Belize

Avant d’entrer au Belize, nous ne savions pas grand chose de ce pays mis à part qu’il était plutôt cher, anglophone et très peu peuplé. Et à vrai dire, nous n’avions pas vraiment envie d’en savoir plus, pour le découvrir avec surprise.

Melting pot

Au passage de la frontière, nous sommes accueillis par un vieux rasta en uniforme de douanier, un peu avachi, qui nous souhaite la bienvenue. Ça pose l’ambiance. Côté mexicain, la route était large, bien entretenue avec un beau bas-côté pour les vélos. De ce côté-ci, c’est une route étroite dans un bitume grossier sans marquage et pratiquement sans circulation. On se croirait revenus au nord du Canada. Les paysages du nord sont assez monotones : c’est très plat et la forêt alterne avec des parcelles défrichées pour la culture de la canne à sucre et de la coco. Un panneau indique qu’en 1980, la forêt recouvrait 75% du pays contre seulement 62% aujourd’hui. Le panneau incite donc à utiliser plutôt des sèches-mains électriques que du papier… Pas sûr que la production de papier soit la cause réelle de la déforestation, en tout cas au Belize.

Dans le nord du pays, à ma surprise, la population est très majoritairement hispanique. À notre passage, tout le monde arrête ses activités pour nous saluer. Les gens sont très chaleureux et viennent nous parler, ça change du Yucatan. Ce soir nous dormons chez Rigoberto, qui gère la casa ciclista de Carmelita, à environ 70km de la frontière. Il pleut beaucoup, nous sommes trempés et nous découvrons que les sacs étanches dans lesquels nous mettons nos sacs de couchages et affaires de nuit prennent l’eau… Mauvaise surprise. Heureusement, Rigoberto nous offre un abri pour notre tente et pour étendre nos affaires mouillées. Pendant toute la semaine que nous passons dans le pays, l’air est tellement saturé d’humidité que nos affaires ne sèchent que si elles sont directement exposées au soleil. Celui-ci se montre rarement les premiers jours, et des grosses averses sorties de nulle part juste quand nos vêtements commençaient à sécher ruinent nos efforts. Dans ce pays on entend la pluie arriver : un bruissement lointain, de plus en plus fort, signifie que nous avons environ 10 secondes pour nous mettre à l’abri. Rigoberto héberge également une dame salvadorienne, qui est arrivée au Belize dans les années 80 lorsqu’elle était une petite fille. Elle nous explique que beaucoup de Honduriens, Salvadoriens, Guatémaltèques vivent ici.

Après Carmelita, nous bifurquons sur une route de terre vers le site maya d’Altun Ha. Rigoberto nous prévient que c’est une route un peu sauvage, il n’y aura pas grand monde pour nous aider en cas de pépin. Ça tombe bien, c’est ce qu’on aime ! À peine entrés sur cette route, nous ne croisons plus aucun hispanique mais uniquement des noirs créoles. Changement d’ambiance radicale… Cette petite route n’est pas la plus jolie non plus, mais son ambiance de brousse est plutôt sympa. Nous traversons des villages assez reculés, où encore une fois, les gens viennent nous parler. Quelques animaux aussi : coatis, tortues… En bord de route, la jungle est extrêmement dense. Nous essayons de voir à travers les feuillages : c’est sombre, humide, marécageux… Impossible de camper ici, à moins d’avoir une machette, des bottes en caoutchouc, un hamac complet avec moustiquaire et de quoi suspendre nos affaires dans les arbres. Le soir, nous campons donc chez Enrique, trinidadien passé par le Venezuela avant d’arriver au Belize il y a une quinzaine d’années. Enrique nous explique les difficultés pour s’installer en temps qu’étranger, et qui plus est en temps que seul étranger du village. C’est un sujet qui a l’air assez courant parmi les immigrants dans ce pays, quel que soit leur pays d’origine.

D’ailleurs des immigrants, il y en a beaucoup. Le pays est un véritable melting-pot : bélizéens noirs de culture caribéenne anglophone, hispaniques d’Amérique centrale, mennonites (sorte de secte protestante intégriste de colons agricole germanophone très répandue en Amérique), blancs européens et nord-américains, épiciers chinois et indiens…

Western

Tout ce petit monde, qui vit côte à côte mais sans vraiment se mélanger, contribue à l’ambiance de far west. Le Belize est un pays récent, indépendant depuis 1981. C’est un pays en construction : comme dit plus tôt, il était recouvert de jungle à 75% lors de son indépendance. Les produits alimentaires sont majoritairement importés des Etats-Unis et du Mexique, et sont par conséquent assez chers. Tout comme dans le nord du Canada, ou aux Etats-Unis il y a une centaine d’année, on peut encore y acheter quelques hectares de nature vierge à défricher pour développer un projet agricole ou touristique. De ce fait, les villes sont plutôt petites et fonctionnelles : on y va juste pour faire ses courses au magasin de bricolage et acheter les produits alimentaires qu’on n’a pas sur sa parcelle. L’habitat est très dispersé, étalé le long des routes. Exactement comme au Canada. Le pays a beau être très peu densément peuplé, lorsqu’on le parcourt par la route on ne s’en rend pas vraiment compte, puisque c’est le long de ces rares routes que les gens vivent. Comme en Amérique du Nord, ceux qui peuvent se payer une voiture roulent plutôt en gros pickups surdimensionnés. Et comme en Amérique du Nord, la religion est omniprésente, de manière un peu weird (bizarre): hauts-parleurs des églises qui crachent du gospel à plein régime, citations de la bible ou messages religieux creepy (flippant) taguées sur les murs : « If you remove God from the constitution of Belize, the Devil will enter it » (« si nous retirons Dieu de la constitution du Belize, le Diable y entrera »). Bref, une bonne ambiance de far west nord-américain. Pour Elisa, le pays évoque la Louisiane, avec ses marécages, ses maisons sur pilotis et ses petites églises de cultes bizarres. Ne manquent que les champs de coton et de tabac.

So british

Etant une ancienne colonie anglaise il y a encore peu de temps, l’influence britannique est marquée. La grosse brasserie locale produit des stouts et des ales (pas très bonnes malheureusement) et en marques étrangères on trouve plus de Guinness que de lagers. Les toilettes sont toujours gratuites et très propres (gros confort après le Mexique). L’architecture est dans un style colonial anglo-saxon, avec des maisons légères en bois sur pilotis plutôt que des gros cubes de solide ciment latino-américain. Des villages portent des noms évocateurs, comme Teakettle (« théière »). Les boulangeries regorgent de pudding, banana breads moelleux et roulés à la cannelle : un vrai bonheur, rien à voir avec les brioches toutes sèches du Mexique. Dans les supermarchés, on trouve des biscuits anglais et des flocons d’avoine. Et bien sûr, les gazons sont toujours impeccablement tondus. Sans parler de la reine Elizabeth sur les billets : le pays fait toujours partie du Commonwealth.

Ce mélange de far west british à l’odeur de cannabis peuplé de gens polis et agréables nous donne vraiment l’impression d’être dans un petit Canada tropical. Ça donne envie de s’aventurer un peu plus dans le wilderness (le monde « sauvage »), malheureusement nous disposons d’un temps très restreint pour notre traversée de l’Amérique centrale et les fortes pluies des dernières semaines rendent la navigation en dehors des routes principales compliquées, voire impossibles en raison des crues. Dommage ! Nous aurons au moins eu un aperçu de ce petit pays qui ne nous évoquait rien, et nous nous verrions pourquoi pas revenir un jour pour l’explorer un peu plus. Et puis ce serait l’occasion de poser LA question qui m’intéressait, et que je n’ai jamais réussi à placer dans une discussion à tous ces gens venus d’ailleurs : mais comment en êtes vous arrivés à vous installer dans ce petit pays que personne ne connait ?

Bye Bye Mexico

Moins d’une semaine que nous sommes revenus au Mexique et il est déjà temps de partir. Pas parce que nous en avons fait le tour, loin de là. Nous reviendrons très certainement un jour revoir ce beau pays. Mais d’autres contrées nous appellent. Ou plutôt, la route nous appelle.

Cette dernière semaine, nous n’avons même pas fait de tourisme. Pas vraiment envie. l’État où nous nous trouvons (Quintana Roo) est le plus touristique du pays et même une des régions les plus visitées du monde. Nous ne sommes que des étrangers parmi tant d’autres. Ici trois types de visiteurs cohabitent : des plongeurs, des backpackers tendance neohippies et des familles et retraités à fort pouvoir d’achat. Étonnamment tous attirés par les mêmes endroits, par la nature incroyable, et incroyablement chèrement vendue : tout se paie, et le plus souvent au prix fort : camper, se baigner dans une rivière ou un cenote… Il paraît que les prix ont été multipliés parfois par dix ces dernières années et qu’une plongée ici coûte aussi cher qu’en Australie, l’un des pays les plus chers du monde. Seules les plages, propriétés fédérales, ne peuvent être privatisées au Mexique. Alors on y passe nos journées, en attendant de reprendre la route.

Bacalar, Tulum… Ces endroits sont magnifiques et pourtant nous n’avons pas un désir intense de les voir. N’avoir pas encore commencé à rouler ne nous donne pas envie de nous arrêter et profiter. L’appel du bitume est plus fort que celui de la plage. Mais je comprends tout à fait les gens qui viennent passer leurs vacances ici. Je ne serais pas surpris qu’un jour nous revenions, dans un autre état d’esprit et avec un autre budget.

À Bacalar nous avons rencontré un couple de français en van. C’est intéressant d’échanger avec des gens qui visitent les mêmes endroits que nous, mais d’une autre manière. Si voyager en van semble sur le papier plus confortable, c’est beaucoup plus contraignant que le vélo. Les passages de frontière sont plus compliqués, la sécurité aussi : alors que nous n’avons jamais eux le moindre ennui au Mexique, les motorisés se font apparemment fréquemment emmerder par des policiers corrompus. Et si un vélo peut facilement se mettre en sécurité dans une chambre d’hôtel, ce n’est pas le cas d’un véhicule motorisé. Le van au Canada, pourquoi pas, mais en Amérique centrale je préfère ma bicyclette.

