Pérou – Cordillera Blanca

Huaraz

Huaraz est très certainement dans le top 5 des villes les plus laides que j’ai eu l’occasion de visiter. Détruite par un violent tremblement de terre en 1970, elle a été reconstruite de manière moderne (pour l’époque) les années suivantes. Ses rues ne sont que des alignements de bâtiments en béton, fonctionnels et sans véritable style. C’est aussi la première ville véritablement touristique que nous voyons au Pérou. Les gens ne viennent bien évidemment pas ici pour l’architecture, mais pour la montagne : Huaraz est située au pied des Cordilleras Blanca et Huayhuash, réputées mondialement pour la randonnée et l’alpinisme.

Si Huaraz est franchement moche, elle est idéalement située sur notre route, environ 3 semaines après Cajamarca et 3 semaines avant la prochaine grande ville. J’évoquais dans mon article précédent que les supermarchés sont rares au Pérou, et si les marchés permettent de se ravitailler de manière presque complète, certains produits peuvent être un plus difficiles à trouver dans les petites villes, surtout à bon prix. Les fruits secs et beurre de cacahuète, qui constituent une part importante de notre apport en protéines sur la route et dont nous transportons généralement des réserves suffisantes pour au moins une semaine. Et bien sûr les produits « de luxe », pas indispensables mais qui font plaisir pendant les quelques jours que nous passons en ville : café potable, granola…

À Huaraz nous nous fions aux recommandations de la communauté des voyageurs à vélo et allons directement à l’hostel El Tambo, géré par Mariela, hôte très sympathique qui fait des bons gâteaux. Nous y formons un petit groupe de voyageurs à vélo avec Ben le suisse (avec qui nous roulions depuis quelques jours), Kenny et Stephanie que nous croisons régulièrement depuis Bogota et Zach depuis le Guatemala. Nous croisons régulièrement d’autres voyageurs à vélo depuis la Colombie, mais au Pérou on se croirait presque sur la Loire à vélo. Comme souvent au dans ce pays, l’hostel est un repaire de francophones et nous y rencontrons plein de savoyards, lyonnais et grenoblois. C’est amusant de constater comment chaque pays attire certaines nationalités, et comment à l’intérieur d’un même pays certaines zones vont attirer des gens de régions différentes : on retrouve surtout des rhonalpins dans les montagnes et des bretons sur la côte… Cela fait déjà un moment que notre intérêt pour les villes se limite à quelques choses simples : se reposer, être propre, manger bien, avoir accès à internet, retrouver des amis et rencontrer de nouvelles personnes. Huaraz est peut-être moche, mais cet hostel coche toutes cases et nous y restons un peu plus longtemps que prévu.

Elisa et son chat à Huaraz

Pastoruri

Après Huaraz nous allons traverser une troisième fois la Cordillera Blanca (puis une quatrième pour rejoindre Oyon). Nous passons cette fois-ci dans le secteur du glacier Pastoruri. Ce glacier facilement accessible par la route abrite occasionnellement des compétitions de ski, probablement les seules organisées aussi proche de l’équateur. Malheureusement il fond à vue d’oeil et est supervisé par des experts du réchauffement climatique. On estime qu’il aura entièrement disparu dans une quinzaine d’années… Ce qui risque de poser des problèmes d’approvisionnement en eau pour les vallées alentours. En attendant, les communautés de la région dépendant fortement de l’apport économique du tourisme, on peut maintenant prendre l’avion puis un bus ou un taxi pour venir constater soi-même les effets du réchauffement climatique.

Nous pensions avoir atteint le summum en termes de paysages lors de notre traversée du Huascaran, mais force est de constater que c’est toujours aussi beau. Les profondes vallées glaciaires laissent ici la place à des paysages plus ouverts. Le regard porte plus loin et nous voyons, parfaitement alignés avec nous, les deux pics du Huascaran au nord qui dominent le paysage du haut de leurs 6768m et le massif du Huayhuash au sud, couronné par le Yerupaja et ses 6635m. Nous avons une petite pensée pour notre ami Ben qui est actuellement en randonnée là-bas, quelque part.

Nous croisons un cycliste brésilien qui nous conseille un spot de bivouac au bord d’un lac, quelques kilomètres plus loin. Nous pensions monter le camp de l’autre côté du col pour n’avoir plus qu’à descendre le lendemain. Mais c’est tellement beau, grandiose et désert que nous nous laissons séduire par son idée. En nous rendant au lac, nous dépassons Kenny et Stephanie. Ils se sont aussi laissé séduire par l’endroit, il est 14h et leur tente est déjà installée. À peine la notre montée un peu plus loin, le ciel commence à se couvrir, la température baisse… Et le ciel explose, déversant sur nous une longue averse de grêle. Nous n’aurons finalement pas tant profité du paysage, mais au moins on est au sec et au chaud.

Le lendemain matin, la surface du lac est gelée. Nous avons entendu toute la nuit des stalactites se décrocher dans un grand fracas du glacier situé quelques dizaines de mètres plus haut. Le col vers lequel nous nous dirigeons est couvert d’une fine couche de neige, ainsi que tous les pics à l’horizon. Il fait froid mais c’est trop beau. Encore une grosse montée d’endorphines… Je suis euphorique.

Dans la vallée

Nous rejoignons Kenny et Stephanie au col. À partir de là c’est une interminable descente de 50km. Bienvenue sur la Peru Divide : le profil des semaines à venir sera toujours plus ou moins le même : 50km de montée et 1500 à 2000m de dénivelé positif, suivi d’un peu de « plat péruvien » (une succession de montées et descentes moins longues), puis autant de descente.

La section suivante est un peu moins intéressante. Plus basse, plus peuplée. Nous traversons des canyons ponctués de villages. Nous croisons régulièrement Kenny et Stephanie, ce qui rend les choses plus agréables. Mais Elisa ne se sent pas très bien physiquement. Maux de ventre, ballonnements… Vivement qu’on arrive à Oyon pour faire une pause.

Depuis l’Equateur nous avons un peu plus de mal à connecter avec les gens que nous croisons. Dans cette partie du Pérou particulièrement, les interactions ne sont pas toujours très agréables. On dirait que les gens d’ici n’ont que deux mots de vocabulaire : « gringo », et « dónde ». Qu’ils nous hurlent dessus ou chantonnent d’un air moqueur. Ce qui a tendance à m’énerver un peu… La stratégie que j’ai trouvé est de leur répondre la même chose sur le même ton. Ça ne sert à rien, ils me prennent pour un débile, mais au moins ça détend l’atmosphère. À Baños nous demandons à la dame du restaurant où nous mangeons si elle peut nous remplir nos gourdes. Ce qu’elle fait, avant de nous demander 3 soles. C’est la première fois qu’on nous demande de payer pour de l’eau, mais « ici on fait payer pour tout, surtout aux gringos ». À Oyon, alors que nous rentrons dans une tienda, les deux hommes derrière le comptoir ne répondent pas à notre « Buenos dias » mais se mettent à chanter « gringo, gringo » en riant, s’interrogent entre eux sur notre nationalité (allemands ou italiens, comme d’habitude) et font des commentaires sur le physique d’Elisa, totalement indifférents au fait que nous parlons espagnol et comprenons tout ce qu’ils disent. On s’en va avant que j’explose. J’ai encore une longue liste d’anecdotes témoignant de cette difficulté à établir le contact, certaines heureusement plus amusantes que désagréables… J’ai d’abord pensé que cela était dû au manque d’éducation, la région étant très enclavée : quelques semaines plus tôt, dans la région de Cajamarca, nous avions rencontré des enfants qui devaient marcher deux heures pour aller à l’école, et autant pour en revenir… Mais là-bas au moins les gens étaient plutôt curieux et bienveillants. J’ai aussi pensé au fait que l’espagnol n’est pas la langue maternelle de ces gens, qui parlent quechua entre eux. Ils ne sont pas habitués à entendre d’autres accents que le leur et ont donc peut-être plus de mal à nous comprendre. Mais c’était déjà le cas dans certaines régions du Mexique, d’Equateur et partout ailleurs au Pérou, et jamais nous n’avons été confrontés à de tels comportements dans d’autres endroits.

Raura

Si la partie précédente était un peu moins excitante en termes de paysage, nous finissons enfin par arriver à nouveau sur un altiplano désert, parsemé de quelques bergeries et grands lacs. La route s’engouffre dans une étroite vallée pour monter vers le dernier col. Il y a beaucoup d’eau, on pourrait se croire dans un fjord en Norvège ou en Patagonie. Nous décidons de camper un peu avant le sommet pour n’avoir qu’une petite journée le lendemain jusqu’à Oyon. La vue est magnifique. Malheureusement, le lendemain matin Elisa est vraiment malade. Impossible de pédaler, la petite montée se transforme en longue marche en poussant le vélo…
Ce qui nous laisse le temps d’admirer une gigantesque opération minière, qui s’étale des deux côtés du col, de 4500m d’altitude à 4900m environ. Signal 4G à bloc, hôpital, terrain de foot, logements, beaucoup de greenwashing (plantations d’arbres, panneaux demandant de ne pas jeter ses déchets etc), usine d’eau potable… C’est vraiment impressionnant et contraste énormément avec les communautés d’éleveurs traversées quelques km plus bas, totalement délaissées, ainsi qu’avec les opérations minières plus « artisanales » que nous avons pu voir auparavant dans la région de Cajamarca. Ici tout le monde porte des équipements de sécurité, l’alcool est interdit et, chose rare au Pérou, les conducteurs roulent de manière très prudente et respectueuse. J’ai toujours été fasciné par ce genre d’endroit, cette combinaison d’industrie, d’environnement rude et de travail en plein air. L’industrie minière détruit le paysage, pollue la montagne et l’eau des villages en amont et est en général très mal acceptée par la population locale pour ces raisons, au Pérou comme partout dans le monde. Pourtant je ne peux pas m’empêcher de penser que je me verrais bien travailler ici, dans ce milieu rude, grandiose et un peu post-apocalyptique.

Oyón

Nous avions initialement prévu de nous reposer un jour voire deux à Oyon, mais Elisa étant vraiment mal en point nous y restons finalement trois jours. Qui tombent juste au moment des festivités du 15 août. Ça tombe bien : il n’y a pas grand chose à faire dans cette petite ville minière et c’est l’occasion de découvrir les traditions locales. Comme au Mexique, au Pérou on aime le bruit : les fanfares déambulent dans les rues dès 5h du matin et ne s’arrêtent que vers 23h, accompagnant des groupes d’hommes qui se relaient pour balader la vierge Marie. Le catholicisme andin est fortement tinté de croyances préhispaniques. La vierge porte une grande Lune argentée, montrant ainsi qu’elle n’est qu’une autre représentation de Mama Quilla, déesse de la Lune, des femmes, des cycles et du carnaval et principale divinité féminine du panthéon Inca. Plus tard j’aurais une discussion avec un berger, qui m’expliquera que Dieu a créé les humains a plusieurs endroits : les blancs en Palestine, les noirs en Arabie et les américains au lac Titicaca. Encore une forme de mélange entre le christianisme et les anciennes croyances préhispaniques, qui permit au espagnols d’expliquer leur religion aux Incas en « traduisant » ses concepts par d’autres proches et compréhensibles pour la population locale, afin d’obtenir son adhésion.

Découvrir ces festivités dans un endroit tout sauf touristique est une véritable chance. Mais au bout de 3 jours à entendre toujours le même air joué sans interruption 18h par jour, on se lasse. D’autant plus quand Elisa est malade. Sa situation ayant plus tendance à empirer qu’à s’améliorer, elle décide de ne pas continuer la Peru Divide. Elle a la possibilité de prendre ici un bus pour Lima puis Cusco. Nous avions déjà évoqué cette possibilité auparavant, je vais donc continuer en solitaire pendant qu’elle se repose, retrouve la santé et profite d’une vie un peu plus urbaine qui commence à lui manquer un peu. Je me donne deux semaines pour la rejoindre : je vais devoir envoyer.

A bientôt pour la suite des aventures péruviennes 🙂

Pérou : premières impressions

Nos attentes concernant l’Equateur étaient trop précises et malgré de jolis paysages et des routes agréables, nous n’avons pu nous empêcher d’être déçus. Nous avons alors écourté notre traversée de ce pays en prenant un bus pour rejoindre plus rapidement le Pérou. Pour ce nouveau pays au moins, pas de risque d’être déçus : s’il fait rêver et attire des millions de touristes chaque année (en particulier des français), nous n’y aurions probablement jamais mis les pieds s’il n’avait pas été sur notre route. Tout ce que je savais du Pérou, c’est que la côte est aride et réputée désagréable, que les gens y vont pour la montagne, le Machu Picchu et la culture inca. Je suis plus mer et forêt que montagnes, et en termes de culture pré hispanique, nous avons eu notre compte au Mexique et au Guatemala. Autant dire que mes attentes n’étaient pas très élevées. Deux choses éveillaient cependant ma curiosité : les nombreux voyageurs à vélo qui vantaient ses routes incroyables et ses paysages spectaculaires et la cuisine péruvienne, réputée une des meilleurs du monde et combinant des produits agricoles très variés issus de l’incroyable diversité de climats du pays avec des influences préhispaniques, européennes et asiatiques.

Cajamarca

Nous arrivons à Cajamarca à la tombée de la nuit après presque 24h de bus. Depuis l’Equateur les paysages ont changé de manière brutale : nous passons du vert et humide au plus que sec, totalement plat, pollué… Le changement de bus à Chiclayo est notre premier contact avec l’ambiance des villes péruviennes : le chaos organisé de tuktuks et klaxons, les vendeurs ambulants criant leurs messages et le bleu du ciel nous rappellent le Mexique. Je resterais bien une nuit ici, pour prendre la température. Mais nous décidons finalement de rester sur notre projet initial et d’enchaîner immédiatement avec le bus pour Cajamarca, qui après avoir longé la côte sur quelques kilomètres s’engouffre dans une vallée, ou plutôt un étroit et haut canyon, pour monter vers Cajamarca. À nouveau nous avons une pensée pour le Mexique : cactus, agaves, vautours… C’est assez grandiose et pourtant je ne peux m’empêcher d’avoir une petite appréhension : c’est très sec, je préfère les paysages verts et humides… Vais-je réussir à apprécier ?

Nous tombons immédiatement sous le charme de Cajamarca, où nous retrouvons cette ambiance un peu bordélique que nous aimons et qui manquait à Cuenca, si propre, si riche et organisée. Les femmes indigènes d’ici portent de magnifiques chapeaux, immenses et grandioses. Nous apprendrons plus tard que ce sont les espagnols qui ont importé cette culture du chapeau, imposant à chaque peuple indigène un style afin de les reconnaitre. Le marché est un véritable labyrinthe s’étalant en intérieur et en extérieur sur plusieurs rues. Son ambiance me fascine et j’y erre sans autre but que de m’en imprégner. C’est sale, bordélique et tout est très bon marché… J’adore !

