orizaba, une vague de chaleur touche le pays. Au fil des jours, l’air et les plantes s’assèchent, il ne pleut pas et le ciel ne se couvre plus l’après-midi. Il fait de plus en plus chaud, jusqu’à 39 degrés ressentis. Elisa souffre de la chaleur et je commence à déprimer de nouveau. J’ai lu qu’El Niño avait pris la place de La Niña, et que toutes les projections des experts laissaient à penser que ce serait un « super El Niño ». Ce qui veut dire chaleur et sécheresse sur le Mexique et le littoral du Pacifique, épidémies de dengue, et à l’inverse pluie intense sur la côte Caraïbe. Moi qui attendait la pluie depuis si longtemps, qui était heureux de voir ces paysages verdir… J’ai peur que ma joie soit de courte durée. Je suis triste aussi pour le Mexique, qui va traverser une période difficile. Bien qu’El Niño soit un phénomène naturel, sa combination avec le réchauffement climatique global rend les choses plus compliquées encore. Alors que les 3 années précédentes étaient des années La Niña, théoriquement humide, certaines régions du pays comme Monterrey (ville la plus riche et industrialisée) étaient déjà en difficulté par rapport à l’eau. Je commence à nouveau à douter de mon envie de continuer. Pour que le voyage soit motivant, il faut un équilibre entre effort et récompense. L’avantage du voyage à vélo est qu’il permet de bien doser les deux. Le vélo procure certaines formes de récompense : les endorphines liées à l’effort, l’euphorie de la liberté, la nature, la solitude et les rencontres. Lorsque nous arrivons dans une ville, nous pouvons à nouveau profiter des plaisirs urbains : dormir dans un lit, goûter des bons plats, apprendre et se divertir, faire d’autres types de rencontres et tout simplement se reposer. S’il n’y a que l’un, comme dans le nord du Canada, c’est frustrant : on a l’impression de faire tous ces efforts pour rien. S’il n’y a que l’autre, on se lasse : les villes et les rencontres s’enchainent trop vite, on n’a pas le temps de les digérer. Depuis le centre du Mexique, c’est un peu comme ça. À l’heure actuelle, j’ai besoin de passer plus de temps dans la nature. Mais la météo difficile va rendre la partie vélo plus dure aussi, et les paysages peut-être moins beaux. Aussi, l’angoisse climatique me rattrape. Notre monde est en train de se casser la gueule, les prix explosent, la nature meurt et je suis là à faire du vélo et à me prendre tout ça dans la tronche, à être à la fois témoin et victime de part ma vulnérabilité de voyageur à vélo, aux premières loges du changement. À court terme le voyage va être plus dur. Ai-je envie de continuer quand même ? Je pense qu’il le faut, au moins pour ne pas avoir de regrets, quitte à jeter l’éponge plus tard si nous ne prenons vraiment plus de plaisir.

Mi tierra Veracruzana

Après plus d’une semaine à Orizaba, la vague de chaleur est toujours bien installée et il n’est pas prévu que les températures descendent. Nous décidons de monter en altitude. Plusieurs voyageurs à vélo avec qui nous sommes en contact, notamment Daniel et Heidi et Cass du blog While Out Riding ont gravi le massif du Pico de Orizaba, plus haut sommet du Mexique où se trouve la plus haute route d’Amérique du Nord à 4500m d’altitude. Il doit faire frais là-haut… Malgré notre forme physique très moyenne, nous décidons de le tenter. Nous partons tôt d’Orizaba pour éviter les grosses chaleurs et faire une première étape jusqu’à Coscomatepec, à 3000m d’altitude, pour évaluer nos forces. 1000m d’ascension pour cette première étape, qui nous emmène à travers des plantations de café par des petites routes de terres magnifiques. Malgré tout, il fait chaud. Nous dépassons l’étage des caféiers et arrivons sur un plateau agricole où poussent le maïs et la canne à sucre. Si l’altitude nous fait au moins échapper à l’humidité, il fait toujours plus de 30 degrés à 3000m et le ciel reste d’un bleu immaculé toute la journée malgré la saison des pluies qui est déjà bien avancée. Elisa est encore un peu malade… L’ascension de la Sierra Negra va être vraiment trop difficile dans ces conditions. Nous décidons de rester quelques jours dans le coin, où les températures sont au moins supportables, le temps qu’Elisa récupère. Puis nous redescendons dans la fournaise, encore plus bas qu’à Orizaba. La route qui nous mène à Cordoba est jolie, nous repassons à travers les plantations de café mais cette fois-ci en descente. Nous avons repéré une rivière où il est possible de camper. L’eau bleu azur laiteux est fraîche et malgré les moustiques, l’endroit a un charme fou. À la nuit tombée, les lucioles viennent danser autour de notre tente, l’ambiance sonore est digne de la jungle et l’on voit les étoiles. Nous sommes bien.

La vague de chaleur est sensée s’arrêter le lendemain, nous décidons de passer une journée à Cordoba en attendant que les températures baissent pour reprendre la route. La ville n’a aucun charme et semble revenir de loin. Beaucoup de gens semblent surpris de nous voir et nous demandent ce que nous faisons ici. L’Etat de Veracruz a parait-il connu une violente guerre des cartels les décennies précédentes, est-ce lié ? En ville, des affiches promeuvent la « renaissance touristique » de Cordoba. En tout cas, le nombre de cafés de spécialité (cafétérias proposant une sélection de cafés et de méthodes d’extraction hauts de gamme) par habitants est juste indécent et le coût de la vie, comme dans le reste de la région, très bas. Malgré ça, on dirait que nous sommes les seuls touristes… Pourtant la région est chouette et malgré les conditions météo pas optimales du moment, c’est certainement un de nos endroits préférés au Mexique.

La boucle autour du volcan Citlaltepetl est documentée par Cass Gilbert sur son blog et sur bikepacking.com

La chanson Mi tierra veracruzana est de Natalia Lafourcade, chanteuse originaire des montagnes de Veracruz à quelques kilomètres d’Orizaba

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