Nous avons aussi rencontré deux autres voyageurs à vélo. Mark, la quarantaine, parti d’Allemagne en 2016. La location de son appartement finance son voyage. Pas de contrainte d’argent, donc pas de contrainte de temps non plus. Il avance à son rythme au gré des rencontres et des expériences. La belle vie.

Une deuxième cyclotouriste, avec qui nous parlons à peine 5 minutes mais qui nous déballe tout de sa vie, de sa vision du voyage à vélo ainsi que quelques conseils non sollicités sans s’intéresser le moins du monde à notre façon de voyager (“il faut ralentir, ne paie jamais pour rien, juste en énergie”). Elle entre clairement dans ma catégorie “hippie énervant” : ces gens qui croient être des exemples d’ouverture d’esprit et de compréhension mais ne s’intéressent pas aux autres et méprisent ceux qui ne pensent pas comme eux.

Bref, autant j’étais à l’aise partout ailleurs au Mexique, autant ici je ne me sens pas trop à ma place. Le Belize sera différent, pas forcément plus facile (probablement plutôt l’inverse), mais ce sera au moins une nouvelle expérience.

Cuba

Un mois sans les vélos pour voyager différemment, et se rappeler à quel point la liberté et la sympathie dans le regard des gens que procure la bicyclette sont précieuses. L’archipel est immense, presque sans voitures, sa nature bien préservée et l’explorer à vélo loin des endroits touristiques doit être un pur bonheur. On garde quand même un très bon souvenir (ce qui n’était pas gagné les premiers jours) et on reviendra s’en faire une meilleure idée !

À notre sortie de l’avion, plusieurs choses nous frappent. Le climat d’abord, chaud et humide, bien différent de celui du centre du Mexique. Puis les infrastructures : on se croirait revenu plusieurs décennies en arrière. À quelques détails près : les toilettes sont maintenant équipés de sèche-main avec détecteur de présence, et sur les bureau d’écolier en bois des officiels de la douane et du ministère de la santé sont posés des ordinateurs portables. À part ça, rien ne semble avoir bougé depuis l’époque de la révolution. Il faut ensuite prendre le taxi pour rejoindre la Havane, à une vingtaine de kilomètres. Deuxième choc : à l’exception de quelques taxis et charrettes à cheval, la large autoroute est déserte. Même en ville, les voitures sont rares. Les moyens de transport prédominants : traction animale, motos électriques, vélo (et vélotaxi). Je suis même surpris de voir quelques cyclistes loisirs assez bien équipés.

La Havane

Je pense que tous les visiteurs qui se rendent à Cuba ont une image fantasmée de la Havane. Que ce soit celle pré-révolution des grands hôtels américains et voitures d’époque, ou celle du Buena Vista Social Club et de la musique cubaine omniprésente : tout ceci n’est qu’illusion. Le quartier Vieja, inscrit au patrimoine de l’Unesco et qui bénéficie de fonds pour sa restauration donne plus l’impression d’être dans un parc d’attraction plutôt que dans une ville véritable, avec ses bars et restaurants tout neufs et ses galeries d’art. C’est joli, mais pas besoin de creuser bien profond pour se rendre compte que sous le vernis, c’est compliqué : à chaque coin de rue, des jineteros qui connaissent quelques mots de toutes les langues du monde ou presque abordent le chaland pour essayer de lui soutirer quelques euros, insistant lourdement pour l’emmener boire le meilleur mojito de la capitale au bar du Che (et toucher une commission au passage) ou vendre des cartes sim 10 fois plus chères que le prix officiel et parfois périmées. La démarche est toujours la même : « Français ? Oulala oui-oui, ça va bien ? J’adore Paris et Mbappé ». À la longue, c’est usant. On passe rapidement sur la défensive : on finit par s’attendre à ce que chaque personne qui nous sourit essaie de nous la faire à l’envers et on devient méfiant, même avec les (très rares) personnes authentiquement sympathiques qui osent nous aborder. À vrai dire, même en dehors de La Havane, le pays est tellement touristique et les relations touristes/locaux tellement asymétriques que je finis par avoir l’impression que les sourires et la sympathie s’achètent, et de préférence en euros. Les gens qui n’ont rien à gagner avec nous sont généralement totalement indifférents, voire même antipathiques. Le pire sont les employés de services : au mieux amorphes, poussant de grands soupirs lorsque nous arrivons à leur caisse et qu’ils doivent détourner les yeux de leur smartphone. Au pire, carrément désagréables. Il faut dire que la plupart des emplois ne sont pas franchement valorisants : salaires ridiculement bas, tâches ultra monotones, moyens techniques pratiquement toujours en panne… Après l’incroyable générosité des mexicains, avec qui la règle est de dire oui à tout pour faire des rencontres et vivre des expériences incroyables, Cuba nous parait bien antipathique.

Les havanais avec qui nous réussissons à discuter disent tous la même chose : la situation n’a jamais été aussi intenable. Un enseignant gagne 2000 pesos par mois (environ 17€ au taux de change actuel), un médecin 6000 (50€), un policier 12000 (100€). Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont de la famille à l’étranger ou travaillent dans le tourisme : un repas dans un restaurant touristique coûte à partir de 10€, une chambre en casa particular autour de 25€ la nuit, un tour d’une heure dans une vieille voiture américaine 30€ : des prix comparables à ceux de l’Europe dans un pays où les salaires sont environ 100 fois plus bas qu’en France… Il y a quelque chose d’indécent dans ce système, où le touriste s’offre des vacances de luxe à prix d’or qui profitent seulement à quelques chanceux et surtout à la famille dirigeante (qui possède les restaurants les plus chers, la plupart des hôtels et toutes les infrastructures touristiques rentables : marinas, accès aux sentiers de randonnées etc), pendant que la majorité de la population lutte pour survivre.

Dans les autres quartiers, on peut se déplacer plus tranquillement et se rendre compte de la vraie vie dans la capitale. Les bâtiments sont délabrés et tombent littéralement en ruine, tout en étant toujours habités. Se nourrir est compliqué. Les files d’attente devant des épiceries quasiment vides sont longues comme un jour sans pain. On trouve quelques restaurants de quartier, où les portions sont petites et mesurés très précisément et où l’on mange la même chose que dans les restaurants touristiques (du riz, un peu de viande et du chou), pour dix fois moins cher. Côté positif de la pénurie : les couverts et boîtes en cartons dans lesquels est servie à la nourriture dans les stands de rue sont payants, et pratiquement tous le monde vient avec sa gamelle et sa cuiller. Résultat : très peu de déchets, le pays est globalement très propre.

À part quelques fruits et légumes, pratiquement toute la nourriture est importé. On trouve de la bière de tous les pays du monde sauf de Cuba. Du riz mexicain et des tortillas danoises… à des prix indécents.

Cap sur les cayos

Les quelques jours passés à la Havane et à Cienfuegos ont été vraiment difficiles moralement. Elisa et moi n’avons qu’une envie : retourner au Mexique. C’est le bon moment pour embarquer sur le voilier de mes parents, en escale dans le sud de l’île, et larguer les amarres direction l’archipel des Canarreos après avoir rempli la cale de riz, de sauce tomate, de 15kg de fruits et légumes frais et d’oeufs trouvés miraculeusement (la rumeur dit qu’un important stock est arrivé la semaine précédent les élections des représentants locaux du Parti, qui tombaient la veille de notre départ…). À environ 45 milles nautiques de l’île principale (environ 70 km), cet archipel est composé de petits cayos, îles coralliennes dispersées sur une mer bleu azur à 27 degrés Celsius. Seules quatre îles sont habitées : Cayo Largo, où est concentrée l’ensemble de l’activité touristique de l’archipel (mais où l’on peut quand même être seul sur la plage en plein weekend de Pâques). Cayo Campos et Cayo Cantiles, où quatre rangers sensés protéger la faune survivent en mangeant des iguanes, des langoustes et des lapins qu’ils ont apportés du continent. Et Cayo Guano et ses deux gardiens de phare, qui passent une partie de leur journée à pêcher et chasser pour échanger leurs prises contre du rhum et d’autres produits tout aussi indispensables avec les rares voiliers de passage.

Comme le vélo, le voilier est un moyen de transport qui permet d’avancer silencieusement et sans énergie fossile (ou presque) pour accéder aux endroits les plus reculés, qu’aucun transport public ne dessert. La différence est qu’à vélo notre capacité de stockage limitée ne nous permet que de traverser ces endroits. En voilier, transporter deux semaines de nourriture et d’eau est une formalité. Il y a même un petit frigo à bord qui permet (quand il ne tombe pas en panne) d’avoir des bières presque fraîches à portée de main. Passer deux semaines à manger du riz à la tomate seuls sur des îles désertes : le grand luxe à la cubaine.

Si les paysages de mangroves et de petits ilots coralliens parsemés au milieu de l’immensité bleue sont intriguant, le plus magique se passe sous l’eau. Du fait de la très faible présence humaine, la faune et la flore sous-marine sont particulièrement bien préservés. Les récifs de corail paraissent être de véritables villes animales, où les animaux indifférents à notre présence vaquent à leurs activités. Nous y avons croisé des barracudas à la pelle, généralement par groupe de deux ou trois; des poissons-volants sautant par bancs entier dans un bruissement au dessus de l’eau, pour essayer d’échapper aux dents des dorades; des raies immenses semblables à des fantômes voletant au dessus des tours de corail et des gorgones dans la nuit américaine des métropoles sous-marines; des requins et leurs escortes de poisson pilote; nos propres escortes de dauphins, jouant autour du bateau en poussant de petits cris; des langoustes peu craintives sortant de leurs trous à notre passage et agitant leurs antennes comme pour nous saluer; des oursins d’un rouge flamboyant et des centaines de poissons de toutes les tailles et couleurs dont j’ignore totalement les noms.