Ce qui change par rapport aux autres pays, c’est la diversité du marché : on trouve absolument tout. Les supermarchés sont encore peu développés au Pérou en dehors des très grandes villes et de la côte et tout se passe au marché central. On trouve une diversité de noix et fruits secs que nous n’avions pas vu depuis l’Espagne et à très bon prix. Cacahuètes, amandes, fèves grillées, noix de cajou, noix d’Amazonie, raisins secs…

Côté frais c’est aussi l’abondance : on dirait que cette région produit absolument tout. Pommes, poires, raisin, ananas, papaye, avocats, mangues, citrons, grenades et des herbes et fleurs comestibles fraîches en abondance… C’est fou ! Au niveau du sec, même constat : maca, coca, cacao, café (de bonne qualité), quinoa, maïs sous toutes ses formes, pois, lentilles, haricots de toutes les couleurs… Le pain est également étonnamment bon : enfin un pays sur ce continent qui sait faire du pain avec du levain, a un prix local. Comme quoi, c’est possible. C’est fou que du Canada à l’Equateur les gens se contentent de pain sucré, à la levure et sans aucune texture. Seul bémol : il n’est pas toujours très frais… Il faut avoir l’oeil et repérer les horaires des nouvelles fournées (souvent en fin d’après-midi). Mais quand il est frais c’est un régal : on dirait une version petite et ronde de la baguette tradition, avec des variantes à base de différentes farines (maïs et farine complète la plupart du temps). Nous pourrions probablement rester une semaine à Cajamarca, juste pour aller au marché, cuisiner et manger…

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Pedro, notre hôte de Cuenca, nous a mis en contact avec Laure et Matteo, couple de voyageurs franco-suisses qui se trouvent actuellement à Cajamarca. Ils sont partis de Suisse il y a juste un an, ont traversé l’Atlantique à la voile et ont commencé à pédaler sur ce continent à Bogota. Ils n’ont pas rencontré beaucoup d’autres voyageurs jusqu’à présent et aimeraient un peu de compagnie. Leur style est différent du nôtre : ils ne vont jamais à l’hôtel, ne prennent pas de bus. Ils sont tous les deux profs et leur motivation est de visiter des écoles où ils racontent un conte pour sensibiliser les enfants à la biodiversité et s’imprégner de différentes méthodes d’enseignement, dans le but d’ouvrir une école alternative à leur retour. Elisa était un peu réticente à l’idée de voyager avec d’autres gens au début, mais le feeling passe bien et nous décidons de prendre la route ensemble. Ce qui ne signifie pas que ça va fonctionner une fois sur la route : on peut très bien s’entendre lorsque l’on est posés quelque part, mais avoir des rythmes et des fonctionnements différents sur la route, où la fatigue et les difficultés rendent tout beaucoup plus intense émotionnellement. Nous en savons quelque chose, ça clash souvent entre Elisa et moi lorsque nous roulons. Nous verrons bien si ça colle avec Laure et Matteo !

De Cajamarca à Caraz

Depuis que nous sommes repartis de Bogota, Elisa a beaucoup de mal et n’a plus tellement la motivation. Physiquement, la reprise est difficile et les routes colombiennes et équatoriennes ont des pourcentages qui ne pardonnent pas. Surtout quand on est en plus affaiblis par un parasite… Rouler avec d’autres gens, qui plus est qui vont au même rythme que nous l’aide à retrouver la motivation.

Ce premier spot de bivouac au Pérou est juste parfait. Les paysages tout au long de la journée n’étaient pas forcément ma tasse de thé : agricoles et très sec, une combinaison que je n’apprécie pas trop. Mais le soir, nous arrivons à près de 4000m d’altitude à un petit lac au milieu d’une forêt de pins. Des petits airs d’Espagne voire de Jura d’après Elisa… à peine arrivés, il commence à pleuvoir. La pluie combinée au froid met vite fin à la soirée et nous cuisinons et mangeons chacun dans notre tente. Nous repartons tranquillement le matin. Nous roulons à travers des exploitations de pin. Ce n’est normalement pas trop le genre de paysages qui m’enchantent, mais le chemin est vraiment particulièrement agréable en termes de vélo, avec ses pentes douces, ses arbres en travers qui empêchent tout véhicule motorisé de passer et ses quelques sections de singletrack très faciles et confortables.

Comme nous apprenons encore à nous connaitre avec Matteo et Laure, nous passons beaucoup de temps à discuter et avançons très lentement. Nous pensions arriver au premier village avant midi et pouvoir faire des courses, mais à l’heure du déjeuner nous en sommes encore loin… Il va falloir prévoir de transporter un peu plus de nourriture les jours à venir. Nous trouvons encore un bon spot de bivouac, cette fois dans une pampa en friche, avec l’accord du voisin. La lumière du soir est magnifique, c’est la même lumière rose-violet qu’en Basse-Californie et sur la côte Pacifique d’Amérique centrale, et l’air très sec et la quasi absence de pollution lumineuse rend les nuits étoilées incroyables.

Le lendemain est une petite journée jusqu’à Cajabamba, où nous attendent Maycol et Gisela, couple de couch surfers qui vont nous héberger pour la nuit. À peine arrivés chez eux (un peu en retard…) ils nous proposent de les accompagner à leur chacra (petite parcelle agricole partagée par la famille). C’est samedi après-midi, toute la famille est là, pour semer les pommes de terre et passer un moment convivial ensemble en plein air. Nous goutons le chiclayo, sorte de compote de courge spaghetti. Apparemment c’est le plat traditionnel des travaux agricoles dans la région. Le soir, Maycol sort chercher un « postre » (dessert)… et revient avec du poulet-frites pour tout le monde… Nous ne voulons pas froisser nos hôtes et le repas étant déjà servi, nous gardons pour nous le fait que nous ne mangeons normalement pas de viande. S’en suis une discussion sur la cuisine péruvienne, qui serait parait-il la meilleure du monde, avec le vin le plus fin (archi faux). Lorsque nous demandons à Maycol quel sont le meilleurs plats péruviens, il nous répond : ceviche et poulet frites… ça promet.

Notre hôte de Cajamarca nous avait prévenu que la route de Cajabamba a Huamachuco était très poussiéreuse et un peu dangereuse, nous pensons donc faire du stop… Finalement c’est certes une route pavée, mais en très mauvais état, pleine de nid de poules. Il y a très peu de circulation, ça roule assez doucement et bien que les paysages champêtres n’ont rien d’exceptionnels, ils sont loin d’être moches. Encore une fois, nous découvrons que le concept d’hygiène n’est pas encore arrivé dans ce coin du Pérou, malgré la pandémie qui s’est terminée il y a seulement deux ans. Devant une maison, plusieurs familles cuisinent dehors, par terre, au milieu des cacas de chien et dans un nuage de poussière soulevée par les gros camions qui passent… Puis un monsieur me sert la main avant de m’annoncer fièrement qu’il a la grippe… Nous avons redécouvert la poignée de main en Equateur, dans tous les pays précédents elle avait disparu. Nous avons en même temps découvert les vaches (et les humains) qui chient partout en montagne, jusque dans les sources d’eau potable sans que cela semble gêner personne, ainsi que les chiens qui se baladent dans les marchés et pissent au milieu des étals de fruits et légumes. Il paraît que la Bolivie est encore pire, ça promet.

L’heure tourne et nous n’arrivons toujours pas. Je commence à m’impatienter, j’ai vraiment envie de découvrir Huamachuco, notre destination du jour avant la tombée de la nuit pour pouvoir prendre quelques photos. Il parait que c’est joli. Je trace les derniers kilomètres. Ce qui est chouette maintenant que nous roulons avec d’autres gens plus lents que moi, c’est que je peux sans trop d’inquiétude laisser Elisa plus loin derrière et avancer à mon rythme. S’il lui arrive quelque chose, je sais qu’elle ne sera pas seule. C’est assez grisant de pouvoir me faire ces petits challenges, tout donner sur les 10 derniers kilomètres et prendre réellement du plaisir à pédaler et pas seulement à voyager.

Nous nous retrouvons sur la Plaza de armas, décorée de drapeaux péruviens (la fête nationale est dans quelques jours), avant de rejoindre ensemble la casa ciclista de Huamachuco, propriété de Mako et sa famille. Nous campons dans le joli patio, où nous retrouvons Vlad, backpacker russe émigré sur la côte de Oaxaca, et Celestino, cyclo argentin sur la route du retour après être monté de chez lui jusqu’en Equateur. L’endroit est chouette, les gens sympas et après seulement 3,5 jours de vélo, nous sommes déjà tous un peu fatigués. C’est la reprise ! Nous décidons donc de prendre une journée de repos le lendemain. Qui est l’anniversaire de Mako. Il nous fait la surprise de nous inviter le soir à prendre « un thé », qui encore une fois semble être un un nom de code pour « poulet frites ». Obligés de manger de la viande à nouveau, et de boire de l’alcool (un verre de vin péruvien « semi-seco », beaucoup trop sucré pour un demi sec). Mais l’intention est belle et nous passons un moment agréable.

Celestino est un véritable McGyver qui connait toutes les plantes comestibles locales et sait tout faire avec ses mains, comme par exemple réparer le réchaud à essence cassé de Matteo et Laure. Nous apprenons qu’il prévoit aussi de partir le lendemain et de suivre la même route que nous. De mon côté, rouler avec Matteo et Laure me pèse un peu. Je les apprécie, mais nous n’avons pas la même notion d’espace intime, ni le même rythme, ni même de manière générale la même façon de voyager. Mais Elisa sent qu’elle a besoin de leur compagnie, qui l’aide à retrouver le moral et à apprécier l’aspect vélo du voyage, qu’elle n’arrivait vraiment plus à aimer depuis l’Equateur. Je prends donc sur moi et accepte que nous continuions ensemble, à condition de pouvoir rouler un peu plus souvent seul et à mon rythme.

Laure, Matteo et Celestino partent tôt le lendemain matin. Ils veulent s’arrêter dans une école raconter leur conte. Nous en profitons pour nous lever un peu plus tard et rouler à notre rythme. L’objectif étant de se retrouver à la Laguna Larga, spot de bivouac prometteur à 4000m en fin d’après midi. À peine sortis de la maison, nous croisons Ben, qui vient tout juste d’arriver à Huamachuco. Il a passé la nuit précédente à un lac quelques kilomètres avant la ville. Nous lui proposons de se joindre à nous et faisons la route ensemble jusqu’au spot, qui est effectivement magnifique. Ce soir nous sommes 7 cyclistes à camper ensemble, du jamais vu pour nous jusqu’à présent. Paradoxalement, le fait d’être un plus grand groupe me rend la chose plus facile. Etant introverti j’ai besoin de beaucoup de temps pour moi et je peux plus facilement me mettre en retrait et avancer à mon rythme quand j’en ressens le besoin et participer aux interactions quand j’en ai envie.

Pendant la nuit, le vent souffle fort, secouant les tentes et faisant chuter la température. Tout le monde dort mal. En ce qui me concerne ce n’est pas tant le froid et le bruit qui me gènent, mais plutôt le mal de ventre qui me reprend… Nous sommes au milieu de nulle part, je soupçonne que c’est le parasite qui se réveille après presque trois semaines de silence et je n’ai pas de médicaments. J’espère que ça va passer…

Le lendemain, nous passons toute la journée autour de 4000m d’altitude. Il n’y a quasiment aucun dénivelé et si cela me semble facile, le groupe est désespérément lent… Ben nous annonce qu’il n’a pas pris de jour de repos depuis Cajamarca, je compatis et admire à la fois. Je n’en mènerais probablement pas plus large à sa place, mais c’est un challenge que j’aimerais relever un jour. À notre arrivée à Caraz, il aura roulé 8 jours d’affilée (en faisant des journées plus longues que les nôtres avant de nous retrouver).

Arrivés au point le plus haut de la journée, nous voyons enfin les sommets enneigés de la Cordillera Blanca à l’horizon. Depuis Huamachuco, au sommet de chaque bosse j’espère les apercevoir, et c’est enfin le moment. Nous décidons de faire une petite photo de groupe pour l’immortaliser. Nous sommes à 4000m d’altitude et les 100 prochains kilomètres vont nous amener en une longue descente au fond d’un canyon à 500m. Ça promet.

En théorie c’est une journée entière de descente. Comme la veille, mes douleurs abdominales disparaissent le matin et je peux rouler normalement. La descente dans le canyon est magnifique, nous commençons par une route bitumée en lacets avant de rejoindre une piste défoncée à flanc d’un canyon percé de nombreux camps et tunnels de petites opérations minières très certainement illégales et aux conditions ultra précaires. Des hommes aux visages noirs de charbon, sans aucun équipement de sécurité percent la montagne à coup de dynamite pour en extraire les minerais. La richesse du sol a attiré dans les montagnes des individus pas toujours très recommandables et engendré des pratiques issues des rêves les plus doux de Javier Milei, dignes du Far West au temps de la ruée vers l’or ou d’une dystopie à la Walking Dead. Exploitation humaine (pour ne pas dire esclavage), spoliation, spéculation et criminalité qui en découle… Face à ces dérives, les villages ont mis en place des unité de « police indigène », sorte de milice d’autodéfense citoyenne qui fait la loi de manière expéditive et parfois très brutale pour compenser l’inutilité et la corruption de la police officielle. Mako, notre hôte de Huamacucho nous a raconté des histoires qui font froid dans le dos, à base d’assassinats, de torture et de représailles qui ont valu aux gens de la région une réputation de durs à cuire qui ne laissent rien passer. Depuis, la plupart des opérations minières de la région ont été légalisées et encadrées et la criminalité a baissé. Mais cette industrie conserve une très mauvaise réputation dans les communautés montagnardes, et nous avons parfois dû expliquer longuement que nous n’étions que des touristes et pas des prospecteurs à des bergers méfiants.

À la mi-journée le vent forcit : il souffle de la mer vers la montagne, ce qui veut dire que nous l’avons de face. Pas de bol, obligés de pédaler malgré la descente. Les véhicules qui passent soulèvent des nuages de poussière, et je commence à avoir un gros coup de barre, suivi de douleurs aiguës en particulier au poignet droit et au gros orteil gauche. Plus la journée avance et plus je suis mal physiquement. Combiné à la fatigue et à mon exaspération, je suis assez désagréable… Quand nous finissons enfin par trouver un spot de bivouac en bord de rivière, je suis au bout du rouleau. Je passe la soirée allongé dans la tente, impossible de manger ou de faire quoi que ce soit. J’ai de la fièvre, mal partout… Encore plus de cent kilomètres, cette fois en montée, avant Caraz et la première pharmacie. Ça va être dur… Heureusement nous allons rejoindre une route principale après une trentaine de km de descente. Je pourrais probablement trouver un bus ou un camion si besoin. Je suis KO, à 18h je m’endors profondément, bercé par le son de la rivière.

Après une grosse nuit de sommeil, je suis réveillé de bonne heure, miraculeusement frais et dispo. Je suis encore loin d’être à 100% mais largement en état de pédaler. Après 30km de descente, nous rejoignons la route principale. Bitume, pourcentages très tranquille et cette fois-ci vent dans le dos : ça avance tout seul. Heureusement, car à cette altitude sans le vent il ferait très chaud.

La route est jolie mais la combinaison bitume – légère montée est un peu ennuyeuse. J’en profite pour écouter des podcasts, chose que je n’ai pas fait depuis le Nicaragua…

J’écoute Joe Grant, coureur d’ultra marathon au parcours atypique. Je suis Joe depuis quelques années déjà et sa philosophie est une véritable inspiration pour moi. Il a débuté la course à pied comme moyen de transport alors qu’il voyageait aux USA et au Canada, comme un moyen de se déplacer rapidement, efficacement et sans argent alors qu’il avait 20 ans et était fauché. J’aime le minimalisme qu’il cultive depuis cet âge : il peut vivre avec le contenu d’un sac à dos de taille moyenne, juste un t-shirt blanc, un pantalon basique et une paire de baskets. Ce style neutre visant à ne pas donner de préjugés sur son apparence. Il évoque les débuts du Trail running il y a 20 ans, avant l’ère du matériel obligatoire et des gros événement commerciaux à plusieurs milliers de participants. Une véritable contre culture où le but était juste de prendre du plaisir dans la nature. Il raconte également son projet de relier en un mois, à pied et à vélo uniquement, les 58 pics de plus de 4200m de son état, le Colorado. L’approche mentale indispensable à ce challenge. Comment les premiers jours ont été très difficiles parce qu’il était trop focalisé sur les mauvais objectifs : l’aspect professionnel, communication, sponsors etc, et donc l’obligation de réussir. Et comment tout est devenu plus facile lorsqu’il a changé son état d’esprit pour se focaliser sur l’instant présent : voir la beauté dans la pluie et le vent plutôt que se focaliser sur l’inconfort qu’ils apportent, redevenir un animal focalisé sur ses besoins primaires : manger, boire, dormir, s’abriter. J’ai envie de mettre en pratique cette « approche animale » de Joe Grant. J’ai bien envie d’appliquer cette approche lors d’une future expérience en solo : rouler longtemps, de manière rude, animale. Une approche minimaliste, méditative et contemplative qui me plait. J’aime l’anecdote où il dit que quand il boit son café le matin, il boit son café. Et rien d’autre. Etre dans l’instant présent, sans se disperser.

J’écoute ensuite Nathan Pigourier (Nath’en roue libre) et Arnaud Manzanini, qui ont tous deux roulé jusqu’au Cap Nord en hiver. J’aime bien l’approche de Nathan, dont le projet était de ne rien dépenser pour se loger et s’alimenter, afin de provoquer les rencontres. Pour moi c’est quelque chose de difficile étant introverti, mais je reconnais que les rencontres sont indispensables au voyage. Seulement le vélo et les paysages, ça ne suffit pas : ce sont les autres qui nous inspirent, nous aident à comprendre les régions que nous traversons et nous font évoluer.

Finalement avec le bon vent dans le dos, la journée passe assez vite. Une dernière montée, cette fois abritée du vent et un poil plus raide nous achève. Quand le vent s’arrête, la chaleur devient pénible. Heureusement une bonne glace artisanale nous attends en haut. Ici sorbet se dit cremolada, et crème glacée helado. Et il est strictement interdit de mélanger les deux, tout comme il est strictement interdit de mettre un sorbet dans un cône… Les péruviens, contrairement aux autres latinoaméricains, sont un peu raides et savent très bien dire non. On ne peut pas non plus demander à remplacer la viande d’un plat qui a l’air appétissant par des oeufs. Pas de viande ? OK, mais alors pas de légumes non plus, ni de sauce. Juste du riz et des oeufs, et tout ça pour le même prix qu’un plat avec viande, légumes et sauce. Être végétarien dans ce pays demande du courage…

Caraz

Nous pensions ne pas trop trainer à Caraz, mais les premières nuits ne sont pas très reposantes. L’hostel de Juan Carlos où nous prévoyions d’aller est presque complet et nous partageons un lit simple pour deux avec Elisa (au moins c’est deux fois moins cher). La nuit suivante est complète et Juan Carlos se démène pour nous trouver un toit. Nous finissons chez Raul, couchsurfer avec qui Matteo et Laure étaient déjà en contact. Raul est convaincu que la cuisine péruvienne est la meilleure du monde. J’espère que le grand voyage en moto qu’il projette lui ouvrira les yeux. Il nous parle de son fils, qui a acheté une imprimante et monté un business de sérigraphie à Lima. Il a 21 ans et gagne 2000 dollars par mois… cette discussion fait écho à une autre que nous avions eu à Cuenca avec Pedro. Sur ce continent, le seul moyen de gagner sa vie semble être de travailler à distance pour une entreprise étrangère ou d’être son propre patron. Les salaires sont ridiculement bas, même pour des emplois utiles à la société, à moins d’être bon en politique et d’accepter la corruption pour finir à des postes à responsabilité… Raul a beau être un personnage intéressant, nous sommes un peu trop nombreux dans sa maison. C’est difficile de se reposer, d’autant plus qu’à 7h du matin il est dans la cuisine à préparer les brochettes pour son stand du marché avec son frère et une de leurs employées. Des coeurs, des poumons de vache et du sang trainent un peu partout, ça sent fort… Elisa, Ben et moi décidons de migrer vers un hôtel pas cher. C’est très calme. Nous ne faisons rien de la journée, profitons juste du silence. Après tous ces jours très sociables, ça fait vraiment du bien.

Le lendemain nous retournons à l’hôtel de Juan Carlos, où une chambre privée s’est libérée. Juan Carlos est un personnage intéressant également. À 50 ans, après avoir travaillé dans le social aux USA, dans le tourisme à Cusco et dans le webmarketing en Belgique, il a développé un certain regard sur la vie. Sa philosophie : avant 35 ans, il faut découvrir dans quel environnement on se sent bien et ce que l’on aime faire dans la vie. Il vaut mieux vivre heureux sans voir ses proches tous les jours que vivre triste près des siens. Son environnement c’est la montagne et le soleil. Alors qu’il bosse dans le webmarketing pour des hôtels péruviens, son hostel n’est ni sur google maps, ni sur booking, si sur aucune plateforme et n’a même pas une enseigne dans la rue. Juste une porte sans indication ni rien de particulier, que nous loupons d’ailleurs systématiquement à chaque fois que nous rentrons. Tout passe par les recommandations et le bouche à oreille, à l’ancienne. C’est un très petit hôtel, 10-15 voyageurs grand max, tous francophones ou presque. Tout le monde (Juan Carlos compris) mange à la même table le soir, l’ambiance est familiale et conviviale. Caraz n’est pas une jolie ville, il n’y a pas grand chose niveau services, mais cet hostel est vraiment un endroit très cool où il fait bon s’arrêter quelques jours et écouter les histoires de Juan Carlos, qu’il a vécues, entendues d’autres voyageurs et probablement un peu enjolivées.

À travers la Cordillera Blanca

À Caraz nous devons prendre une décision pour la suite. Elisa aimerait bien continuer avec les suisses. Quant à moi, bien que je les apprécie, j’ai déjà eu ma dose de voyage en groupe et j’aimerais bien continuer seulement à deux. Le compromis que nous trouvons est de partir très tôt pour pouvoir rouler un peu en solo.

Nous partons le 26 juillet, soit le vendredi du plus gros weekend des vacances (l’équivalent du 15 aout chez nous…). Pas très stratégique comme choix : nous nous faisons dépasser par des dizaines de bus qui nous couvrent de poussière à chaque fois. Dans les parcs, près des centre de visiteurs il y a des stands vendant de la nourriture et des souvenirs. On voit des gens passer avec des sortes de grands beignets plats. Ça nous intrigue, j’en prends un, fait gouter à Elisa et Ben… Et on finit par en acheter un chacun ! Nous venons de découvrir les charangas (ou charanguitas pour les intimes). 3 soles, bien chaud, ce qu’il faut de gras pour bien se caler. Avec une boisson de quinoa ce sera mon petit déjeuner préféré pour les matins froids d’altitude des semaines à venir. Nous arrivons au camping, spot sympa au bord de la rivière, au milieu d’une vallée glaciaire aux parois abruptes entourée de glaciers. C’est beau et rien que ce spot vaut déjà à lui seul d’avoir monté un peu plus de 1700m ce jour.

Puis c’est le départ à pied pour une petite randonnée de 2 jours. Première étape : le refuge Pisco, à 4780m d’altitude. En terme de distance c’est assez court, mais la combinaison pente raide / altitude / sac à dos ne facilite pas vraiment les choses. On dépasse un groupe de mexicains qui montent faire l’ascension du Pisco, un des sommets populaires du secteur. Ils sont en train de pic niquer avec bouteilles de pinard, cafetière… on n’a pas les mêmes priorités en termes de poids utile à porter !

Nous arrivons en milieu de journée à l’aire de bivouac, pendant que les suisses vont au refuge juste à côté. Elisa a un peu le mal des montagnes, elle en chie dans la fin de la montée. Je ne suis pas fier non plus… Nous sommes à 4750m. Dire qu’il va falloir redescendre à 3800m puis remonter un col à 4750m, ça va être dur ! Après une ou deux heures à faire la sieste dans la tente, je sens que je commence à m’acclimater, et décide de monter à un petit point de vue un peu plus haut (4850m) pour prendre des photos avec la lumière de fin d’après-midi. De l’autre côté de la vallée, je peux voir les lacets du col que nous allons emprunter pour continuer notre route après la rando… Il monte aussi haut que l’endroit où je suis actuellement. Ça va piquer.

Avec Elisa nous pensions partir tôt pour arriver à la Laguna 69 avant la foule, mais les matins sont frais à cette altitude… Nous découvrons à quel point se préparer prend beaucoup plus de temps dans le froid. On finit par décoller vers 8h30, en même temps que les suisses. La rando est absolument magnifique, à travers des paysages minéraux de haute montagne, entourés de glaciers qui paraissent si proches. Il n’y a pas un chat sur le sentier, juste nous 5 et les montagnes… En milieu de journée nous descendons vers la Laguna et c’est une autre histoire. Être ici le 28 juillet c’est un peu comme être sur la côte chez nous le 15 août… On marche à la queue leu leu avec des touristes péruviens en vêtements de ville et pas acclimatés, pour une rando qui fait quand même 16km, avec plus de 1000m de D+ et monte à 4700m… autant dire qu’entre les gens qui font des malaises à cause de l’altitude, ceux qui font attention à ne pas renverser leur gobelet de chicha et ceux qui glissent avec leurs semelles plates, ça avance moins vite que prévu. Nous retrouvons le camping le soir et fêtons l’anniversaire de Ben avec un feu de camp et des chamallows grillés. Une belle soirée qui conclut deux journées magnifiques.

Nous récupérons nos vélos le lendemain, et Matteo et moi nous rendons compte que nous avons des trous dans nos sacoches… Des souris sont passées par là. Elles ont fouillé dans tous mes sacs, pour au final ne grignoter qu’un petit bout à chaque fois (à part les tortillas, qu’elles ont dévoré). Je suis dégouté. Obligé de tout jeter, sans parler des trous… heureusement nous avons juste assez pour tenir jusqu’à la prochaine tienda, qui, nous l’espérons, sera suffisamment achalandée. Nous allons passer notre premier grand col péruvien, le Portachuelo de Llanganuco, à 4767m. On a tous un peu d’appréhension… vu d’en bas il impressionne avec tous ses lacets. Comparé aux cols que nous allons monté les semaines suivantes, celui-ci n’est finalement pas si haut. Mais c’est le premier et contrairement aux autres qui montent progressivement dans de longue vallée, celui-ci est en haut d’un véritable mur au fond d’une très large vallée, ce qui le rend plus impressionnant. De l’autre côté du col, changement de décor total. Nous passons d’une vallée glaciaire profonde, tapissée de vert, couronnée de blanc et entourant des lacs d’un bleu ciel magnifique, à un versant sombre, à la roche noire et au relief plus serré. On croirait être passé des Alpes du nord aux Pyrénées ou au Mercantour.

Nous descendons petit à petit dans la vallée. Ce côté de la montagne est moins spectaculaire en terme de paysage. C’est plus bas, plus peuplé, plus cultivé. Mais les villages sont vraiment jolis et agréables, ce qui compense. Toutes les places principales sont en cours de rénovation, on sent qu’il y a une volonté politique de développer le tourisme dans ce secteur. Ce qui se comprend, ce serait un camp de base beaucoup plus agréable que l’autre côté de la cordillère, plus peuplé et aux villes vraiment laides mais où se concentre pourtant toute l’activité touristique à l’heure actuelle. Il ne nous reste plus qu’à repasser de l’autre côté de la Cordillera Blanca pour arriver à Huaraz, en passant par la Punta Olimpica, autre col réputé de la région à peu près aussi haut que le précédent. Cette fois la route est bitumée, et nous nous surprenons à terminer les 1700m d’ascension en une matinée.

Équateur

Après 3 mois en Colombie, pays magnifique mais où camper est assez compliqué et les hôtels tellement abordables (entre 5 et 12 euros la chambre pour deux… difficile de résister, surtout quand on a passé la journée sous la pluie ou dans la chaleur), nous avions hâte d’arriver en Equateur. D’après ce que nous voyions sur les réseaux sociaux, j’imaginais un prolongement de la Colombie, mais avec une nature plus accessible. La route que nous avions prévu de suivre, la TEMBR (Trans Ecuador Mountain Bike Route) serpente dans les montagnes principalement entre 3000 et 4000m d’altitude à travers les étages de la forêt andine humide et du paramo, écosystèmes fascinants dont nous avions eu un aperçu en Colombie et que nous avions hâte de retrouver.

Mais dans l’univers du voyage à vélo aussi, les médias sociaux (Instagram, Youtube, blogs etc) ont tendance à présenter une image déformée de la réalité. En regardant les publications des voyageurs qui nous ont précédé, je m’imaginais passer des journées entières à pédaler au milieu des frailejones, des lichens et des polylepis, entouré par les neiges éternelles des volcans andins. La réalité est toute autre : ces endroits préservés existent bel et bien, mais ne représentent finalement qu’une poignée de kilomètres sur l’ensemble de la Trans Ecuador.