À l’exception de Cayo Largo, qui dispose d’un aéroport et d’un terminal de ferry, cet archipel est totalement inaccessible à moins d’avoir un bateau. Cuba étant un peu à l’écart des routes maritimes classiques, et un peu compliqué d’un point de vue administratif et logistique, assez peu de marins font le détour. C’est notre chance : en deux semaines de navigation, en dehors de Cayo Largo nous n’aurons croisé pratiquement personne. Jamais je n’aurais cru, après avoir traversé le nord du Canada et le désert de Basse-Californie, que nous trouverions l’endroit le plus sauvage et préservé de notre voyage dans les Caraïbes. C’est là aussi une grande différence entre le voilier et le vélo : pour avancer en vélo, il faut une route, ou au moins un chemin. Et s’il y a un chemin, c’est pour relier des endroits habités. À la voile, nous glissons simplement sur l’eau et pouvons accéder à n’importe quel endroit, pourvu qu’on puisse y jeter l’ancre.

Topes de Collantes

Lorsque nous revenons sur terre après deux semaines de navigation, j’ai une petite appréhension. Pas envie de retrouver l’île principale, subir le bruit, devoir faire des efforts pour esquiver les jineteros, devoir à nouveau galérer pour manger et se déplacer avec un budget raisonnable… Au même moment je lis la « Longue Route » de Bernard Moitessier, qui après plusieurs mois seul en mer se sent bien, dans sa zone de confort et ne souhaite pas retrouver la terre. Je ressens un peu la même chose.

Finalement le retour se fait en douceur. Nous avons loué une cabane à Topes de Collantes, un massif montagneux dans le sud de l’île. À 800m d’altitude, l’air est déjà beaucoup plus frais. Nous prévoyions de faire beaucoup de randonnée, mais nous déchantons un peu une fois sur place : il faut un permis pour chaque sentier « officiel », qui coûte 10€ par jour et par personne, qui doit être acheté le jour même au centre d’information (à 30min de notre cabane) et ne peut être payé que par carte bancaire. Les joies de l’administration cubaine. Les sentiers sont en plus très courts : pas de quoi occuper une journée. Ça fait cher la balade : on se rabat finalement sur quelques sentiers et routes non entretenus. Heureusement, notre cabane est installée dans un endroit magique. Malgré la proximité du village, nous n’entendons que des bruits naturels. Le chant des oiseaux le matin, le silence l’après-midi et la cacophonie tonitruante d’insectes, batraciens et rapaces nocturnes à la tombée de la nuit. Un endroit magique où il fait bon passer la journée dans le hamac ou le poste d’observation construit dans un arbre et juste contempler le spectacle qui s’offre à nous en profitant de la fraicheur du climat. Cerise sur le gâteau : petit-déjeuner et diner sont inclus, et notre hôte est un véritable chef qui travaille avec des produits locaux. Herbes et fruits du jardin, écrevisses pêchées dans la rivière qui borde la parcelle… On se régale.

Trinidad

Trinidad est LA ville touristique par excellence. Le centre tout petit et très joli s’anime tous les soirs lorsque les musiciens prennent place dans les bars, restaurants et lieux culturels et font résonner la ville au rythmes du son cubain, de la salsa et de la rumba. Les vieux cubains tout de blanc vêtus se déhanchent sans se presser et nous les observons en sirotant des mojitos à des prix raisonnables. Les interactions avec les locaux sont un peu plus agréables qu’à la Havane et nous nous détendons enfin.

À Trinidad tout le monde nous dit d’aller voir Playa Ancon, qui serait la plus belle plage des Caraïbes. La plage est située à une dizaine de kilomètres de la ville. Une bonne occasion de louer des vélos pour une petite balade. Malgré nos vieux vélos inconfortables, quel pied d’être enfin libres de nos mouvements ! Pédaler à Cuba est un vrai bonheur : les routes sont presque vides de voitures, la plupart des gens se déplaçant à vélo, à cheval ou en moto électrique. Autre avantage : fini les taxis et tuktuks qui nous harcelaient jusque là. La seule personne qui nous aborde veut juste s’assurer que tout va bien alors que nous sommes arrêtés pour regarder la carte. Nous retrouvons les plaisirs simple du voyage à vélo.

Sans surprise, Playa Ancon est certes jolie mais ne nous impressionne pas tellement après nos deux semaines dans les cayos. Peu importe, ce qui compte ce n’est pas la destination mais le voyage !

Come-back

Cuba attire pour le charme désuet de ses vieilles voitures, ses peintures de Che Guevara et son côté figé dans le temps. Mais le vrai trésor de Cuba, c’est finalement ses étendues de nature intacte plus que son image de carte postale. En 1 mois, nous avons vu une infime partie du plus grand pays des Caraïbes et, en dehors des villes, avons souvent été seuls ou presque dans la nature. Si les premiers jours à La Havane et dans une moindre mesure à Cienfuegos ont été très difficiles moralement, le reste du pays m’a finalement donné envie d’en voir un peu plus. Revenir à Cuba, pourquoi pas, mais à vélo cette fois. Les routes pratiquement désertes, la criminalité quasiment inexistante et l’intérieur très peu peuplé qui semble être le paradis du bivouac en hamac donnent envie de découvrir l’intérieur du pays de manière un peu plus aventurière, en dehors du cadre imposé par le gouvernement qui a tendance à vouloir un peu trop tout contrôler.

Retour au pays natal

Après être partis voyager à vélo pendant 1 an et demi sur le continent américain et avoir fini par saturer, nous sommes rentrés au pays. Faire un tour (toujours à vélo) de la famille et des copains a été une véritable thérapie qui nous a aidé à prendre du recul sur les expériences que nous avions vécues. Redécouvrir le goût et la qualité incroyable de la nourriture française, le plaisir du vélo et du bivouac facile sur les petites routes bretonnes… Mais aussi réentendre l’insupportable expression « bon courage » tellement plus négative que les « profitez bien » entendus en anglais et espagnol pendant des mois, subir à nouveau l’odeur de la cigarette dans les lieux publics… Ce petit voyage au pays natal a été l’occasion de renouer avec l’excitation de la découverte : retrouver son pays et le voir avec un regard neuf et plus de recul pour mieux le comprendre et nous comprendre.

À Oaxaca, au sud du Mexique, la fièvre nous a forcé à faire une pause. Une énième pause depuis que nous avions quitté Mexico quelques semaines plus tôt. Après la canicule et les intoxications alimentaires, cette fois-ci ce furent les moustiques qui nous arrêtèrent… Le rythme décousu des dernières semaines avait achevé notre motivation. Notre prochain objectif, le Guatemala, était à la fois très proche géographiquement et très loin dans le temps, puisque nous avions rendez-vous avec mes parents pour y fêter Noël, 4 mois et demi plus tard. 4 mois et demi pour parcourir moins de 1000 kilomètres : l’excitation du voyage disparait vite quand on a l’impression de tuer le temps. Elisa n’avait déjà plus l’envie quand nous sommes repartis de Mexico, et je l’ai perdue à mon tour. Dans cette petite chambre d’hôtel de Oaxaca, nous avons pris la décision de faire une pause dans notre voyage et rentrer quelques mois en France. Dans notre classement des projets qui nous donnaient envie, celui-ci était bien plus haut que de continuer à rouler vers le sud ou de faire une longue pause au Mexique. À quoi bon continuer quand l’envie n’est plus là ? Pour être sûrs de reprendre notre voyage, nous avons laissé nos vélos et une partie de notre équipement à Playa Del Carmen, chez une amie.

À peine le vol réservé, notre excitation est revenue. Nous avions retrouvé un projet motivant avec des dates butoir à respecter. Dans notre petite chambre d’hôtel oaxaqueña, en plus de lister ce que nous avions à faire avant notre départ puis une fois en France, nous avons aussi fait une autre liste, plus personnelle : qu’avions-nous envie de manger à notre retour ? Etonnamment, la nourriture française ne nous a pas manqué une seule fois en un an et demi de voyage : nous nous satisfaisions de ce que nous trouvions, chaque pays ayant ses bons produits réconfortants en cas de coup au moral. Alors que nous nous en étions passé sans peine pendant des mois, pendant les quelques jours avant le vol il nous a été impossible de penser à autre chose qu’à de la baguette, du bon fromage français et de la bière artisanale (très chère et rarement bonne au Mexique).

Une fois en France, retourner en Amérique Centrale trois mois plus tard semblait une véritable corvée dont nous n’avions plus aucune envie. Après 8 mois au Mexique et à Cuba, nous rêvions d’espace et de nature, plus tellement de densité humaine et de découvertes culturelles. Nous sommes restés trop longtemps dans le même pays, magnifique et fascinant mais qui peut être usant à la longue. Le Mexique est un film de Kusturica : baroque, coloré, joyeux, bruyant, souvent absurde, parfois violent. On y croise des cowboys à dos d’âne, des sorcières édentées qui préparent aussi bien des filtres d’amour que des potions pour calmer les ardeurs des maris infidèles, des fanfares, des chanteurs de karaokés de rue totalement faux mais passionnés, des borrachos endormis dans le caniveau, des pétards à la moindre occasion (et elles sont nombreuses), des fêtes religieuses pour tout et n’importe quoi, des marchands ambulants qui vendent de délicieux “tamalitos oaxaqueños tamalitos calientitos” ou achètent des matelas, poêles, machines à laver ou n’importe quelle autre vieille ferraille; des mariachis embauchés pour chanter des sérénades au milieu de la nuit, beaucoup de chapeaux, de moustaches, de maris feignants et de grands mères qui tiennent la baraque. C’est un univers fascinant mais un peu fatiguant où tout peut arriver à toute heure. Il faut savoir faire preuve de souplesse et de patience et accepter de se laisser entraîner par un rythme nonchalant. Par contraste, la France est un pays incroyablement silencieux, vide d’humains, froid et prévisible, mais reposant. Alors nous avons fouillé dans nos affaires pour rassembler un peu de matériel de camping et de vélo, emprunté ce qui nous manquait et sommes partis sur les routes à la rencontre de nos amis et de nos familles que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Ce pèlerinage a agi comme une véritable thérapie, qui nous a redonné le goût de l’exploration, des rencontres et nous a aidé à assimiler l’aventure que nous venions de vivre pendant cette année et demi. Raconter notre voyage plusieurs fois par jour, soumettre nos histoires à des regards nouveaux, répondre à des questions auxquelles nous n’avions pas pensé nous a permis de revivre notre aventure, de dépasser ce point de saturation que nous avions atteint et de mieux assimiler ce que nous avions vécu et comment cela nous a transformé. Cela nous a même donné un peu envie de repartir…