Là haut sur la montagne

Je m’imaginais l’Equateur comme une version plus préservée et accessible de la Colombie, mais la réalité est toute autre. En Colombie, la population est globalement urbaine et regroupée sur la côte Caraïbes et à proximité des grandes villes, dans les zones au climat confortable (axe cafetier, altiplano cundinoboyacense, Cali, Pasto…). En dessous de 1000m d’altitude et au dessus de 3000m, il n’y a pratiquement personne. Ajoutons à cela les guérillas et mafias qui ont affronté le gouvernement pendant toute la deuxième moitié du 20e siècle (et encore aujourd’hui dans certaines régions isolées), empêchant l’accès à ces zones, l’aspect sacré des hautes montagnes pour certaines cultures indigènes et l’importance cruciale pour le pays de la préservation des écosystèmes de haute montagne en terme d’approvisionnement en eau potable, et nous avons un pays à la nature difficilement accessible mais globalement bien préservée.

La géographie de l’Equateur est très différente : en-dehors de la grande cité portuaire de Guayaquil, la plupart des grandes villes sont situées entre 2500 et 3000m d’altitude, et les montagnes sont densément peuplées de petites communautés indigènes entre 3000 et 4000m. Le paysage naturel que j’imaginais est en fait totalement défiguré par la main de l’homme. Ces communautés agricoles cultivent la pomme de terre, le maïs, le haricot là où autrefois devait exister la forêt andine humide, et font paître leurs nombreux animaux dans ce qui était le paramo. Et puisqu’il fait froid et qu’il faut bien se chauffer, les arbres autochtones à la croissance très lentes ont étés remplacés par des pins et des eucalyptus, au meilleur rendement. Même les parcs nationaux sont touchés : les pentes du Cotopaxi sont couvertes de bouses de vaches et de monoculture de pins bien alignés et régulièrement rasés à blanc sur des hectares entiers une fois la taille attendu atteinte. Pas vraiment ce que j’imaginais… Finalement, seuls les 40km après la frontière colombienne, relativement préservés, correspondent à ce que j’attendais du pays.

Pour le reste, ce n’est pas moche, loin de là. C’est même beau, juste différent de ce que j’imaginais. Elisa, qui n’avait pas d’attentes particulières, a vraiment apprécié traverser ces imposantes montagnes, malgré la difficulté de cette route, dont la combinaison de pourcentages souvent à deux chiffres et d’air appauvri en oxygène rendent la progression plus lente que d’habitude. Dire que la région est rude est un euphémisme. Il fait froid, humide et quand le soleil daigne se montrer, il tape très, très fort : ces montagnes sont la région terrestre la plus proche du soleil. Les épais ponchos de laine et les chapeaux sur toutes les têtes ne sont pas là que pour faire joli. Dans cet épais brouillard, ce n’est pas pour rien qu’une des questions qu’on nous a le plus posée est « quelle heure est-il ? ». Le ciel est tellement sombre et lourd qu’à 14h, il pourrait aussi bien être 7h ou 18h. Mais le climat n’est pas le seul élément qui rend cette région si austère. Tout transpire la misère et l’abandon. Les visages et les corps sont marqués, les animaux maigres et maltraités font peine à voir, l’architecture n’est que parpaings empilés et toits de chaumes. Lorsque nous expliquons à un groupe de villageois que nous sommes malades, qu’Elisa n’a pas pu manger depuis 2 jours et que nous avons à peine la force de pousser nos vélos, ils rient. La souffrance est leur quotidien. Le manque d’éducation également est flagrant : beaucoup parlent à peine espagnol, comme ce berger qui m’aborde dans une langue qui m’est inconnu, puis se reprend en castillan : « ah tu ne parles pas quechua ? », comme s’il n’avait pas conscience qu’il puisse exister des humains qui parlent d’autres langues que la sienne. Il faut dire qu’à part une poignée de cyclistes étrangers, personne ne vient ici. Nous sommes véritablement des extra-terrestres pour ces gens, dont le mode de vie a probablement très peu évolué depuis plusieurs siècles. Nous vivons des scènes incroyables : les enfants qui nous observent monter notre camp la bouche grande ouverte, hilares ou effrayés. Cet agriculteur qui nous a offert un toit un soir particulièrement pluvieux, et nous a bombardé de questions souvent naïves et touchantes, ébahi par notre réchaud à alcool, qui tenait absolument à voir « comment nous mangions » avant d’aller se coucher et à qui nous avons fait goûter pour la première fois de sa vie au gingembre, pourtant cultivé en Equateur et vendu dans toutes les tiendas des principaux bourgs avoisinants. Cet instituteur qui a accueilli de nombreux volontaires étrangers, plus curieux de savoir ce que cela fait de prendre l’avion au dessus de l’Atlantique que par les plus de 1000km que nous avons parcouru à vélo depuis Bogota.

Les routes sont vides de véhicules motorisés : nous voyons peut-être deux ou trois voitures ou camions et une dizaine de motos par jour. Pourtant nous ne sommes pratiquement jamais seuls : c’est juste que les gens se déplacent à pied ou à dos d’âne, de mule ou de cheval. Ces communautés sont particulièrement isolées du reste du monde et voient probablement passer plus de voyageurs à vélo que d’Equatoriens « de la ville ». Juin-juillet est la haute saison et nous estimons qu’à cette période de l’année passe environ un groupe de cyclistes par jour. Ce n’est pas la Loire à vélo, mais pour la région c’est déjà beaucoup. Nous réalisons que cela fait très longtemps que nous n’avons pas fait de bikepacking à proprement parler (activité plus proche de la randonnée pédestre que du cyclotourisme sur voie verte, que je définirais par le fait de rouler sur des chemins, dans des régions isolées et en autonomie). Cette absence de moteurs, l’accueil souvent curieux et bienveillant bien qu’un peu maladroit de la population et la facilité de monter la tente à peu près n’importe où (il suffit de trouver un humain et de lui demander s’il ne connaitrait pas un endroit plat où nous pourrions nous installer sans déranger : taux de réussite de 100%) rendent l’expérience plaisante malgré la difficulté physique. Pourtant, après une semaine, je ne peux pas m’empêcher d’être frustré. Il y a décidément trop de monde ici, je ne supporte plus de voir ces animaux en sale état aux airs si tristes et cette nature défigurée. Si camper dans une ferme ou un village est confortable, ce n’est pas ce que je suis venu chercher dans les Andes. J’ai envie de grands espaces et d’avoir l’illusion de traverser des régions à la nature « intacte », ou du moins peu impactée par l’agriculture et la sylviculture.

Salinas

Après avoir traversé cette campagne tellement pauvre, nous nous arrêtons à Salinas, petit village de montagne assez touristique et à part dans la région. L’attrait de Salinas n’est pas sa beauté : l’architecture en brique et parpaings nus est aussi inesthétique qu’ailleurs, et les paysages pas spécialement différents. Ce qui fait la réputation de ce village, c’est son artisanat, produit de manière assez unique dans la région. Dans les années 70, un prêtre italien débarque ici et organise les paysans en coopérative selon les principes du commerce équitable. Un suisse suit et apporte son savoir-faire de la production de fromages. Aujourd’hui, Salinas est réputé pour ses nombreuses pizzerias et sa marque Salinerito produisant fromages, chocolats, tisanes, liqueurs… Tout ce qu’on s’attendrait à trouver dans un village des Alpes.

Pour des raisons de santé (encore), nous avons dû nous arrêter un peu plus longtemps que prévu à Salinas. Ce qui m’a donné le temps d’observer son fonctionnement. Et force est de constater que le commerce équitable, ça fonctionne. Le village semble bien plus prospère que ses voisins : la coopérative fromagère dispose de matériel moderne, les infrastructures touristiques sont développées, bien équipées et tenues par des locaux, on y observe un nombre de véhicules motorisés (privés ou collectifs) bien plus nombreux qu’ailleurs dans ces montagnes. Et surtout il semble y avoir une véritable cohésion parmi les habitants, qui travaillent tous ou presque pour le même projet de développement de la marque de leur village et qui se ressent à travers les matchs de volley qui ont lieu tous les jours sur la place centrale, entre petits vieux en tenue traditionnelle, agriculteurs en bottes de caoutchouc et commerçants habillés de manière plus urbaine.

Quand on arrive en ville

En un mois en Equateur, nous sommes tombés malades 3 fois chacun… Un record. Probablement un parasite, apparemment assez courant dans la région. Cela nous a particulièrement affaibli et ralenti, ce qui n’était pas forcément nécessaire sur ces routes déjà difficiles. Nous avons donc dû prendre un peu plus de bus que prévu, raccourcir drastiquement notre route et passer plus de temps que prévu dans les villes qui sont étonnamment plutôt agréables. Surtout quand on vient de traverser l’Amérique centrale, la Colombie et l’Amazonie brésilienne, ou les villes ne sont malheureusement souvent pas très belles, pas très sûres voire même les deux…

En Equateur le contraste entre la ville et la campagne est saisissant. L’Amérique est un continent particulièrement inégalitaire, où l’extrême pauvreté côtoie le luxe absolu sans que cela ne choque personne. Le fatalisme (bien aidé par la religion) est la règle : la plupart des gens acceptent leur situation et celle des autres sans remettre en cause le fonctionnement de la société. Après tout, ceux qui ont réussi n’ont été aidé que par Dieu et par eux-même…

Quand on vient de traverser ces communautés tellement isolées et abandonnées et que l’on arrive à Cuenca, l’abondance qui règne ici est d’abord bienvenue, puis rapidement écoeurante. Cuenca est une ville très riche, mais aussi très provinciale et à l’ambiance guindée, très conservatrice, où règne l’entre-soi. Notre hôte Pedro nous confirme que la différence n’y est pas vraiment bienvenue, sauf si elle apporte beaucoup d’argent. Ici (et en Equateur en général) il vaut mieux être un retraité gringo blanc (qui forment une communauté de 15000 habitants à Cuenca, avec leur propre journal en anglais), qu’un équatorien noir… Ses habitants privilégiés vivent dans ce qu’ils pensent être le summum de l’élégance et du raffinement. Les prix sont au moins aussi élevés qu’en Europe de l’ouest et la concentration de pâtisseries, boulangeries françaises et cafés de spécialité est très forte. Pourtant, derrière cette apparence de raffinement, il faut bien se rendre à l’évidence : ce n’est pas parce que c’est cher et bien présenté que c’est bon. Le café a beau coûter le double du prix que nous avions l’habitude de payer en Colombie, il est au mieux insipide, la plupart du temps brûlé et imbuvable… Que les produits importés soient aussi chers dans ce petit pays isolé économiquement, passe encore. Mais que les produits locaux soient plus chers et moins bons que dans les pays voisins pourtant plus développés, c’est frustrant. Sans parler de l’accueil, qui s’il est tout à fait bienveillant chez les Equatoriens lambda, laisse un peu à désirer chez les commerçants et professionnels du tourisme. On a parfois l’impression de déranger… D’ailleurs Pedro nous confirme que les colombiens s’intègrent bien en Equateur grâce à leur réputation d’être beaucoup plus sympas, souples et arrangeants. Tout le monde aime le voisin cool, mais on ne suit pas forcément son exemple pour autant.

Après quelques jours à Cuenca, où nous avons retrouvé de nombreux autres voyageurs à vélo que nous avions croisé depuis Bogota, il est temps de couper court à l’aventure équatorienne et de prendre un bus pour le sud. Nous sommes déjà fin juin, si nous voulons traverser le salar d’Uyuni avant la saison des pluies il nous faut faire des choix. Le Pérou, ses hautes vallées perdues aux lacs turquoises entourés de sommets enneigés nous attire plus que le sud de l’Equateur surpeuplé.

Merci d’avoir lu cet article ! Nous espérons qu’il vous a plu. Nous débutons actuellement notre découverte du Pérou, retrouvez-nous bientôt pour le prochain article sur notre traversée de la Cordillera Blanca, plus haute chaine montagneuse du pays. À bientôt!

En Colombie sans les vélos : voyage en famille

Après notre petite semaine de randonnée et de tourisme dans la région de Salento, il est temps de rentrer à la maison pour préparer l’arrivée de ma famille, qui vient visiter la Colombie pendant 3 semaines. Trip le chat nous attends à l’hostel 82 de Bogota. Cet hôtel et le quartier de Chapinero ont vraiment été un foyer pour nous, où nous avons eu plaisir à retrouver notre petit cocon et un quartier familier et agréable après chacune de nos excursions pendant ces presque 3 mois d’aller-retour entre Bogota, le reste du pays et le Brésil.

Au programme de ces 3 semaines : une semaine sur la côte entre la Sierra Nevada de Santa Marta et Carthagène, une semaine dans la région cafetière du département d’Antioquia et une semaine à Mongui dans le département de Boyaca, commune la plus haute de Colombie située dans une vallée à 3000m d’altitude. Une bonne variété de climats, d’environnement et de cultures qui nous permettront à tous d’avoir un bon aperçu de ce pays tellement varié.

Il n’est pas toujours facile de voyager en groupe de 7 personnes. Chacun a des rythmes et des attentes différentes et il faut réapprendre à être patients et faire des compromis. Pour Elisa et moi qui avons l’habitude de voyager à vélo, nous redécouvrons une façon de voyager très différente. Nous avons un peu le sentiment d’être téléportés d’un endroit à un autre et que tout va trop vite. D’habitude, il nous faut plusieurs jours d’efforts, de nuits sous tente, de nourriture basique et répétitive, de fatigue, de climat parfois difficile pour rejoindre une petite ville touristique. Mais tous ces efforts sont accompagnés de jolis paysages, de rencontres… Et rendent d’autant plus désirable et appréciable l’abondance et le confort que nous trouvons ensuite. En supprimant cet inconfort pour aller d’un endroit à l’autre, nous ne parvenons plus à apprécier à sa juste valeur ce que nous trouvons dans ces endroits. Difficile également de nous motiver à explorer les alentours, tout simplement parce que sans les vélos, c’est beaucoup plus compliqué et beaucoup moins fun…

Ceci dit, avoir l’opportunité de passer 3 semaines en famille et de découvrir ensemble un pays est vraiment une chance incroyable. Cela faisait des années que nous n’avions pas passé autant de temps tous ensemble. Plus encore que les beaux endroits que nous avons visité, ce que je retiendrais de ces 3 semaines ce sont les apéros, les repas, les instants passés ensemble… Au moment où j’écris ces lignes, mes parents sont en train de traverser l’océan Pacifique en direction de la Polynésie française, Elisa et moi continuons notre route vers la Patagonie et mes frères sont rentrés en Europe. Je ne sais pas où et quand nous aurons la possibilité de nous revoir tous ensemble à nouveau, mais j’espère bientôt.

Au final cette pause nous a permis de prendre conscience à quel point le vélo est notre façon de voyager préférée pour la liberté qu’il apporte, le contact avec notre environnement, les rencontres qu’il génère… mais aussi d’ouvrir les yeux sur le fait qu’il ne permet pas tout non plus. Cela nous a remotivés à faire plus de randos dans les mois à venir et à peut-être s’arrêter un peu plus souvent dans des hostels, où l’on rencontre des gens qui voyagent de manière différente.

En Colombie sans les vélos : randonnée dans le parc national Los Nevados

Nous avions une dizaine de jours à occuper avant l’arrivée de ma famille, et après deux semaines de stress à Bogota, nous avions vraiment besoin de prendre l’air. Mais faire les touristes en bus ne nous inspirait vraiment pas : délocaliser notre sédentarité dans un autre endroit ne nous aiderait probablement pas à penser à autre chose. Nous avions besoin de nature, de camping, d’effort physique : ce que nous offre habituellement le voyage à vélo. Sans nos bicyclettes, le mieux serait donc de trouver une randonnée de plusieurs jours.

Après quelques recherches, nous nous sommes rendus compte que marcher et surtout camper en Colombie n’est pas si simple : il n’y a pas vraiment de culture du camping, les colombiens randonnent plutôt à la journée. Souvent, l’offre tourisme nature se présente de cette manière : une grande parcelle privée sur laquelle sont aménagés quelques hébergements, un petit espace pour une ou deux tentes, un restaurant, un petit sentier vers une cascade ou un ruisseau et éventuellement des activités d’éco tourisme (observation d’oiseau ou démonstration des activités agricoles de la finca généralement). Tout ça est souvent très amateur et convient certainement très bien à des citadins qui voudraient prendre l’air pour un weekend, mais moins à des européens en voyage habitués à des randonnées de plusieurs dizaines de kilomètres et à pouvoir camper un peu partout.

Quand on veut aller au delà de cette offre, il y a très peu d’informations en ligne sur des randos réalisables de manière indépendante. Tout ce que nous trouvons sont des offres construites par l’industrie du tourisme (Ciudad Perdidad), des randos qui semblent magnifiques mais nécessitent un guide, un permis et coutent très cher (El Cocuy, Sierra Nevada), ou des balades pour touristes en claquettes (Camino Real). De plus quand on demande aux gens localement, ils recommandent systématiquement de recruter un guide pour tout. À la fois par méconnaissance, parce que le tourisme est avant tout un business et parce que les terres sont pratiquement toutes privées dans ce pays et qu’il faut savoir naviguer entre les propriétaires plus ou moins ouverts et certaines zones où se passent des choses pas toujours bien légales.

Les parc nationaux ont avant tout une vocation de préservation pour des raisons environnementales, culturelles (lié aux cultures indigènes) voire de souveraineté (zones militaires). L’entrée sur ces terres, quand elle est possible, nécessite généralement d’acheter un permis, très cher pour les étrangers. Et ces parcs peuvent fermer leurs portes totalement pendant plusieurs semaines pour des célébrations religieuses indigènes, des risques environnementaux (éruptions volcaniques) ou permettre à la faune et à la flore de se régénérer.

En fouillant bien sur les blogs, nous finissons par trouver des possibilités de randonnées dans le Parc National Los Nevados, dans le centre du pays. Les conditions d’accès y seraient plus souples (pas besoin de guide ni de permis), et il y aurait de nombreuses possibilités de chemins. Cette zone est constituée d’un vaste plateau à plus de 3800m d’altitude sur lequel poussent les nevados, des volcans à plus de 5000m d’altitude couverts de neige éternelle (d’où leurs noms). C’est apparemment une zone populaire en Colombie pour l’alpinisme et la randonnée, et les fincas du secteur ont pratiquement toutes remplacé une grande partie de leur activité agricole par l’hébergement et l’entretien des sentiers. On trouve donc de véritables refuges de montagnes à intervalles réguliers avec douches chaudes, dortoirs, restauration et zone de bivouac. Exactement ce que nous cherchions ! L’information sur l’ouverture ou non de ces refuges étant introuvable, nous prévoyons d’être totalement autonomes : nous transporterons notre matériel de camping et notre nourriture pour les trois jours de la randonnée. L’avantage de voyager à vélo, c’est que nous avons déjà tout le matériel pour randonner, y compris les sacs à dos de 35L que nous utilisons à la place des traditionnelles sacoches.

Nous partons pour Salento, qui sera le point de départ de cette randonnée. Salento est un petit village colonial dans le « triangle du café ». Le village est très joli de 6h à 9h du matin, après c’est un peu Disneyland (le dimanche tout du moins). La plupart des touristes viennent ici pour deux choses : le café et la vallée de Cocora, avec ses palmiers de cire et ses toboggans à eau, sans savoir qu’en marchant un tout petit peu plus loin ils pourraient accéder à une des zones naturelles les mieux préservées du pays. C’est là que nous allons.

En route pour le paramo

Nous passons la première journée entière à monter dans une vallée pratiquement déserte. Pratiquement pas un mètre de plat ou de descente, cette marche d’approche est une ascension en elle-même qui nous amène jusqu’à 3700m d’altitude. Nos gros sacs à dos bien chargés, la verticalité du sentier, l’altitude et notre manque d’entrainement à ce genre d’exercice rendent cette journée particulièrement difficile. Mais les paysages et l’ambiance valent bien ces efforts. Nous ne croisons que deux groupes : les propriétaires de la finca où nous avons prévu de passer la nuit, qui font des allers-retours à cheval au village pour monter des provisions et du matériel, et un couple de traileurs colombiens avec leur chien qui fait l’aller-retour dans la journée. Nous passons la nuit à la finca la Argentina, où arrivent d’autres groupes de randonneurs. Ambiance refuge de montagne, on pourrait presque être dans les Alpes ou les Pyrénées, à la différence que nous sommes dans la ferme d’une famille qui vit ici à l’année, si loin et si proche à la fois du reste du monde. Leur quotidien est fait de grands espaces, d’élevage, de vie dans la nature. Le café bien chaud offert à notre arrivée, les gros ponchos en laine, le cheval comme unique moyen de transport… C’est beau de partager un peu de cette vie, même juste le temps d’une nuit.

Malheureusement, les guides nous informent que le parc national vient de fermer la veille pour cause de sécheresse… L’itinéraire que nous avions prévu n’est plus légalement accessible. Ils nous orientent vers une autre boucle (celle qu’eux font habituellement avec les groupes qu’ils encadrent). Pas de regret : cette boucle est certainement tout aussi belle que celle que nous avions prévu : le deuxième jour nous passons un col et arrivons sur le plateau, immense paramo (écosystème d’altitude des Andes du Nord) aux paysages d’un autre monde. Ici pousse un type de végétation très particulier de plantes à la croissance extrêmement lente, qui captent l’humidité de l’air pour l’amener dans le sol. Ces écosystèmes fragiles sont les véritables châteaux d’eau de la Colombie, c’est en partie grâce à eux que des millions de personnes ont accès à l’eau potable. D’où l’enjeu important de leur préservation très stricte. C’est magnifique et nous sommes très chanceux avec la météo : la pluie n’arrive qu’à la fin du deuxième jour et durera tout le troisième, nous permettant de voir ces paysages dans une ambiance très différente, sans l’inconfort de camper mouillés…

Nous traversons la Valle de Los perdidos (« vallée des perdus ») qui ne pourrait mieux porter son nom en ce jour : enveloppés dans un épais brouillard, enfoncés dans des sentes profondes et très érodées, nous cherchons notre chemin en lisant les traces de sabots au sol. Soudain, Elisa remarque une empreinte inhabituelle : une très grosse patte griffue… Certainement pas un humain et encore moins un cheval, mais pas un chien non plus. Le paramo est le refuge de plusieurs grandes espèces de mammifères, dont l’ours à lunettes (emblème des parcs nationaux de Colombie), le puma et le tapir. Dans ce brouillard, un de ces animaux (inoffensifs pour l’humain) pourrait passer à quelques dizaines de mètres de nous sans même que nous le remarquions… C’est à la fois magique et frustrant de s’imaginer qu’un de ces animaux extrêmement rares et timides se balade quelque part près de nous sans que nous puissions le voir.

Commence ensuite la descente. Nous passons sous la ligne des arbres et plongeons dans l’univers merveilleux de la forêt humide andine. Cet écosystème, véritable forêt enchantée où vivent lichens, orchidées, mousses, fougères et nombreux oiseaux dans une ambiance de brume est un de mes environnements préférés. Il pleut, il fait froid, le sentier très érodé n’est plus qu’un ruisseau dans lequel nous pataugeons. On est presque à mi-chemin entre la randonnée et le canyoning, et malgré l’inconfort et l’interminable descente bien raide (1700m de dénivelé négatif) qui nous brûle les quadriceps, on s’éclate.

Cette randonnée a vraiment été un des gros temps fort de notre séjour en Colombie, à telle point que nous envisagions d’y retourner quelques semaines plus tard avec ma famille. Les paramos sont des écosystèmes magnifiques et fragiles, indispensables à la vie dans les Andes du Nord (de l’ouest du Venezuela à l’Equateur) et il est facile de comprendre pourquoi ils sont sacrés pour les populations indigènes, et pourquoi ils sont aussi protégés. C’est un environnement d’un autre monde, rude et difficile d’accès qui incite au respect et invite à la contemplation. Nous avons hâte d’en traverser de nouveaux en Equateur, cette fois-ci à vélo.

Détour en Amazonie, quatrième partie : tous les nuages ont leur éclat d’argent

Cet article est le dernier de cette longue série d’événements qui nous a amené à traverser presque intégralement l’Amazonie et le continent d’ouest en est de la Colombie à Santarem, à quelques centaines de kilomètres en amont de l’océan Atlantique.

Escales

3 avril

Après une escale de 4 jours à Manaus, la voix du fleuve nous appelle à nouveau et nous embarquons sur un autre bateau direction Santarém, 700km en aval.
La veille, Julie nous demandait en riant si nous allions ensuite remonter le fleuve jusqu’à la Colombie pour rejoindre Bogota. Si l’idée était séduisante il y a encore quelques heures, je commence à déchanter. Nous sommes à peine partis et je ne retrouve pas cet état de contemplation heureuse dans lequel nous étions lors du premier voyage. Peut être me faut-il plus longtemps pour entrer dedans. Peut-être aussi que le paysage qui nous entoure m’écœure un peu : en effet la forêt tropicale ponctuée de rare communautés indigènes, le fleuve à peine troublé par quelques bateaux d’avant Manaus ont laissé place à une véritable autoroute fluviale aux berges érodées par la déforestation. On rase la forêt amazonienne, plus grande réserve de biodiversité au monde et poumon vert de la planète bleue, pour extraire du pétrole et autres matières premières, et surtout pour élever des bovins et permettre aux latino-américains de manger du bœuf 3 fois par jour… C’est écœurant.

À bord, l’ambiance n’est pas non plus la même. La cloche qui sonnait les repas (qui ne sont plus inclus dans le prix du billet) est remplacée par des annonces enregistrées, les bancs sur lesquels je passais des heures à contempler le fleuve ont disparu. Le bateau est moins encombré et je ne retrouve pas ces petits détails amusants qui faisaient le sel de la première traversée, comme ce voisin de hamac et son ventilateur accroché au dessus de la tête.

4 avril

« Avis aux passagers : les bagages suivants sont interdits sur le pont : barbecue, ventilateurs, télévisions… »

Finalement, malgré le petit coup de mou d’hier, j’ai retrouvé le goût de la navigation fluviale. Deux jours et une nuit à bord, c’est trop court : à peine le temps de rentrer dans le rythme. Le retour à Manaus devrait durer 60h, à un rythme deux fois plus lent… Tant mieux !

Comme la dernière fois, je n’ai pas envie de débarquer. J’ai tout juste eu le temps de finir de lire « Wild » de Cheryl Strayed, où elle raconte son expérience sur le PCT (Pacific Crest Trail, sentier de randonnée de plus de 4000km traversant la Californie, l’Oregon et l’Etat de Washington) en 1995, et comment le sentier l’a remise dans le droit chemin après une période d’errance difficile. Bien que le PCT ait l’air beaucoup plus dur physiquement que notre voyage à vélo, surtout à une époque où l’utilisation des gps de rando et du matériel ultraléger n’était pas répandue comme maintenant, ce livre m’inspire et me redonne le goût du voyage. J’ai hâte de reprendre la route, et surtout d’arriver dans des endroits vraiment sauvages, plus au sud. D’ailleurs, bonne nouvelle : la roue d’Elisa est réparée ! Elle arrivera à Manaus dans 2-3 jours… Et nous venons d’en partir. L’annonce de la bonne nouvelle me rend trop excité, je regrette d’avoir pris ce bateau pour Santarém… Je ne suis pas sûr de réussir à me détendre et à profiter une fois là-bas. Puis le rythme méditatif du bateau, le balancement du hamac (il y a du vent et l’eau est un peu plus formée par ici) m’apaisent. Après toutes ces mésaventures, on peut bien s’offrir quelques jours à la plage et un dernier tour de bateau avant de reprendre la route.

5-18 avril – Alter do Chao

Alter do Chao est ce que Gauthier, voyageur français échoué ici il y a 10 ans qualifie de « meeting point ». On y vient d’un peu partout (mais surtout de France et d’Argentine) pour retrouver des gens partageant le même état d’esprit. Et ici l’état d’esprit, c’est plutôt de vivre au rythme tranquille du Rio Tapajos. Nous retrouvons Julie et Ben pour la troisième fois, et nous faisons la connaissance de Leon, hollandais originaire du Surinam, de Xandao et Acawã, volontaires brésiliens de l’hostel… La salle de sport avec Ben, les cours de yoga de Julie, la natation en eau libre d’une plage à l’autre et la course pieds nus sur le sable et la possibilité d’une cérémonie d’ayahuasca en fin de séjour nous motivent à avoir une excellente hygiène de vie. Du sport, pas d’alcool et surtout une excellente nutrition, facilitée par l’abondance, la qualité et le prix d’une alimentation d’excellente qualité ici. La nourriture « traditionnelle » en Amazonie est composée de poisson, de noix, de manioc et de fruits très peu sucrés (voire pas du tout), mais extrêmement riches en vitamines et micronutriments. Le plus connu est probablement l’açaí, consommé chez nous sous forme de purée ou de jus et additionné de sucre, vanille et parfois banane. Mais l’açaí tel qu’il est consommé en Amazonie n’a rien à voir. Ici il est brut, son goût est légèrement amer et astringent et il est souvent consommé avec du poisson et du manioc. De prime abord, pas très agréable au palais. Mais bizarrement, nous sommes devenus très vite accroc. Comme si notre corps se rendait compte que ce fruit lui faisait du bien et nous en redemandait. Nous avons également découvert le copoaçu, sorte de grosse calebasse de la famille du cacao, dont on extrait une pulpe blanchâtre épaisse et légèrement acide, dont on fait un jus qui rappelle un peu le pulque mexicain, l’alcool en moins. Encore un truc qui nous a rendu accroc.