Nourris aux films et aux réseaux sociaux d’aventuriers de la pédale, nous rêvions d’une grande traversée des Amériques en 2 à 3 ans, du nord au sud et d’une traite. L’Amérique du Nord n’était pour nous qu’un hors d’oeuvre, une mise en jambe avant d’attaquer le vif du sujet : les traversées du désert en Amérique du Sud, les hautes ascensions des volcans d’Amérique Centrale et des montagnes andines. Peut-être inconsciemment, nous rêvions d’exceptionnel, puisque c’est souvent ce qui est mis en avant dans les récits d’aventure. Nous nous sommes finalement rendus comptes que l’aventure est partout et pas seulement dans les paysages grandioses. Si ceux-ci font de belles cartes postales, ce ne sont pas eux qui nous font évoluer et changent notre regard sur nous-même et sur le monde. Nous avons finalement appris plus de nos rencontres, des longues journées de pédalage sur des routes monotones et des situations inconfortables que des jours d’extase et de pur plaisir sur des sections plus grandioses ou naturelles, même si ceux-ci sont indispensables pour entretenir la flamme tout au long de la route. Finalement voyager au long cours quelque soit le moyen de transport, c’est comme le vélo : tout est question d’équilibre.

Il nous aura bien fallu 3 mois pour retrouver le désir de reprendre la route et faire la paix avec nous même, passer au-delà du sentiment d’échec et de la honte de cet aller-retour en avion. C’est comme ça. Et s’il le fallait pour retrouver l’envie, c’est bien ainsi. Revoir les amis, la famille, les petits qui grandissent et les vieux qui vieillissent, ça n’a tout simplement pas de prix. Nous avons probablement passé les semaines les plus heureuses de notre vie pendant cette pause. Maintenant il est temps de retrouver la pluie, le froid, la chaleur, l’inconfort et la fatigue, car “quand tu aimes il faut partir*”.

Alors qu’en ce début d’automne s’enchaînent les tempêtes et la pluie, nous avons pour de bon retrouver l’envie de partir. Les 3 prochains mois seront consacrés à la traversée de l’Amérique centrale, du Yucatán à la Colombie. Environ 3500km et 40000m de dénivelé (à la louche) de prévu, il ne faudra pas trop trainer.

*extrait du poème de Blaise Cendrars, “Tu es plus belle que le ciel et la mer”

Oaxaca

L’apogée…

Il est temps de descendre des montagnes vers la région des vallées centrales de l’Etat de Oaxaca et de la ville éponyme. Oaxaca est une des villes les plus touristiques du centre du Mexique, réputée pour être la capitale gastronomique nationale et pour son art et artisanat indigène très riche. Ces titres honorifiques ne nous impressionnent pas trop : nous avons vécu dans une capitale de la gastronomie nous aussi et nous savons par expérience que tout ceci n’est que du marketing territorial. Juillet est un mois de fête à Oaxaca : c’est la période de la Guelaguetza, une très ancienne fête préhispanique célébrant les offrandes aux dieux et aux autres humains devenue la plus grande fête folklorique du continent américain et un événement très touristique. Comme pour Mexico, notre première impression est très négative. Aucune envie de traîner ici, c’est beaucoup trop touristique. Après deux semaines dans les montagnes, difficile de s’habituer à cette atmosphère. D’un autre côté, nous avons poussé assez loin nos limites en terme d’inconfort et nous avons aussi envie d’un peu de « luxe ». Nous n’avons pas le budget pour les restaurants gastronomiques qui font la réputation de Oaxaca. Pas besoin : rien qu’au marché, les produits sont effectivement de qualité supérieure que ce à quoi nous sommes habitués au Mexique. Nous passons donc une semaine à cuisiner des bons petits plats et à sortir pour visiter les galeries d’art, manger des paletas (glaces artisanales mexicaines), des nieves oaxaqueñas (autres type de glaces, typiques de la région) et des tlayudas (sortes de pizzas locales avec une pâte à la farine de maïs), boire des tejates (boisson fraiche à base entre autres de cacao) et des horchatas (sorte de lait de riz frais et sucré, à Oaxaca il est enrichi de noix et fruits confits)… Finalement c’est vrai qu’on mange bien ici !

Je comprends pourquoi cette région est si populaire : si je voulais découvrir le Mexique et que je n’avais que quelques semaines, c’est probablement là que j’irais. La richesse de l’artisanat, la densité de sites archéologiques, la diversité de climats et de paysages et la cuisine globalement meilleure que partout ailleurs au Mexique en font une région fondamentalement attractive. À cela s’ajoute une mafia parait-il moins présente que dans le reste du pays, des communautés plus sensibilisées à l’environnement (probablement lié à l’emprise moins forte des cartels) et un éco-tourisme développé qui font que l’écart culturel avec l’Europe est un peu moindre.

… Et la chute

Nous avons rendez-vous avec mes parents au Chiapas dans une dizaine de jours, il est temps de repartir… Mais Elisa n’a plus l’envie et sa démotivation est contagieuse. Nous sommes arrivés à un stade où le désir de sédentarité est plus fort que le désir de découverte. Cela fait presque 8 mois que nous sommes au Mexique, et le pays ne nous surprends plus. Nous nous y sentons bien, comme chez nous, et pourtant nous commençons à avoir suffisamment de recul pour ne plus être dans la phase d’émerveillement des premiers mois. Certains petits détails, que nous n’avions pas forcément remarqué jusque là ou qui ne nous dérangeaient pas, commencent à nous irriter. Nous décidons de reprendre la route tout de même pour au moins rejoindre mes parents à San Cristobal. Le matin du départ, j’ai une légère fièvre. La première étape est courte et facile, je ne dis rien à Elisa. Ça va passer… Ou pas. Le soir je m’écroule sur le lit de la petite chambre que nous avons loué à Mitla, terrassé par la fièvre. Il y a quelques jours, nous traversions des villages avec des pancartes sensibilisant au risque de dengue, zika et chikungunya mais le climat étant frais et relativement sec, je n’y ai pas pris garde. Erreur. Je passe les quatre jours suivants cloué au lit, avec des brutales et violentes montées de fièvre accompagnées de nausée pendant lesquelles le simple fait d’être allongé me fait mal au dos, à la nuque, à la tête… C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : nous avons besoin de couper avec le voyage et décidons de rentrer faire une pause en France.

À peine les billets d’avion réservés, nous sentons un immense soulagement, une véritable sensation d’euphorie. Etrangement, c’est à ce moment que le mal du pays se fait le plus pressant. Rien ne nous manquait jusqu’à présent. Quand nous rencontrions d’autres français, les discussions tournaient évidemment souvent autour de la cuisine de chez nous, de la famille et des amis si loins. Et pourtant, pour nous ce n’était qu’une idée assez abstraite, quelque chose que nous aimions et auquel nous pensions souvent, mais dont l’absence ne nous pesait pas. Après tant de temps sur la route, nous ne désirions plus que ce que nous pouvions avoir. Soudain, savoir que nous allions retrouver le pays a rendu de nouveau concrets tous ces désirs et nous avons commencé à souffrir du manque de ce que nous allions bientôt retrouver.

Mais nous savons aussi qu’il ne nous reste plus que deux semaines à passer au Mexique et nous nous réconcilions avec l’envie de voyager et notre environnement. Rien d’autre n’a changé que notre regard et pourtant notre environnement nous parait différent. Ce qui nous irritait ne nous dérange plus, et nous voyons déjà avec nostalgie ce que nous aimons. La dernière paleta avant le retour, la dernière horchata… Il faut profiter de tout à fond. Nous décidons d’utiliser le temps qu’il nous reste pour aller dans les montagnes, à San Mateo Rio Hondo. San Mateo et les villages environnants bénéficient d’un climat frais et très humide à cette période de l’année, favorisant la croissance des champignons, particulièrement en cette semaine de pleine lune de fin juillet. Les villageois courent les bois à la recherche de magnifiques cèpes, bolets et psylocibes qui sont ensuite vendus dans les échoppes et restaurant du village. Nous y dégustons d’incroyables plats aux champignons. Mais si nous sommes venus ici, c’est aussi pour découvrir un autre aspect de la médecine traditionnelle mexicaine. C’est dans les montagnes de l’Etat de Oaxaca qu’ont été redécouvert par les occidentaux les champignons hallucinogènes, qui n’avaient jamais cessé d’être utilisés à des fins médicinales par les populations indigènes locales. Cette pause dans les montagnes aura eu un véritable effet thérapeutique, à un moment où nous nous posions beaucoup de questions.

De retour à Oaxaca Ciudad, nous retrouvons nos amis québécois Katherine et Félix, qui ont eux aussi décidé de mettre en pause leur voyage. Nous retrouvons également Nick et Emily, chez qui nous avions laissé nos vélos pendant notre excursion à San Mateo. Nick voyage à vélo depuis deux ans, se posant tous les trois mois environ pour travailler, profiter de la sédentarité et financer la suite de l’aventure. Il a rencontré Emily sur la route, et ils ont poursuivi leur chemin ensemble. À Oaxaca, il donne des cours d’anglais dans une école de langues locale et sur une plateforme en ligne (plus contraignant, moins convivial mais beaucoup plus lucratif). À ce moment du voyage c’est une rencontre qui nous inspire : pouvoir travailler depuis n’importe où, s’arrêter quelque part où l’on se sent bien quand on en a envie jusqu’à ce que la route nous appelle à nouveau. C’est probablement ce qui nous a manqué depuis Mexico : continuer le voyage, mais de manière sédentaire.