Après deux semaines de cette vie, nous avons eu l’impression d’avoir rajeunit. Nous avons rencontré Rachid, marocain de 51 ans vivant depuis un an au Brésil qui paraissait à peine plus âgé que nous. À croire que ce pays est réellement une fontaine de jouvence… Nous nous sentions bien dans notre corps, dans notre peau, dans notre tête. Je ne sais pas si c’est la bonne compagnie, la nourriture, l’eau du Tapajos, le sport, l’absence d’alcool ou probablement un peu tout ça réunit, mais le résultat était là. Nous serions bien restés beaucoup plus longtemps, si nos vélos et le désir de terminer notre projet de voyage vers le sud ne nous rappelaient pas en Colombie. Mais je sais qu’un jour je reviendrai à Alter et en Amazonie. Un projet de voyage sur l’eau a germé dans ma tête pendant notre séjour.

La route du retour

18 avril – Santarem – Manaus

Aujourd’hui pour la première fois de ma vie, j’ai vu la croix du sud. Assis sur le pont du navire qui file plein ouest à la vitesse décoiffante de 15km/h, sous un ciel dégagé (rare à cette période de l’année) je fais ce que je préfère sur ces bateaux amazoniens : regarder le ciel à la tombée de la nuit. Loin derrière nous à l’est, la foudre éclaire le ciel. Pleut-il à Alter do Chão ? Au dessus de ma tête la Lune presque pleine brille sans le moindre halo d’humidité. Le fleuve et ses berges sont d’un noir profond percé par les rares lumières des villages et bateaux. Sur le pont, une partie de l’équipage en pause reprend les refrains crachés dans la nuit par les hauts-parleurs du bar.

Au-dessus de ma tête brille la Voie lactée, que je n’ai pas vue depuis longtemps faute de ciel dégagé. Depuis Boyacá peut-être ? À une de ses extrémités vers le nord-ouest, Orion semble se jeter dans le fleuve. Et à l’autre bout, face à moi vers le sud, le ciel d’un hémisphère que je n’ai encore jamais vu, matérialisé par cette croix au dessus de l’horizon. La Lune aussi nous joue des tours : son cycle est inversé par rapport à l’hémisphère nord. Le premier croissant devient le dernier croissant et vice versa. On s’y perd.

Sur le bateau du retour, j’ai lu « Latitude Zéro », le livre de Mike Horn sur son tour du monde en longeant l’équateur. Il est passé dans des endroits très proches de ceux que nous avons parcourus et allons parcourir dans les semaines à venir, et j’étais curieux d’avoir un regard différent. Je n’aime pas beaucoup Mike Horn car il me semble d’une autre époque, celle des projets ultra médiatisés à plusieurs centaines de milliers d’euros, sponsorisés par des grandes entreprises des industries automobiles ou pharmaceutiques. Je n’aime pas beaucoup Mike Horn non plus pour son côté égocentrique : dans son livre il raconte une anecdote où il ne comprend pas se retrouver au poste de police après avoir agressé physiquement l’employé de fourrière qui enlevait son camion mal stationné. Enfin je n’aime pas beaucoup Mike Horn pour son regard sur le monde : les montagnes et les océans sont pour lui des objets de conquête, qu’on « fait plier à sa volonté », en se mettant soi-même et son équipe en danger, pour pouvoir les « vaincre » et les épingler à son tableau de chasse. Je préfère une approche plus humble, moins guerrière et plus harmonieuse de la nature, que cette citation de Cesar David Martinez, photographe colombien, résume bien : « On ne monte pas pour conquérir la montagne, on fait l’ascension pour être conquis par elle. Pour avoir la bonne attitude, le mieux est de se soumettre à elle et d’essayer de percevoir sa majesté ». Et bien, même Mike Horn a perçu la majesté et la beauté de l’Amazonie, qu’il décrit comme un paradis vert. C’est dire si c’est beau.

19 avril

Il y a des moments qui se savourent et donnent l’impression d’être dans un film. Profiter de la brise fraîche de la fin de journée sur le pont d’un navire remontant l’Amazone à 15km/h, la lumière dorée de la fin du jour éclairant la rive qui défile à quelques mètres seulement, est l’un d’eux. Et quand les hauts-parleurs du bar crachent à plein volume « Voyage, voyage » pendant que de l’autre côté de la rambarde les singes hurleurs et les toucans regardent passer ce drôle d’équipage, j’ai l’impression d’être dans la scène finale d’un remake de Fitzcarraldo par Xavier Dolan, où le personnage rentrerait chez lui plein de nostalgie, après avoir eu un aperçu du paradis.

20 avril

Alors que nous sommes sur le point de retrouver Bogotá et nos vélos, il était temps de faire un petit point sur la direction que nous voulons donner à notre voyage pour les semaines à venir.
Si nous avions de grandes attentes concernant la Colombie, nos mésaventures dans ce pays nous laissent un petit goût amer. Nous n’avons plus le temps ni l’envie d’effacer les presque 3 mois qui se sont écoulés depuis notre arrivée à Bogotá et repartir à zéro, comme si de rien n’était alors que nous avons déjà pas mal voyagé dans le pays, sans les vélos, et notamment 3 semaines avec ma famille. Nous n’avons plus le temps ni l’envie de pédaler dans chaque recoin de ce beau pays et de nous frotter à sa culture cycliste si intense et passionnée.

Bien que tout ne se soit pas passé comme nous l’aurions souhaité, nous conservons tout de même un bon souvenir de ce pays dont nous n’avons qu’effleuré la surface, mais où nous avons découvert certains des plus beaux paysages de notre voyage, un climat parfait et la culture la plus européenne (et donc familière et réconfortante) des pays américains que nous avons traversés jusqu’à présent. C’est un pays qui mérite à lui seul de s’attarder plusieurs mois, et nous y reviendrons avec joie quand l’envie sera revenue. Mais pour l’instant, nous rêvons de grands espaces rudes et de nuits à la belle étoile plus que de jolis petits villages et de douceur de vivre. Il est temps de remettre le cap au sud : un continent de montagnes, de déserts et de forêts nous appelle.

Détour en Amazonie, troisième partie : sur le fleuve

Ayant eu beaucoup plus de temps pour écrire sur les bateaux qui nous ont mené de la Colombie à Manaus, Santarem puis Manaus à nouveau, j’ai choisi de faire un article dans un style un peu différent de ce que j’écris d’habitude. Ce qui suit n’est autre que mon journal de bord pendant ces 8j sur le fleuve, très légèrement retouché. N’hésitez pas à me faire des retours si le style vous plait (ou pas!).

26 mars

J’espérais prendre des photos souvenirs avec la roue d’Elisa, à la manière du nain de jardin d’Amélie Poulain. La roue sur le bateau à Tabatinga, à Santo Antonio do Iça, au bar du bateau, la nuit dans son hamac… Malheureusement à peine embarqué l’équipage me l’a confisqué. Les grandes malles aux couleurs des princesses Disney peuvent rester avec les passagers mais une roue de vélo, même bien emballée dans un carton, non. Direction la soute, avec le cargo.

La roue d’Elisa parmi les autres bagages en attente d’embarquement à Tabatinga.

Le bateau avance sur l’Amazone a un rythme comparable à celui d’un voyageur à vélo : environ 22km/h de moyenne, 18 en comptant les 8 escales en 4 jours dans des petites villes le long du fleuve. C’est qu’il y a du monde qui vit ici. J’imaginais l’Amazonie comme un grand désert vert et humide, peuplé de quelques communautés indigènes très isolées. Une version équatoriale de l’Arctique canadien en quelques sortes. Il n’en est rien : dans le seul état brésilien d’Amazonas, qui ne couvre qu’une partie de la forêt, sont recensés plus de 4 millions d’habitants (dont, il est vrai, plus de la moitié dans la seule ville de Manaus). Si aussi peu de routes apparaissent sur les cartes, c’est tout simplement qu’ici on se déplace en bateau. Plus qu’un désert, l’Amazonie est un immense archipel où les humains vivent sur de petits îlots entre fleuves, marais, lacs et forêts.

Si la vitesse d’un bateau de charge descendant l’Amazone est similaire à celle d’un vélo, le rythme du voyage est pourtant très différent. Le vélo est un mode de déplacement actif : le défilement des paysages, les endorphines, le rapport à la météo stimulent ou au contraire, anéantissent.

Sur le bateau, le ronronnement du moteur, le balancement du hamac, la petite brise qui chasse les moustiques et rendrait presque confortable cette chaleur saturée d’humidité et l’infinie monotonie des paysages pendant les 1600km du voyage lissent l’humeur. Le repas est servi à heures fixes, la durée du jour et de la nuit sont exactement égales et la préoccupation de l’endroit où passer la nuit disparaît. À vélo les paysages monotones peuvent être un véritable défi mental. Nous qui avons traversé le Canada en savons quelque chose : pendant plusieurs semaines nous roulions de 9h à 17h sans autre stimulation que cette selle qui nous brûlait le cul et l’attente du soir sous la tente avec un bon bouquin, à l’abri de la voracité des moustiques et de l’ennui. Ici la monotonie libère : puisqu’il n’y a rien à attendre et que le corps et l’attention ne sont pas monopolisés par le pédalage, on peut se concentrer sur l’essentiel. Lire enfin ces titres qui attendent depuis des mois sur nos liseuses, écouter des podcasts, écrire, se laisser bercer par les conversations en portugais brésilien, discuter avec les rares voyageurs qui parlent espagnol, anglais ou même français.

27 mars

Première journée entière à bord du Maria Monteiro II et je n’ai pas vu le temps passer. Pourtant la nuit a été courte : une première escale de minuit à presque deux heures et le réveil au son de la cloche du petit déjeuner à 6h, immédiatement suivi d’une seconde escale sous la pluie.

Avec 3 escales en 6h, nous nous sommes beaucoup arrêtés aujourd’hui. Les prochains arrêts sur les 1000km restant jusqu’à Manaus seront plus espacés, avec une dernière étape de plus de 400km sans interruption. J’aime les escales, l’animation qu’elles apportent, l’aperçu de la vie dans les villages le long du fleuve. La lourde masse du bateau manoeuvre difficilement dans le courant puissant du fleuve pour trouver une place au quai, où attendent une foule de voyageurs, de débardeurs et de vendeurs ambulants qui montent à bord pour vendre fromage, sandwichs, biscuits…

Mais elles cassent également le rythme lent et confortable du voyage. Contrairement à la mer, naviguer sur l’Amazone est très confortable, surtout dans un hamac, sur un bateau de la taille de cette taille. Pas de mal de mer, je peux me concentrer entièrement à la lecture, à la contemplation du ciel et des berges qui s’éloignent au fur et à mesure que les affluents nombreux viennent élargir le fleuve, à me perdre dans mes pensées et à observer la vie à bord : les joueurs de domino, les accros au téléphone, les enfants curieux fascinés par nos hamacs légers en toile de nylon si différents des leurs, épais, colorés et bordés de froufrous tressés.

Temps nuageux et averses n’offrent peut-être pas les meilleures lumières pour la photo, mais permettent une journée aux températures plus confortables et des cieux magnifiques, surtout au coucher du soleil : le soir, la lumière change et le fleuve s’active. Les dauphins invisibles en journée laissent parfois apercevoir leur nageoire dorsale, pendant que sur les berges les oiseaux s’activent. Le soleil descend vers l’horizon, énorme boule rouge incandescente floutée par la brume, et plonge dans le fleuve à l’arrière du navire. Le ciel s’alourdit et l’orage prend le relais du coucher de soleil pour éclairer la nuit noire seulement percé par les rares lumières des autres bateaux et des communautés sur les berges. Puis le vent et la pluie prennent le relais et la température chute. Sans couvertures ni sacs de couchage, nous devons porter tous nos vêtements pour ne pas avoir trop froid. Malgré cela, en hamac, que le bateau gite ou non, on dort tellement bien !

28 mars – Sur l’Amazone, environ 700km en amont de Manaus.

Les jours se suivent et se ressemblent. Le paysage est tellement monotone que j’ai l’impression de regarder toujours le même panorama qui défile en boucle. Seule la lumière et la disposition des nuages changent un peu : c’est dans le ciel que se déroule le spectacle. Chaque soir est une variation du même thème en trois actes : les nuages qui se dissipent au moment du dîner (vers 17h), en même temps que la lumière baisse. Le coucher de soleil sur le fleuve, à l’arrière du navire, éclairant les stratocumulus d’un rose orangé qui leur donne des airs de chamallows géants. Les éclairs font alors leur entrée et leur fréquence et intensité augmentent au fur et à mesure que la lumière du soleil baisse. Puis c’est le noir absolu, où les étoiles qui percent parfois les nuages. Les rares lumières des bateaux et communautés fluviales et même la pleine lune ne suffisent pas à éclairer le paysage. Seuls les orages, voyageant le long de leurs propres routes au-dessus de nos têtes permettent lorsqu’ils explosent d’entrevoir brièvement la berge. La forêt amazonienne libère chaque jour dans l’air 20 milliards de tonnes d’eau, qui se déplacent sous forme de nuages et arrosent une grande partie du continent sud-américain : on appelle ce phénomène rivières volantes.

J’ai terminé hier la lecture de « L’usage du monde », qui m’a ramené 10 ans en arrière, lorsque je trimballais mon sac à dos sur les routes des Balkans, de Turquie et d’Iran. Ce qui rend cette partie du monde (et en particulier l’Iran) si unique semble avoir peu changé entre le passage de Nicolas Bouvier dans les années 50 et le miens 60 ans plus tard. Je retrouve dans le regard du jeune homme d’une vingtaine d’années qu’il était alors, ce que mes yeux de jeune homme du même âge ont également observé.

Si l’alcool a disparu d’Iran et l’opium y est aujourd’hui tabou, nous y avons vu les mêmes camions hors d’âge bien trop chargés, les mêmes villes millénaires et surtout ces mêmes gens curieux, généreux, férus de poésie, à la gastronomie délicate et à la culture subtile façonnée par les centaines de générations d’azéris, arméniens, kurdes, perses, turkmènes, afghans, baloutches etc qui les ont précédés depuis des milliers d’années.

J’ai retrouvé le silence du désert et les horizons infinis, la beauté simple des intérieurs hors du temps et où, à l’abri du climat rude, se développe une culture de la lenteur, du moment présent. Savourer le son du tar ou de la musique classique iranienne, la beauté de la langue persane, dont il n’est pas besoin de comprendre le sens des mots pour être touché par les sonorités…

J’ai vécu à nouveau cette nuit sur les immenses steppes des plateaux d’Anatolie, où descendant d’un bus dans le froid glacial de novembre j’ai été accueilli par des groupes s’affrontant dans des danses guerrières rythmées par le roulement écrasant des timbales et la plainte lancinante des bombardes.

Et surtout j’ai retrouvé cette spiritualité musulmane, heureusement souvent bien loin de l’islam fanatique auquel on pense malheureusement trop souvent lorsqu’on évoque cette religion. Une spiritualité qui fait écrire à Nicolas Bouvier qu’à l’inverse des chrétiens, qui croient en un Dieu qui aime l’homme et lui a donné la Terre pour l’exploiter jusqu’au dernier grain de sable, les musulmans afghans croient en un Dieu créateur d’un monde dans lequel les humains seraient au même niveau que les montagnes, les plantes et les autres animaux. Une vision qui réconcilie monothéisme et animisme ? En tout cas une vision qui remet l’homme à sa place. Il ajoute que dans les montagnes immenses, rudes et écrasantes de l’Afghanistan, comment l’homme pourrait-il se sentir maître du monde ? Voilà qui me donne hâte d’arriver dans les Andes pour ressentir cette puissance de la nature… Et de retourner un jour en Asie centrale. Ce rapport au monde rappelle d’ailleurs beaucoup celui des indigènes d’Amérique et notamment d’Amazonie, pour qui tout est sacré : l’eau, le fleuve, les dauphins qui l’habitent, la forêt… Et puisque tout est sacré, tout doit être respecté. Dans nos cultures qui placent l’homme au centre de l’univers, nous l’oublions un peu trop souvent.

Manaus, du 30 mars au 2 avril

Nous arrivons à Manaus au coucher du soleil. Cândido, prof de français et consultant francophone à la police touristique de Manaus et sa compagne Drucila nous accueillent pour nos deux premiers jours dans la ville. C’est rassurant d’être avec quelqu’un qui parle notre langue quand nous débarquons pour la première fois dans un pays et une ville inconnus. Cândido et Drucila nous initient à la cuisine amazonienne, à base de manioc sous toutes ses formes, de poissons et de fruits inconnus.

Manaus est une ville que je qualifierais de « dans son jus ». Elle a poussé comme un champignon à la fin du 19e siècle, lorsque l’industrie du caoutchouc s’est développée en même temps que la demande de pneus de voitures et vélos apparaissait. Le caoutchouc synthétique était alors inconnu, et le caoutchouc naturel ne poussait qu’en Amazonie. Une véritable ruée vers l’or a alors eu lieu et les abords du fleuve se sont industrialisés rapidement. Au début du 20e siècle, Manaus était surnommée le « Paris d’Amazonie », c’était la ville la plus riche d’Amérique latine : ses palais étaient construits en marbre importé d’Italie, les plus grands chanteurs d’opéra d’Europe venaient au théâtre Amazonas et la légende raconte que les plus riches habitants envoyaient leur linge sale se faire laver au Portugal. Puis dans les années 30, les anglais réussirent à exfiltrer des graines d’hévéa (l’arbre produisant le caoutchouc) et à développer sa culture en Indonésie. L’économie de Manaus s’est alors effondrée. Dans les années 70, le gouvernement brésilien y a installée une zone franche pour relancer l’économie et aujourd’hui c’est la troisième zone industrielle du Brésil, derrière Sao Paulo et Rio et la principale porte d’entrée sur l’Amazonie. Malgré ce dynamisme, le centre-ville donne un avant-goût de l’apocalypse. En dehors d’une ou deux places bien rénovés et surveillées, ces bâtiments autrefois si riches tombent en ruine. De plus, au Brésil aussi la drogue fait des ravages et le centre de Manaus n’est pas épargné. L’ambiance n’incite pas spécialement à la détente, on nous a d’ailleurs fortement déconseillé de nous balader à pied après 18h. Une fois la roue d’Elisa envoyée, nous n’avons pas spécialement envie de trainer ici. À l’hostel, nous retrouvons Julie et Ben, une québécoise et un français que nous avions croisé à Leticia. Ils vont à Alter do Chao, près de Santarem, à deux jours de bateau d’ici. Nous aussi.

La carte du fleuve affichée dans la bibliothèque centrale de Manaus. Un beau bâtiment qui tombe un peu en ruines et dont les ouvrages les plus récent doivent avoir une vingtaine d’années…

Détour en Amazonie, deuxième partie : l’Amazonie colombienne

Suite à la casse du moyeu Rohloff d’Elisa par un technicien à Bogota, nous devons rejoindre le Brésil pour pouvoir réparer cette pièce complexe. Le plan consiste à rejoindre Leticia, ville colombienne au bord du fleuve Amazone, d’où nous prendrons le bateau pour Manaus, capitale de l’Amazonie brésilienne où nous pourrons envoyer la roue par la poste à Klaus de Teutobike à Porto Alegre, expert sud-américain de cette technologie allemande.

Leticia

La première difficulté est d’arrivée à Leticia : pour rejoindre cette ville d’Amazonie, il existe seulement deux possibilité : l’avion ou le bateau. Idéalement nous préférerions éviter l’avion, mais les seules informations dont nous disposons concernant le bateau sont un peu déprimantes : il n’y aurait pas vraiment de ligne régulière, et il faudrait compter entre 10 jours et 1 mois de navigation sur le Putumayo pour atteindre notre objectif. De plus, un marin breton que nous avons rencontré quelques semaines plus tôt nous a raconté avoir tenté l’expérience et s’être retrouvé coincé à mi-chemin. En raison de la sécheresse sévère qui touche actuellement la Colombie, le niveau d’eau serait trop bas pour permettre aux bateaux de passer… Nous aimons l’aventure, mais dans le cas présent nous avons une mission et cette équation aurait un peu trop d’inconnues. Nous optons donc pour l’avion, espérant que cet aller-retour forcé sera le dernier avant longtemps.

Nous décollons de Bogota au lever du soleil et arrivons au dessus de Leticia après une heure de vol. Nous survolons un océan vert traversé par le serpent marron du Solimões, nom donné à la section du « fleuve océan » qui traverse cette région. L’Amazone est (de très loin) le plus grand fleuve au monde, son volume d’eau équivaut à 20% de l’ensemble de l’eau fluviale de la planète et il rejette quotidiennement dans l’océan Atlantique 112km3 d’eau douce. À titre de comparaison, le volume du lac Léman, plus grand lac d’Europe, est de « seulement » 89km3 . Comme le dit Gauthier, aventurier français que nous avons rencontré chez lui près de Santarem : « j’habite au milieu de la plus grande réserve d’eau douce au monde ». Toute cette eau ne vient pas de nulle part : la combinaison de chaleur et de de forêt immense génère une évaporation importante et donc beaucoup de pluie, particulièrement le soir et le matin en cette fin de saison humide. Et le matin de notre arrivée n’échappe pas à la règle : la piste d’atterrissage est couverte de nuages très bas. Au sol, c’est la tempête. L’avion entame son atterrissage, et au dernier moment, alors que nous ne sommes plus qu’à quelques dizaines de mètres au dessus du sol, remet plein gaz pour nous arracher aux nuages. Alors que nous reprenons de l’altitude, le commandant de bord nous avertit : les conditions ne sont pas suffisantes pour garantir un atterrissage en sécurité. Nous passons l’heure suivante à tourner en rond au dessus de la forêt en espérant que les nuages se dissipent… Avant que le manque de kérosène ne nous contraigne à repartir pour Cali, à l’autre bout du pays. Nous ne pouvons nous empêcher d’y voir encore un autre signe de l’univers nous indiquant de mettre fin au voyage, et surtout de ne plus prendre l’avion. Heureusement, après quelques heures d’attentes, les conditions semblent s’améliorer et nous pouvons repartir et atterrir sereinement dans la capitale de l’Amazonie colombienne.

Leticia, très loin du centre de la Colombie mais au carrefour de 3 pays.

Ici, tout est différent de ce que nous avons connu jusqu’alors. Le climat n’est pas aussi chaud que nous l’imaginions, mais il est totalement saturé d’humidité. Quelques pas dehors et ma chemise est trempée… La population est aussi différente de ce que nous avions vu jusqu’alors en Colombie. Très peu de blancs, de noirs et de métis, presque exclusivement des indigènes d’Amazonie. Les peaux sont foncées, les yeux bridés, les gens petits et fins et les femmes ont des cheveux noirs brillants dont la longueur rend admirative Elisa malgré ses nattes qui lui arrivent presque au nombril.

Leticia est une petite ville faisant partie d’une agglomération d’un peu plus de 130 000 habitants, répartis de part et d’autres de la « triple frontière » entre la Colombie, le Brésil et le Pérou. À l’inverse de Tijuana, où la frontière était matérialisée par un mur et théoriquement infranchissable, ici on passe d’un pays à l’autre comme si on changeait simplement de quartier au sein d’une même ville. À la différence que de part et d’autre de cette frontière presque invisible, l’ambiance et la langue changent du tout au tout. À Leticia et Santa Rosa on parle espagnol, à Tabatinga portugais. Et lorsque nous allons acheter nos billets de bateaux et faire nos formalités de migration au port brésilien, nous nous rendons compte à quel point la communication va être compliquée les semaines à venir. À l’écrit, les deux langues sont tellement proches qu’il nous est possible de comprendre l’essentiel d’un texte en portugais. À l’oral, c’est une autre paire de manches : la prononciation est totalement différente et nous ne comprenons absolument rien… Heureusement, beaucoup de brésiliens comprennent plus ou moins l’espagnol et nous pouvons communiquer dans un portugnol encore approximatif.

Puerto Nariño

Le bateau pour Manaus ne part que dans quelques jours et une fois passé la première surprise, Leticia/Tabatinga n’est pas une ville particulièrement agréable. Il n’y a pas grand chose à faire ici, et les routes sont saturées de motos qui rendent l’ambiance sonore particulièrement désagréable. Nous embarquons donc sur une lancha (grosse pirogue rapide) pour Puerto Nariño, petit village indigène à 70km en amont, où se concentre l’activité touristique de la région et où nous avons trouvé une agence de voyage qui propose de nous loger gratuitement dans une cabane dans la jungle en échange de notre aide pour servir d’interprète à leurs clients non-hispanophones. En d’autres termes, nous sommes logés, nous faisons les activités gratuitement et nous rencontrons les habitants du village en ayant un peu moins l’étiquette « touriste ».

Puerto Nariño est un véritable petit paradis à l’écart du monde. Ici pas de véhicules motorisés (en dehors des bateaux), tout le monde se déplace à pied ou à vélo. La grande fierté du village c’est le ponton tout neuf, le plus moderne de la région. Il a coûté cher, mais c’est un investissement utile pour attirer les touristes. Il faut que le monde le sache ! Le tourisme commence tout juste à se développer et en est encore à un stade un peu amateur. Les professionnels du secteur ne parlent qu’espagnol et les différents dialectes indigènes locaux, d’où leur besoin de volontaires étrangers comme nous pour les aider. Les activités auxquelles nous avons participé sont encore au stade de rodage, on sent qu’il n’y a pas encore encore de véritable expérience concernant les attentes des voyageurs et qu’on leur propose des contenus et des tarifs sans véritable idée de ce qui peut se faire ailleurs. Les habitants sont curieux de voir ces étrangers débarquer dans leur village et prennent le temps de discuter avec nous. Le samedi, le championnat local de football est l’attraction principale. Ce territoire de seulement 8000 habitants parvient à avoir plusieurs équipes sponsorisées par les entreprises locales et un public. Nous avons un peu l’impression d’être à un grand rassemblement familial, ce qui n’est pas totalement faux : dans ces petits villages indigènes isolés, comme c’était déjà le cas au Canada, la société est divisée en quelques clans, équivalent de familles élargies.

Malheureusement, le bateau pour Manaus va bientôt partir et nous ne pouvons rester que quelques jours à Puerto Nariño. Nous quittons à regret ce petit havre de tranquillité mais nous sentons vraiment que nous aurions pu rester un long moment ici, où notre présence et notre maitrise des langues étrangère aurait pu être réellement utile à la communauté. Encore un endroit où nous reviendrions bien, pour y rester plus longtemps… Puerto Nariño est seulement notre premier arrêt en Amazonie, et déjà notre premier pincement au coeur au moment du départ.

C’est tout pour cette deuxième partie ! Dans le prochain épisode, nous raconterons notre descente en bateau-hamac du fleuve Amazone, de la frontière colombienne au coeur de l’Amazonie brésilienne. À bientôt !

Détour en Amazonie, première partie : galère à Bogota

Nous sommes arrivés sur le continent sud-américain le 31 janvier 2024. Après un mois compliqué où les galères et les mauvaises nouvelles se sont enchainées, nous n’avons pratiquement pas pu rouler un seul kilomètre et, par conséquent, notre budget s’est envolé. Arrivés à Bogota, nous espérions avoir enfin conjuré le sort et reprendre la route sereinement. Nous ne le savions pas encore, mais le bout du tunnel était encore loin. Nos vélos étant un peu fatigués après plusieurs mois de chaleur humide et d’air salé en Amérique centrale, nous les avons confié à un atelier pour un changement des roulements de direction d’Elisa, de mes roulements de moyeu avant et de mon boitier de pédalier. Une petite révision de routine en somme. Malheureusement, le technicien a qui nous avons fait confiance a pris la liberté d’ouvrir le moyeu Rohloff d’Elisa sans savoir ce qu’il faisait, l’a détruit et nous a rendu le vélo l’air de rien, en essayant de camoufler les dégâts.

Les moyeux du fabricant allemand Rohloff sont un peu la montre suisse du vélo de voyage : précis, complexes, increvables… et chers. À elle seule, cette pièce coûte presque autant que le reste du vélo. C’est un investissement que nous avons choisi de faire pour plusieurs raisons : il permet de se libérer du dérailleur, partie fragile (notamment sur les chemins boueux ou caillouteux, ou lorsque l’on charge le vélo dans un bus ou un camion), de limiter l’entretien au strict minimum (plus de galets de dérailleurs à démonter, plus de crasse difficile d’accès entre les pignons de la cassette…) et d’avoir une transmission très durable (ces moyeux sont théoriquement capables de durer une vie entière de voyageur à vélo et se bonifient avec l’âge, contrairement aux transmissions classiques « jetables »). Le seul inconvénient : comme toute mécanique complexe, en cas de problème, tout est compliqué. Mais en théorie, il n’y a pas de problème. Sauf lorsqu’une intervention humaine le provoque… Nous restons convaincus que cet investissement est rentable sur le long terme comparé à une transmission plus classique et nous referions ce choix sans hésiter, mais à l’avenir nous serons plus prudents lorsqu’il s’agira de confier nos vélos à quelqu’un.