Nick et Emily ne pouvant pas nous accueillir dans leur minuscule logement, nous passons notre dernière nuit dans la dernière auberge ayant deux lits disponibles à un budget raisonnable. Bonne pioche : nous y rencontrons une belle brochette de backpackers avec des parcours et des manières de voyager très différents des nôtres, ce qui n’était pas arrivé depuis… longtemps. Un québécois interprète et guide mycologique, un couple anglo-australien de cuisiniers ici pour se former à la cuisine mexicaine, un travailleur social américain entre deux volontariats, deux très jeunes françaises voyageant en solitaire… J’ai un petit pincement au coeur : ces rencontres me redonnent envie de voyager. Auraient-elles été aussi inspirantes si nous n’avions pas pris la décision de rentrer ? Auraient-elles suffit à relancer la dynamique d’un voyage qui tombait en chute libre ? Je ne sais pas. Elles auront au moins contribuer à ce que nous rentrions au pays sans être définitivement dégoutés du voyage et du Mexique, pour lequel nous garderons pour toujours un attachement fort suite aux 8 mois où nous y avons vécu. Nous y retournerons un jour, c’est certain !

Du désert à la forêt des brumes

Cactus, mezcal et fourmis

La pluie tombe enfin, il est temps de reprendre la route. Nous montons d’abord dans un bus vers Tehuacán pour éviter une longue ascension par une route un peu dangereuse. À boire des cafés en attendant la fraicheur, notre condition physique ne s’est pas améliorée… à Tehuacán nous laissons une partie de nos affaires chez Aurea, hôte warmshower, et partons pour une boucle de 4 jours dans la réserve de biosphère de Tehuacán-Cuicatlan. Cette grande zone protégée concentre une diversité d’espèces animales et végétales rares à l’échelle mondiale. 20% des plantes qui s’y trouvent sont endémiques. Le climat de désert d’altitude aux précipitations très rares et aux températures peu élevées favorise le développement de cactus, agaves et autres plantes grasses à la croissance très lente. On y trouve des arbres entièrement verts capables de réaliser la photosynthèse par leurs troncs et leurs branches, des forêts de cactus très hauts qui se soutiennent entre eux par leurs racines et des sotolines, sortes de baobabs millénaires. La cuisine locale est forcément spéciale aussi : on y consomme du cactus sous toutes ses formes (fruits, fleurs, branches…), des insectes et du mezcal réalisé à partir de diverses variétés d’agaves.

Malheureusement, bien que cette région soit théoriquement protégée, certaines zones sont déforestées pour la culture d’agave à mezcal. La popularité grandissante de cette boisson est une source de revenus fiable pour les habitants de cette région pauvre où les autres opportunités économiques sont rares. Le gouvernement local tente de développer l’écotourisme et l’équipe du magnifique jardin botanique Helia Bravo fait un superbe travail de sensibilisation des visiteurs et habitants, mais pour l’instant cela a un attrait très local. Dommage, la région mérite vraiment d’être découverte et préservée. Peut-être parce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des étrangers, les gens d’ici sont d’une incroyable gentillesse qui nous touche profondément. Alors que nous demandons à une vieille dame à sa fenêtre si elle peut nous indiquer l’épicerie la plus proche, elle nous propose de venir prendre le café chez elle. À peine entrés, c’est l’embuscade : « à l’épicerie ils n’ont que des boites de conserve, vous n’allez quand même pas manger ça. Je vais vous faire une omelette et des tortillas ! ». La dame nous explique que sa fille est partie aux Etats-Unis et qu’elle les soutient financièrement. Là-bas, beaucoup de gens l’ont aidé, alors ça lui fait plaisir de nous aider à son tour. Beaucoup de voyageurs à vélo au Mexique nous ont parlé de karma. Donner ce qu’on peut, quand on peut, à quelqu’un qui en a besoin et recevoir en échange de quelqu’un d’autre quand on en aura besoin. Faire des actions positives pour provoquer la chance, générant ainsi un cercle vertueux. C’est quelque chose qui a l’air d’être important dans la culture mexicaine et que je trouve beau.

Après ces quatre jours dans le désert, nous reprenons la route vers le sud et Oaxaca. La bonne nouvelle : devant nous, 100km de descente. La, ou plutôt les mauvaises nouvelles : l’air se réchauffant d’1 degré par 100m d’altitude perdue, nous allons souffrir. Et il faudra ensuite remonter de 2000m en 30km. Au bout de la descente, dans le fond de la cuvette, la route est magnifique. Nous serpentons dans une vallée étroite fermée par les murailles ocres des sierras tapissées de forets de cactus géants. On ne serait pas surpris de voir Bip Bip et Coyote ou Lucky Luke traverser la route… Nous campons dans un canyon où vit une colonie de guacamayas. Au coucher du soleil, le chant des dizaines, voire des centaines d’oiseaux qui caquètent en choeur, déformé par l’écho a quelque chose d’un autre monde. Cette nuit nous offre une bulle d’oxygène : la route est belle, et pourtant difficile de profiter tant il fait chaud. Elisa est en train de craquer, nous nous énervons… Bref. Objectif : arriver à Cuicatlan, le gros village du coin, où elle pourra monter dans un bus pour Oaxaca pendant que je continuerai à travers la montagne.

La sierra Mixteca

À Cuicatlan, surprise : il n’y a que des minibus, impossible d’embarquer avec un vélo. Pas le choix, Elisa va devoir pédaler et gravir avec moi ce mur de 2000m pour sortir de la vallée. On prend une chambre dans un petit hôtel pour récupérer à l’abri de la chaleur. Le lendemain, départ nocturne à 5h du matin. Il faut qu’à 8h, quand la chaleur commence déjà à devenir trop pénible, nous soyons suffisamment haut pour y échapper. Rappelons-nous : si l’air se réchauffe d’un degré Celsius par 100m d’altitude perdue, cela fonctionne aussi dans l’autre sens. Les premiers 1000m d’ascension sont assez difficiles. La pente ne descend jamais sous les 7-8% et avec nos vélos chargés et nos gourdes bien remplies, nous les sentons. Heureusement, la route est neuve et à part quelques taxis qui font la navette vers les villages, il n’y a personne. Elisa tient au mental. Mais quel bonheur de rouler à la fraîche et de voir le soleil se lever. Vers 10h, nous constatons que non seulement nous avons gravi plus de la moitié de l’ascension mais qu’en plus les températures n’augmentent plus et que nous commençons à sentir une petite brise de montagne rafraichissante. C’est l’heure de sortir les hamacs et de faire une pause. Après une grosse sieste de presque 3h, nous avons l’impression que c’est une nouvelle journée qui commence. Nos jambes ne sont plus lourdes et nous avons un regain d’énergie. La pente est aussi plus douce, et les paysages commencent à changer drastiquement. Après le désert ocre du fond de la vallée, nous sommes maintenant sur un plateau crayeux cultivé, aux teintes vertes et blanches. Des agriculteurs à dos d’âne nous saluent amicalement. Nous arrivons au premier village et trouvons l’épicerie où nous faisons le plein de fruits. Les gens n’en reviennent pas de nous voir ici, à vélo. Le propriétaire de l’épicerie chasse le borracho du village qui cuvait dans la rue et nous installe une table et des chaises devant sa boutique pour que nous puissions manger à l’aise. Nous sommes presque au sommet, et les paysages changent à nouveau. Nous entrons maintenant dans la forêt humide d’altitude, où les arbres habillent leurs branches de mousses pendantes et d’épiphytes. C’est magique.

Nous sommes maintenant dans la sierra Mixteca, région montagneuse boisée ponctuée de villages indigènes mixtèques très pauvres. À l’inverse du désert de Tehuacan, le tourisme, porté par la proximité de la ville de Oaxaca est ici la principale opportunité économique. Alors que dans le désert, la gentillesse incroyable des habitants nous avait profondément touché, ici nous sentons une distance, une certaine froideur. Nous sommes juste des étrangers parmi d’autres, venus ici pour profiter de lieux qui sont parfois sacrés pour les autochtones, mais dont ils tirent un bénéfice économique par notre présence… Encore une situation un peu complexe.

Galerie

La boucle Ojos de Tehuacan que nous avons réalisée dans le désert est issue du site bikepacking.com. Lien

Site web et page facebook du jardin botanique Helia Bravo

Au pays du café et des nuages

Sous les nuages

La descente depuis l’altiplano (environ 3000m d’altitude à cet endroit) à Orizaba (1250m) est incroyable. Très vite, l’air se charge d’humidité et la végétation devient réellement luxuriante. Le ciel est embrumé, la visibilité plus courte. Nous traversons de nombreux villages, minuscules et très pauvres. Comme c’est samedi, c’est aussi jour de mariage et de fête : tout le monde est dehors, les femmes en tenue traditionnelle, les hommes avec leurs plus beaux chapeaux. Nous passons sous les nuages et arrivons finalement à Orizaba fatigués, dans une atmosphère moite et grise. Quel changement : nous avons l’impression d’être dans un autre pays. L’architecture, l’humidité, la façon de s’habiller des gens, la musique : tout est différent. Même les couleur des peaux : Veracruz est l’état avec l’influence afro-mexicaine la plus forte. On pourrait presque être à Cuba. Le centre-ville est très populaire, voire carrément pauvre. La population est très dense et nous sommes fatigués, c’est inconfortable. Nous allons boire une bière bien fraîche dans un bar… Et nous nous rendons compte que si tous les (nombreux) bars de la rue ont des rideaux, c’est pour cacher ce qu’il s’y passe : les borrachos (ivrognes) descendent bière sur bière en parlant fort pendant que les prostitués en tenues fluorescentes patientent dans les bars et devant les hôtels, le regard perdu dans l’écran de leurs smartphones devant le défilé indifférent des paysannes descendus en ville vendre leur maigre production.

Le long de la rivière d’Orizaba, des enclos hébergent des animaux sauvages qui ont été « sauvés » du braconnage et de maltraitances. La relation très proche entre les singes araignée et le personnel qui nettoie leur cage à ce moment là nous fait sourire. Puis arrivent les grands animaux. Jaguars, ours, autruches… Tous tournent en rond, l’air fou. Ils ont l’air bien mal en point…. Attristés, nous partons.

Orizaba est la ville à l’ambiance la plus étrange que je n’ai jamais vu. C’est une destination de vacances pour les mexicains, avec parcs à thèmes, téléphérique, jeux pour enfants etc. De ce côté là, on pourrait presque être dans une ville de la côte languedocienne ou vendéenne. Mais cet aspect cohabite aussi avec ce centre-ville très pauvre, peut-être le plus pauvre que nous ayons vu jusqu’à présent au Mexique. De l’autre côté du zocalo, l’ambiance change du tout au tout : les prostituées, guitaristes de rue et paysans pauvres cèdent la place aux restaurants végétariens, cafétérias, boutiques naturistas, maisons avec jardin, garages et grosses voitures, très à l’américaine. De ce côté-ci de la ville, j’ai l’impression d’être à La Paz. L’impression que me donne Orizaba c’est d’être un condensé dans un très petit espace de tout ce qu’est le Mexique : le tourisme vert et culturel côtoie le tourisme de masse, l’extrême pauvreté côtoie l’opulence, l’agriculture (café, fruits) côtoie l’industrie (notamment la plus grande brasserie Heineken du monde)… Et il suffit de traverser une rue pour passer de l’un à l’autre.

À peine arrivés à Orizaba, une vague de chaleur touche le pays. Au fil des jours, l’air et les plantes s’assèchent, il ne pleut pas et le ciel ne se couvre plus l’après-midi. Il fait de plus en plus chaud, jusqu’à 39 degrés ressentis. Elisa souffre de la chaleur et je commence à déprimer de nouveau. J’ai lu qu’El Niño avait pris la place de La Niña, et que toutes les projections des experts laissaient à penser que ce serait un « super El Niño ». Ce qui veut dire chaleur et sécheresse sur le Mexique et le littoral du Pacifique, épidémies de dengue, et à l’inverse pluie intense sur la côte Caraïbe. Moi qui attendait la pluie depuis si longtemps, qui était heureux de voir ces paysages verdir… J’ai peur que ma joie soit de courte durée. Je suis triste aussi pour le Mexique, qui va traverser une période difficile. Bien qu’El Niño soit un phénomène naturel, sa combination avec le réchauffement climatique global rend les choses plus compliquées encore. Alors que les 3 années précédentes étaient des années La Niña, théoriquement humide, certaines régions du pays comme Monterrey (ville la plus riche et industrialisée) étaient déjà en difficulté par rapport à l’eau. Je commence à nouveau à douter de mon envie de continuer. Pour que le voyage soit motivant, il faut un équilibre entre effort et récompense. L’avantage du voyage à vélo est qu’il permet de bien doser les deux. Le vélo procure certaines formes de récompense : les endorphines liées à l’effort, l’euphorie de la liberté, la nature, la solitude et les rencontres. Lorsque nous arrivons dans une ville, nous pouvons à nouveau profiter des plaisirs urbains : dormir dans un lit, goûter des bons plats, apprendre et se divertir, faire d’autres types de rencontres et tout simplement se reposer. S’il n’y a que l’un, comme dans le nord du Canada, c’est frustrant : on a l’impression de faire tous ces efforts pour rien. S’il n’y a que l’autre, on se lasse : les villes et les rencontres s’enchainent trop vite, on n’a pas le temps de les digérer. Depuis le centre du Mexique, c’est un peu comme ça. À l’heure actuelle, j’ai besoin de passer plus de temps dans la nature. Mais la météo difficile va rendre la partie vélo plus dure aussi, et les paysages peut-être moins beaux. Aussi, l’angoisse climatique me rattrape. Notre monde est en train de se casser la gueule, les prix explosent, la nature meurt et je suis là à faire du vélo et à me prendre tout ça dans la tronche, à être à la fois témoin et victime de part ma vulnérabilité de voyageur à vélo, aux premières loges du changement. À court terme le voyage va être plus dur. Ai-je envie de continuer quand même ? Je pense qu’il le faut, au moins pour ne pas avoir de regrets, quitte à jeter l’éponge plus tard si nous ne prenons vraiment plus de plaisir.

Mi tierra Veracruzana

Après plus d’une semaine à Orizaba, la vague de chaleur est toujours bien installée et il n’est pas prévu que les températures descendent. Nous décidons de monter en altitude. Plusieurs voyageurs à vélo avec qui nous sommes en contact, notamment Daniel et Heidi et Cass du blog While Out Riding ont gravi le massif du Pico de Orizaba, plus haut sommet du Mexique où se trouve la plus haute route d’Amérique du Nord à 4500m d’altitude. Il doit faire frais là-haut… Malgré notre forme physique très moyenne, nous décidons de le tenter. Nous partons tôt d’Orizaba pour éviter les grosses chaleurs et faire une première étape jusqu’à Coscomatepec, à 3000m d’altitude, pour évaluer nos forces. 1000m d’ascension pour cette première étape, qui nous emmène à travers des plantations de café par des petites routes de terres magnifiques. Malgré tout, il fait chaud. Nous dépassons l’étage des caféiers et arrivons sur un plateau agricole où poussent le maïs et la canne à sucre. Si l’altitude nous fait au moins échapper à l’humidité, il fait toujours plus de 30 degrés à 3000m et le ciel reste d’un bleu immaculé toute la journée malgré la saison des pluies qui est déjà bien avancée. Elisa est encore un peu malade… L’ascension de la Sierra Negra va être vraiment trop difficile dans ces conditions. Nous décidons de rester quelques jours dans le coin, où les températures sont au moins supportables, le temps qu’Elisa récupère. Puis nous redescendons dans la fournaise, encore plus bas qu’à Orizaba. La route qui nous mène à Cordoba est jolie, nous repassons à travers les plantations de café mais cette fois-ci en descente. Nous avons repéré une rivière où il est possible de camper. L’eau bleu azur laiteux est fraîche et malgré les moustiques, l’endroit a un charme fou. À la nuit tombée, les lucioles viennent danser autour de notre tente, l’ambiance sonore est digne de la jungle et l’on voit les étoiles. Nous sommes bien.

La vague de chaleur est sensée s’arrêter le lendemain, nous décidons de passer une journée à Cordoba en attendant que les températures baissent pour reprendre la route. La ville n’a aucun charme et semble revenir de loin. Beaucoup de gens semblent surpris de nous voir et nous demandent ce que nous faisons ici. L’Etat de Veracruz a parait-il connu une violente guerre des cartels les décennies précédentes, est-ce lié ? En ville, des affiches promeuvent la “renaissance touristique” de Cordoba. En tout cas, le nombre de cafés de spécialité (cafétérias proposant une sélection de cafés et de méthodes d’extraction hauts de gamme) par habitants est juste indécent et le coût de la vie, comme dans le reste de la région, très bas. Malgré ça, on dirait que nous sommes les seuls touristes… Pourtant la région est chouette et malgré les conditions météo pas optimales du moment, c’est certainement un de nos endroits préférés au Mexique.

La boucle autour du volcan Citlaltepetl est documentée par Cass Gilbert sur son blog et sur bikepacking.com

La chanson Mi tierra veracruzana est de Natalia Lafourcade, chanteuse originaire des montagnes de Veracruz à quelques kilomètres d’Orizaba

De la femme blanche à la montagne des étoiles

La femme blanche et la montagne qui fume

Pour sortir de Mexico, nous avions prévu de passer par le Paso de Cortes, col mythique d’où sont arrivés les conquistadors et route historique entre Mexico, Puebla et le port de Veracruz d’où partaient les richesses du territoire vers l’Espagne. Au-delà de l’aspect historique, ce qui rend ce col mythique est sa position : à 3700m au dessus du niveau de la mer, coincé entre les volcans Iztaccihuatl (« la femme blanche » en nahuatl car on dirait le profil d’une femme endormie, 5230m d’altitude) et Popocatepetl (« la montagne qui fume », 5426m). Ce sont deux des plus hautes montagnes mexicaines. Don Goyo (surnom du Popocatepetl) étant en éruption permanente depuis les années 90, le cadre est prometteur : ce n’est pas tout les jours qu’on bivouaque à plus de 4000m avec vu sur un volcan en activité ! Malheureusement, quelques jours avant notre départ, l’activité du Popocatepetl s’intensifie fortement et la route est fermée. Alban, Heidi et Daniel, partis une semaine avant nous, sont passés de justesse. Pour nous, c’est trop tard. Nous avons vraiment envie de passer par là, alors nous décidons d’attendre encore un peu à Mexico pour voir comment la situation évolue. Les cendres du volcan diffusées dans le ciel s’ajoutent au smog permanent de la ville et masquent un peu plus le soleil, donnant à la lumière un aspect diffus et opaque très cinématographique. Les aéroports de Mexico et Puebla sont fermés pendant plusieurs jours et les autorités s’inquiètent d’une potentielle explosion du volcan qui pourrait avoir des conséquences graves pour les millions de personnes des agglomérations de Mexico et Puebla situées à proximité immédiate.