Après quelques échanges de mails avec Rohloff, le problème est rapidement identifié et le verdict tombe : les réparations nécessaires sont trop complexes, il faut envoyer la roue entière à un centre de réparation agréé. Le plus proche, Teutobike, est à Porto Alegre, au sud du Brésil, à 4800km à vol d’oiseau de Bogota. Au-delà des Andes, au-delà de l’Amazonie, à l’autre bout du plus grand pays d’Amérique Latine. Autant dire au bout du monde. D’après Klaus, le propriétaire de Teutobike, envoyer la roue depuis la Colombie vers le Brésil, puis à nouveau vers la Colombie est trop risqué : deux douanes à passer, des taxes à payer et le risque que la roue reste bloquée d’un côté ou de l’autre de la frontière. Pas le choix : nous devons aller au Brésil. Sur le moment c’est un véritable coup dur : notre budget, déjà entamé par le mois sédentaire qui vient de s’écouler, va être encore plus creusé par les réparations et le détour. Après tout ce que nous avons déjà subi depuis la blessure d’Elisa au Costa Rica, j’ai le moral dans le chaussettes. Je n’ai plus la force mentale de continuer, juste envie de rentrer en France, mettre fin à ce voyage qui me semble maintenant absurde et retrouver ma famille, mes amis et une vie stable. Ce qui me convainc de continuer, c’est la raison : nous avions pris un peu d’avance en Amérique centrale, ce qui nous permet, malgré ces contretemps, d’avoir encore la possibilité de traverser le continent en passant à la bonne saison les points critiques (hauts cols andins, salar d’Uyuni, Patagonie…), qui ne sont franchissables à vélo que quelques mois par an. Si nous rentrons maintenant, cette opportunité ne se reproduira probablement jamais. Ce serait vraiment dommage de faire une croix sur cette partie du voyage, qui promet à la fois des opportunités de camping sauvage dans des paysages grandioses, des routes intéressantes et des détours qui pourraient être l’objet d’un voyage à eux seuls. Depuis deux ans, l’Amérique du Sud est le véritable objectif, le reste n’étant qu’une sorte de long échauffement.

La solution la plus économique que nous trouvons consiste à nous rendre à Leticia, capitale de l’Amazonie colombienne, où nous pourrons embarquer sur un des bateaux qui transportent passagers et marchandises sur le fleuve Amazone, véritable autoroute fluviale de 3700km desservant 3 pays et plusieurs millions d’habitants, d’Iquitos au Pérou à Belem sur la côte brésilienne. Nous descendrons à Manaus, ville de 2,5 millions d’habitants en plein coeur de l’Amazonie, où nous enverrons la roue par la poste à Klaus, qui nous la renverra une fois les réparations terminées. Le plan est ficelé, ne reste plus qu’à le réaliser !

Trip le chat vérifie le bon emballage de la roue pour le voyage à venir.

La suite dans le prochain article !

Panama

Panama est un de ces toponymes, comme Samarkand, Ushuaia ou Ispahan, qui sonnent comme un rêve à l’oreille des voyageurs. Panama, c’est cet endroit où une étroite bande de terre d’une centaine de kilomètres réunit deux continents et sépare deux océans. Panama c’est une porte entre plusieurs monde : d’abord un simple port, où les galions espagnols regroupaient les richesses pillées le long de la côte Pacifique des Amériques, attirant la convoitise des pirates et des grandes puissances étrangères, puis un des plus grands ouvrages de génie civil de l’histoire de l’humanité, où circule aujourd’hui une part importante du commerce mondial sous forme de marchandise sur le canal et de manière plus virtuelle dans les banques de la capitale.

Panama City

On dit souvent que le voyage importe plus que la destination. Pourtant, arriver à Panama est pour nous un moment fort, tout comme notre départ de Tuktoyaktuk 18 mois plus tôt. Se savoir à cet endroit précis du monde, au bout d’une route qui ne va pas plus loin (ou presque), à l’extrémité d’un continent, à la fin d’une aventure et au début d’une autre… C’est assez émouvant mine de rien.

Pour des raisons de calendriers, nous avions prévu depuis longtemps d’arriver en bus à Panama. Après presque 24h de bus depuis San José, capitale du Costa Rica, ville qui nous sembla un peu triste et morne, Panama nous apparait par contraste d’une éclatante splendeur. Coincée entre l’océan Pacifique, la jungle et le canal, ville toute en hauteur avec ses gratte-ciels et son quartier colonial à plusieurs étages, elle tranche brutalement avec les autres villes centro-américaine, plates et étalées, que nous avons traversé jusqu’à présent. Panama est un curieux mélange : c’est à la fois un grand port à l’ambiance caribéenne sur la côte Pacifique, la ville la plus européenne et la plus nord-américaine que j’ai vu sur ce continent. Un foutu bazar, un palimpseste architectural et culturel évoquant l’histoire complexe de la région ces 5 derniers siècles et surtout depuis l’indépendance il y a tout pile 200 ans. Un mélange de modernité et d’antique, de pauvreté et de richesse, de cultures locales et importées, le tout dans un petit quadrilatère d’environ 25km sur 5 (à peine la moitié de la métropole lyonnaise) où les transitions d’un quartier et d’une ambiance à l’autre sont brutales. On y rencontre de tout : des vieux blancs nord-américains dans les hôtels des beaux quartiers, migrants temporaires ou permanents à la recherche de soleil, de services de santé peu onéreux et qualitatifs et d’un exotisme familier et rassurant; de jeunes latinos arrogants en costards-cravate, talons aiguilles et grosses voitures dans le quartier des affaires; des afro-caribéens aux noms français et indigènes Guna dans les immeubles délabrés qui s’étalent autour de la vieille ville. Panama me fait penser à un mélange de beaucoup d’autres villes que j’ai traversé : La Havane bien sûr, soeur presque jumelle qui serait resté figée dans le temps. Marseille, Porto et Lisbonne, grandes villes portuaires du sud de l’Europe, portes de l’Afrique et des outremers au passé grandiose, au présent décadent et au futur gentrifié. Vancouver enfin, pour ce mélange de gratte-ciel en bord de Pacifique et de forêts humides préservée en pleine ville, où la faune sauvage continue de vivre sa vie entourée d’humains bruyants. Dans la partie moderne de la ville, on croise plus de personne en blouse d’hôpitaux ou costumes de banquiers que partout ailleurs en Amérique centrale. À croire que le tourisme ici concerne surtout des personnages âgées à fort pouvoir d’achat. Pourtant, malgré l’eau potable au robinet, les transports publics modernes et la concentration inouïe de banques, 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Les bus panaméens, surnommés diables rouges. Les inscriptions religieuses et les motifs indigènes des bus guatélmatèques laissent ici la place à des décorations ultra sexualisées (boîte de préservatifs accrochées au rétroviseur, moumoute rose, dessins de femmes nues…), machistes et virilistes (inscriptions lues : « tu vas souffrir mais ça va être bon », « la vie est trop courte pour conduire prudemment »…). Je préfère le vélo.

Panama est une ville un peu folle, intense. Une ville qui malgré sa petite taille et ses transports en commun efficaces souffre d’une grave addiction à la voiture. Le dimanche, quand le malecón est fermé à la circulation motorisée et que les rues sont globalement plus calmes, plutôt que de se déplacer à vélo, les panaméens viennent garer leur véhicule transportant leur vélo au plus près du parcours. Ici la bicyclette est une activité élitiste et pas un moyen de transport : on trouve plus de boutiques haut de gamme vendant des casques à 300$ que de petits ateliers de quartier assurant la survie de vielles bécanes hors d’âge.

Autre symptôme de cette folie : Panama regorge de malls, grands centres commerciaux climatisés dans les premiers étages des grattes-ciels. On y trouve de tout : des magasins d’outdoor un peu cheap aux chirurgiens esthétiques. Pourtant ces malls font vides et artificiels, les vendeurs plus nombreux que les clients semblent s’ennuyer et de nombreuses boutiques sont fermées lors de nos passages.

En bref, c’est une ville fascinante, à la fois attirante, repoussante et épuisante. Une ville ardente, où l’excitation des premiers jours est vite remplacée par un désir tout aussi intense de fuir le plus loin possible de cette folie et agitation.

Darién

Si Panama est une porte pour les navires, c’est aussi un mur pour le transport terrestre : il n’y a pas de route entre ce pays et la Colombie voisine, séparés seulement par une étroite bande de jungle montagneuse. Cette frontière est réputée être l’une des plus dangereuses du monde. Pas tant par les obstacles naturels qu’elle présente, qui sont déjà grands, mais surtout parce qu’elle est une zone de non-droit contrôlée par les cartels, qui y font transiter toutes sortes de marchandises, drogues d’une part et humains d’autre part, à la recherche d’un avenir vivable et prêts à payer très cher le droit de tenter leur chance à travers ce territoire de tous les dangers. Ce qui s’y passe est opaque, caché dans l’ombre de la haute canopée et des nuages qui couvrent cette région pratiquement douze mois par an. Ce qui est certains, c’est que les gouvernements panaméens et colombiens interdisent formellement la traversée terrestre de cette frontière, et qu’il serait stupide de s’y aventurer simplement par plaisir et goût de l’aventure. Les seuls moyens possibles à l’heure actuelle de passer d’un pays à l’autre sont les suivants :

-en charter, gros voiliers de croisière proposant des traversées en quelques jours de la côte vers Carthagène des Indes. L’option la plus chère et la moins intéressante à mon avis : payer 700 dollars pour passer une semaine enfermé sur un bateau dans une ambiance spring break sans rien voir du pays, non merci.

-en lanchas, petits bateaux rapides utilisés par les locaux pour aller d’île en île et de village en village le long de la côte. C’est une option tentante, un peu plus chère que l’avion mais moins que les charters. Il faut environ 3 à 4 jours pour rejoindre la Colombie. Malheureusement, les échos que nous avons eu par les personnes qui l’ont tenté sont que cette aventure est très inconfortable et que le risque d’endommager les vélos est très élevé. Avec la blessure d’Elisa et en pleine saison des alizés avec une houle de plus de deux mètres, ce n’est clairement pas l’idéal.

-en bateau-stop : l’option la moins chère, si elle aboutit. Dans les faits, la probabilité de trouver un bateau allant en Colombie et acceptant de prendre des passagers, qui plus est avec des vélos, est proche de nulle. Nous avons la chance d’avoir mes parents dans le secteur qui prévoyaient de faire cette traversée et c’est l’option que nous avions retenue, avant que les conditions météo très défavorables et la complexité administrative ne mettent fin à ce projet.

-en kayak : c’est l’option retenue par nos amis Zach et Kacper, que nous retrouvons en pleine préparation à Panama City. Bien avant le voyage, nous avions vu la vidéo de Iohann Gueorguiev sur sa traversée en packraft par les îles San Blas. Le kayak est un peu le vélo des mers et des rivières, j’aime sa simplicité et sa capacité d’exploration qui lui permettent aussi bien de briser la glace avec les communautés locales que d’accéder à des endroits isolés. Sa capacité de portage plus élevée qu’à vélo, le fait qu’il ne dépendent pas de routes, qu’il puisse naviguer dans quelques centimètres d’eau et être porté sur terre si besoin lui ouvrent ainsi l’accès à des bivouacs inaccessibles par aucun autre moyen de transport. C’est l’option qui me faisait le plus rêver, mais c’est aussi la plus chère, la plus difficile et pas la plus sûre, surtout en cette période de vents forts et de houle. Elisa ne se sentait de toute façon pas prête à me suivre dans ce projet.

-en avion : le plus rapide, le plus sûr et le moins cher, mais pas le plus écolo ni le plus intéressant. Nous aurions aimé éviter cette solution, mais entre notre plan voilier tombé à l’eau, la blessure d’Elisa et le fait que nous ayons un rendez-vous en Colombie prévu avec ma famille… C’est finalement la solution qui s’est imposée. L’aventure en kayak sera pour une autre fois. Après tout, le monde ne manque pas de rivières, d’îles et de lacs.

Arrivés à Panama City le 17 janvier, nous devions retrouver mes parents vers le 20 sur la côte panaméenne. Suite à l’annulation de ce projet, nous nous sommes rabattus sur un vol le 31, ce qui nous laissait pas mal de temps à tuer. Malheureusement, la blessure d’Elisa nous a contraint à rester en ville, à proximité des médecins et hôpitaux pendant un bout de temps et nous n’avons pas tellement pu mettre ce temps à profit pour explorer le pays, qui semble pourtant regorger d’endroits magnifiques. Panama est le pays au monde ayant le pourcentage de territoire protégé le plus élevé au monde. Si le Panama est un pays assez touristique, son atmosphère est beaucoup plus tranquille et rustique comparé au Costa Rica voisin. À vélo, ce n’est sûrement pas non plus le pays idéal : le pays est peu peuplé et n’est traversé d’ouest en est que par la panaméricaine, d’où partent quelques routes sans issues, offrant peu de possibilité d’itinéraires à explorer. Mais c’est un bon pays pour se poser quelque part et profiter de sa nature luxuriante et de son ambiance particulière, mélange afro-caribéen, latino, européen et asiatique au rythme particulièrement lent et nonchalant.

Mis à part quelques jours sur la côte caribéenne avec mes parents une fois Elisa bien remise, nous n’en aurons donc que très peu profité. Mais l’hostel où nous passons une semaine dans la capitale devient vite un véritable foyer. Nous qui n’avons pas pour habitude de rester longtemps dans un logement payant pour des raisons de budget limité, nous redécouvrons les joies de se sentir un peu chez soi quelque part, de dormir dans un lit, d’avoir une cuisine et surtout, de rencontrer du monde. Ce qui est chouette au Panama, c’est que ce pays attire autant des touristes en vacances pour deux semaines que des voyageurs un peu plus aventuriers. Une sorte de mélange entre le Costa Rica et le Nicaragua en quelques sortes. Chaque jour de nouvelles personnes arrivent et repartent, pendant que d’autres restent plus longtemps, et tous ont des histoires différentes à raconter. J’avoue avoir un pincement au coeur en repartant. Chose qui ne m’attirait pas vraiment avant, je me verrais bien maintenant faire un volontariat dans un hostel. Dans ce genre d’endroit (ou même chez soi grâce à des plateformes comme Warmshowers, Welcome to my garden etc), on peut tout à fait voyager et s’inspirer tout en étant sédentaire, au gré des rencontres et des histoires de chacun. Ce séjour aura planté une