Après près de deux semaines d’attente à surveiller au moins une fois par jour les informations, la situation semble se stabiliser mais l’accès au Paso de Cortes reste fermé. Nous décidons de prendre le bus pour Puebla, pour éviter la sortie de Mexico et sa campagne dense où le bivouac improvisé risque de s’avérer compliqué. Pas envie de devoir demander l’hospitalité, nous saturons des humains et avons besoin d’être un peu seuls. Les quelques jours passés à Puebla nous regonflent. Nous retrouvons notre liberté et notre intimité, et cet environnement nouveau nous redonne le goût de la découverte. Etre dans une petite ville change la donne : nous retrouvons tout le confort de Mexico et même plus, accessible à pied. Quel bonheur d’avoir des petits restaurants de qualité et à bon prix à 5 minutes de notre chambre, d’avoir le choix entre 3 paleterias (glaces artisanales mexicaines), d’avoir une cuisine et une chambre juste pour nous… C’est la transition d’on nous avions besoin. Nous sommes maintenant près à repartir.

La femme à la jupe verte et la montagne des étoiles

Nous quittons donc Puebla en fin de matinée pour une première courte étape. Très vite je me rends compte qu’après deux mois et demi sans efforts physiques, Elisa n’a plus ni les jambes ni le mental. Je monte la pente douce (1 à 3%) qui nous amène en direction de la Malinche (autre volcan géant dominant Puebla, dont le nom nahuatl désignerait une déesse à la jupe verte) à une dizaine de km/h et me rends compte au bout d’un moment qu’elle est très loin derrière… Je l’attends et me mets dans sa roue : 7-8km/h. Ça va être long. Nous parvenons à atteindre la zone boisée en début d’après-midi. Un vieux monsieur à vélo s’arrête pour nous avertir qu’il va bientôt pleuvoir, et qu’on ferait mieux de trouver un abri parce que dans la forêt il n’y a rien. Il nous déconseille de monter trop haut, car la foudre peut tomber. Nous le quittons et installons notre bivouac dans la première clairière un peu à l’écart de la route que nous trouvons. La pluie mettra finalement une bonne heure avant de tomber, mais elle durera longtemps. Rien à voir avec les courtes averses orageuses que nous avons eu jusqu’à présent. Pas étonnant pour une montagne associée au culte de Tlaloc, le dieu de la pluie. Mais quel bonheur d’être là, sous la tente ! D’entendre les bruits de la nature, de camper cachés au milieu des arbres…

Notre stratégie pour les mois à venir est de nous lever tôt pour bien avancer avant la pluie, qui tombe toujours l’après-midi ou le soir. Nous mettons donc un réveil à 6h pour partir à 7h. Il fait froid : 9 degrés d’après mon compteur, mais avec l’air très humide le ressenti est plus proche de 5. Nous arrivons finalement à 9h au col, quand l’air commence à se réchauffer. On est bien dans les bois, pas envie de redescendre tout de suite. Nous sortons les hamacs, mettons la tente à sécher et nous installons, à écouter le silence, rompu par le seul chant des oiseaux. En fin de matinée nous décidons de reprendre la route. Longue descente vers Huamantla, tout le paysage à l’horizon est couvert de vert. Quel changement par rapport à la première partie de notre traversée du Mexique, où les paysages de l’altiplano, en dehors des forêts du Michoacan et de Mexico étaient uniformément jaunes et bruns poussiéreux, totalement secs. Je suis assez euphorique, nous traversons une plaine agricole par des chemins de terre roulants, nous avançons bien… Puis l’orage explose.

Le lendemain, nous choisissons de rouler sur la route pour gagner un peu de temps. Au début nous sommes sur de petites routes de campagnes très plaisantes et roulantes, puis nous arrivons sur une nationale. Camions, température qui commencent à s’élever, montées… Elisa souffre à nouveau. Un petit stand de quesadillas avec vue sur un lac dans un cratère de volcan nous permet de faire une pause à l’ombre. Il fait chaud, nous attendons les nuages pour repartir (ils arrivent généralement en milieu de journée), mais il est déjà plus de 14h et le ciel ne se couvre toujours pas. Tant pis, nous repartons. La pluie tombe juste au moment où nous faisons les courses pour le repas du soir, et ne dure pas. Bon timing cette fois-ci. Nous trouvons à nouveau un super spot de bivouac, avec vue sur le Citlaltépetl (ou Pico de Orizaba, plus haut sommet du Mexique à 5675m dont le nom nahuatl signifie montagne des étoiles car son sommet si haut et blanc brille dans le ciel comme une étoile) et sa voisine la Sierra Negra.

Le lendemain, c’est la descente vers Orizaba. Nous commençons par monter vers le Citlaltepetl. Nous retrouvons l’air de la montagne que nous respirions avant Mexico : frais et « pur ». Nous évoluons à près 3000m d’altitude, entourés par les maïs et colzas en fleurs… On pourrait se croire dans le Beaujolais ou le centre Bretagne tellement tout est vert. C’est samedi, nous croisons un pèlerinage qui monte au village de Loma Grande pour la fête patronale du sacré coeur de Jésus. Les pickups décorés, de toutes les gammes, du plus vieux et rouillé au plus neuf et cher, et les vieux bus affrétés pour l’occasion montent les pèlerins, pendant qu’un groupe les suit en marchant dans un grand bruit de pétards. Au village les attendent stands de nourriture et vieux manèges. La fête dure une semaine et en dehors du prétexte religieux, c’est visiblement l’occasion de s’amuser un bon coup.

Mexico

Premier contact

Arriver à Mexico est l’objectif qui nous a fait avancer depuis Guadalajara, soit pendant les 6 semaines qui ont probablement été les plus riches depuis notre arrivée sur le continent américain. Depuis le début du voyage c’est la première fois que nous avons retrouvé une telle combinaison de richesse culturelle, de rencontres et de plaisir à vélo (cf article Michoacán). Alors forcément, lorsque nous atteignons cet objectif, fatigués mais au sommet de notre forme physique et dans une dynamique d’explorateurs affamés de routes et de découvertes, nous avons un petit pincement au coeur en prenant conscience que nous n’allons plus faire de vélo avant un long moment. D’autant plus que l’entrée dans la ville nous met une claque : nous fantasmions Mexico depuis des mois, nous avions des rêves de couleurs, de street-food et de musique (confortés par les rythmes de la cumbia qui quelques jours avant la ville commençaient déjà à prendre le pas sur ceux de la polka). Mais en entrant par l’ouest de la ville et les riches quartiers de Bosque de las Palmas, nous tombons des nues : les mamans au volant de leurs gros pickups font la queue pour récupérer leurs enfants devant les écoles internationales, la conduite agressive des automobilistes nous rappelle nos années de vélotaf à Lyon. Alors que le Mexique est un pays métissé, l’ouest de Mexico a la peau blanche. Les seuls piétons qu’on y croise sont des promeneurs de chiens professionnels tenant chacun en laisse une dizaine d’animaux de race ou des hommes et femmes d’affaires en costume noir. Même les rares vélos stationnés devant les immeubles de bureau rappellent plus Paris ou Vancouver que le Mexique : Cinellis et Colnagos de route ou de piste, vélos à plusieurs milliers d’euros difficiles à trouver dans un pays dominé par les marques chinoises et américaines et où la plupart des gens n’ont qu’une seule monture, souvent tout terrain.

En nous rapprochant du centre, où se trouve notre logement, nous traversons les quartiers Condesa et Roma Norte, prisés des touristes et expatriés européens. N’ayant entendu que du bien de ces quartiers, nous tombons à nouveau des nues. Ici non plus, rien n’évoque le Mexico dont nous rêvions : tout est boulangeries françaises aux prix astronomiques, restaurants et magasins de vêtements internationaux, ambiance sombre et austère surtout en ce jour de ciel gris. Déception. Et sans que nous ayons le temps de nous en rendre compte, nous traversons l’avenue Cuauhtémoc et la rue Frontera, qui porte bien son nom. Des petites rues calmes aux pistes cyclables bien aménagées, nous passons au chaos des quartiers populaires du centre-ville. Du béton, des grands axes plein de nids de poules saturés de voitures brinquebalantes, du bruit, des stands de tacos et tortas bon marché à chaque intersection : sans transition, nous passons d’un extrême de Mexico à l’autre. Notre hôtel est dans le quartier Obrera, ancien quartier ouvrier réputé pour ses pulquerias et cantinas bon marché. Le contraste avec les beaux quartiers est intense et nous ne nous sentons tout d’abord pas trop à notre aise au milieu de ces immeubles décrépis derrière les fenêtres desquelles se devinent des conditions de vie pas toujours faciles. Pas trop l’endroit où nous avons envie de trainer le soir à première vue… Et finalement un quartier pas désagréable, un peu délabré mais vivant, où cohabite finalement une population assez hétéroclite de classes moyennes et populaires. Un quartier en tout début de gentrification.

L’auberge espagnole

Ce premier aperçu sera de courte durée puisque nous devons prendre l’avion pour Cuba, où nous allons rester un mois. À notre retour, tout nous semble différent : nous avons du mal à nous réadapter à l’opulence de Mexico : la surabondance de nourriture, de publicité, d’immeubles de verres et d’acier, de voitures, les grands écarts sociaux entre les plus riches et les plus pauvres : tout nous écoeure. Heureusement, c’est à ce moment que notre vie sociale se débloque : les moments difficiles passent mieux quand on est bien entourés. Nous sommes d’abord hébergés chez Juan Carlos et sa fille Elena dans le sud de la ville, entre l’université et les quartiers historiques de Coyoacán et San Angel, bourgades périphériques rattrapées par la ville et petits ilôts d’architecture coloniale et de rues pavées dans un océan de béton. Coyoacán est le quartier des artistes et intellectuels aisés et ses petites rues ont des airs de village. On y trouve une concentration de cafés, galeries d’arts, cinémas d’arts et essais et magasins bios comme nulle part ailleurs à Mexico. C’est la première fois depuis le début du voyage que nous avons autant l’impression d’être en France. Nous faisons d’ailleurs la rencontre de Claire, enseignante au lycée français et aventurière sur son temps libre, qui vit ici depuis de nombreuses années. Nous rencontrons ensuite une ribambelle de voyageurs à vélo : Alban, français, Félix et Katherine, québécois, Sylvan, Heidi et Daniel, états-uniens, ainsi qu’un autre Daniel, cycliste urbain mexicain qui nous fait découvrir le nord de la ville. Puis nous retrouvons Diana, mexicaine ayant vécu à Vancouver, rencontrée à Valle de Bravo, chez qui nous rencontrons Lotta l’allemande et Drew, encore un voyageur à vélo états-unien. Retrouver une vie sociale, des personnes avec qui nous partageons parfois la même langue maternelle ou à défaut des mêmes codes culturels et un quartier où nous nous sentons bien signe le début de la fin de notre envie de voyager. Nous commençons à envisager la possibilité de chercher un travail et de nous installer à Coyoacán…

Hello darkness

Être resté près d’un mois et demi à Mexico, en logeant dans des quartiers différents, nous a permis d’avoir un bon aperçu de ce qu’est cette ville, plus grande métropole d’Amérique du Nord avec ses 9 millions d’habitants (et plus de 20 millions en comptant l’agglomération). Plus qu’une simple ville, Mexico est un véritable pays dans le pays avec sa propre culture, à la fois mexicaine, internationale et typiquement defeña (du DF, district fédéral, ancienne entité administrative de la ville de Mexico). Ses habitants, les chilangos, ont leur propre accent, leurs propres styles. Située dans une grande cuvette à plus de 2200m d’altitude, Mexico est une ville froide. Cette froideur est accentuée par le nuage de pollution quasi-permanent au-dessus d’elle, qui lui donne une lumière très spéciale lorsque le soleil daigne traverser les nuages au coucher du soleil. Tenochtitlan, l’ancienne Mexico, était une ville de canaux construite sur un lac. De ce lac asséché seul restent quelques vestiges. Xochimilco (lieu du champ des fleurs en nahuatl) au sud, quartier de maraichage et d’horticulture où l’on se déplace sur des canaux à l’aide de barques appelées trajineras. Et des vestiges archéologiques tels le Templo Mayor ou Tlatelolco disséminés un peu partout. Au Zocalo et ailleurs, le bruit sourd des tambours et des conques résonne toute la journée et des prêtres aztèques le corps recouvert de peinture et aux impressionnantes coiffes de plumes proposent aux touristes des rituels de purification au milieu d’un nuage de fumée de plantes médicinales. Les bâtiments de l’époque coloniale, de style baroque, sont construits en pierre volcanique noire et enduits de peinture souvent rouge et bleu nuit, qui leur donne un air de décor de film de vampire. Je ne sais pas si c’est dû au climat, à l’architecture ou parce qu’ils portent le deuil de leur ancienne culture, mais les chilangos ont souvent des styles vestimentaires sombres. Il n’est pas rare de voir des cyclistes urbains en singlespeed, tout de noir vêtus, véritables guerriers et guerrières de la route en tenue de combat. Combatifs ils le sont, puisqu’ils ont réussi à imposer le ciclotón : tous les dimanches, de 8h à 14h, plusieurs dizaines de kilomètres de grands axes sont fermés au trafic motorisé. Un peu comme si à Paris, les Champs-Elysées, les bords de Seine et la moitié du périphérique étaient réservé aux vélos, trottinettes, piétons, poussettes, skateboards, qui se baladeraient tranquillement sans bruits de moteurs ni odeurs d’échappement lors d’une promenade dominicale ponctuée de stands de réparation de vélos, de cours de yoga et danse et de sensibilisation à un mode de vie sain aux feux rouges. Le tout avec un sourire jusqu’aux oreilles. Cet événement est tellement euphorisant que nous y sommes allés tous les weekends que nous avons passés à Mexico. S’il a forcément généré quelques protestations au début, cet événement semble aujourd’hui bien accepté par la majorité. D’ailleurs, de très nombreuses grandes villes l’ont adopté au Mexique et ailleurs en Amérique latine. À Bogota (13 millions d’habitants, presque le double du grand Paris), il existe depuis les années 70 ! À quand la même chose dans nos villes européennes ?

Du pulque et des jeux

En plus d’être la capitale du Mexique, Mexico est aussi la capitale mondiale de la lucha libre. Ce catch mexicain, aérien et spectaculaire, voit s’affronter plusieurs fois par semaines dans le temple de l’Arena Colisée les gentils tecnicos vêtues de blanc, or et argent aux diaboliques rudos grossiers et tricheurs, souvent en rouge et noir tels le démon… Au-delà de la symbolique, c’est un spectacle impressionnant auquel participent à grands cris les quelques milliers de spectateurs.

La boisson emblématique du centre du pays et particulièrement de Mexico est le pulque. Il s’agit d’un jus d’agave plus ou moins fermenté, blanchâtre, laiteux, légèrement alcoolisé et parfois légèrement pétillant. Aux temps préhispaniques, il s’agissait d’une boisson sacrée réservée à l’aristocratie. Il convenait de la boire avec modération pour ne pas voir les centzon totochtin (littéralement les « 400 lapins », les dieux de l’ivresse)… Aujourd’hui, c’est une boisson populaire, qu’on trouve un peu partout aux bords des routes du centre du pays et en ville dans les pulquerias. Servi nature et bien fermenté, son degré d’alcool est proche de la bière (environ 5%) pour un prix environ deux fois inférieur. On le sert en grandes chopes d’un litre et il procure une légère ivresse euphorisante bien agréable. Pour ceux qui n’aiment pas son goût et sa texture particuliers, ou souhaitent découvrir de nouvelles saveur, il peut également être servi en curado, c’est à dire mixé avec du sucre et des fruits, des cacahuètes, de l’avoine… et parfois en cocktail mélangé avec des alcools plus forts (mezcal ou rhum par exemple). Si l’arrivée de la bière au Mexique à la fin du 19e siècle a marqué le déclin du pulque, il revient à la mode depuis une dizaine d’année et des pulquerias modernes et élégantes ouvrent un peu partout dans le pays, même dans des régions où il n’était traditionnellement pas consommé. Mais à Mexico, ces nouvelles pulquerias n’ont pas remplacé les plus traditionnelles, à l’ambiance populaires et de quartier ou des petits vieux s’enfilent des litres de pulque bon marché à l’hygiène parfois douteuse, dans un brouhaha couvert d’une musique souvent bien trop forte.

Kindgom of Heaven

Pour s’assurer le contrôle sur les peuples indigènes, les espagnols avaient besoin d’un miracle. Ils ont donc créé une vierge noire, la vierge de Guadalupe, apparue à Juan Diego, un indigène récemment converti. Aujourd’hui, le sanctuaire de Guadalupe (qui commémore cette apparition) est un des plus grands lieux de pèlerinage au monde. 20 millions de pèlerins (dont la moitié le 12 décembre) affluent chaque année pour voir l’image de la vierge, assister à une des messes qui ont lieu en continu et acheter un certificat de pèlerinage. C’est le deuxième lieu le plus visité du catholicisme après la basilique Saint Pierre de Rome. Je suis pourtant allé au Vatican et dans certains lieux de pèlerinages musulmans, mais nulle part ailleurs dans le monde je n’ai senti à ce point la puissance d’une institution religieuse.

Le lieu se veut d’ailleurs capitale catholique du Nouveau Monde, en témoigne les drapeaux de tous les états du continent suspendues dans la nouvelle basilique. Ce bâtiment, immense tente de béton brutaliste, presque soviétique posée au milieu des églises baroques du sanctuaire donne au lieu des airs de science-fiction rétro, à mi-chemin entre Star Wars et Enki Bilal. Les lustres suspendus dans le vide, l’immense orgue moderne et surtout le tapis roulant pour faire défiler les fidèles devant la relique de la vierge viennent compléter cette impression.

On the road again

Après six semaines et quelques jours après avoir emménagé chez notre amie Diana en banlieue, nous saturons. Notre regard sur Mexico change : notre nouveau quartier est assez mal desservi par les transports en commun et nous prenons conscience de l’immensité de la ville et des distances, de l’omniprésence de la voiture… Nous nous sentons à l’étroit dans ce quartier, dans ce petit appartement très confortable mais où nous vivons avec quatre autres personnes. Nous avons fait le tour de ce que nous voulions voir, il est temps de repartir.

Galerie

Pause

Après plusieurs mois sur la route, qui plus est dans un même pays, aussi immense et varié soit-il, il arrive que la lassitude s’installe.

S’il y a un an dans le Nord, les journées n’étaient souvent qu’une succession d’heures monotones à pédaler à travers des paysages souvent peu variés, avoir un objectif nous faisait tenir. Arriver à la prochaine épicerie (dans plusieurs centaines de kilomètres) pour pouvoir se ravitailler, chez notre prochain hôte pour prendre une douche et parler avec un autre humain, et tout simplement avancer vers le sud avant que l’hiver ne nous rattrape. Pas vraiment le temps de se poser trop de questions. Et même si nous nous sommes souvent demandé ce que nous faisions là, au fur et à mesure que nous avancions tout prenait un sens. Les souvenirs que nous gardons du Nord sont ancrés en nous pour toujours et nous n’avons qu’une envie : y retourner un jour, revoir cette faune incroyable, ces arbres géants, ces immensités sauvages abrutissantes d’inhumanité.

Au Mexique tout est différent : les distances sont beaucoup plus courtes, les paysages et climats incroyablement variés (il suffit de monter ou descendre de quelques centaines de mètres pour changer totalement d’écosystème), la culture est ancienne et très riche : partout il y a quelque chose à voir, à goûter, à toucher, à écouter… Et surtout, partout il y a d’autres humains. Si bien qu’après plusieurs mois d’un rythme très décousu, nous avons saturé. Nous nous sommes tellement gavés de ce pays que l’indigestion est arrivée. Plus envie. Plus envie de Mexique, plus envie de vélo, pus envie de rencontres, plus envie d’explorer.

Alors après avoir mûrement réfléchi, nous avons décidé de rentrer. La décision s’est prise naturellement; j’étais cloué au lit après m’être fait piqué par des moustiques et nous avons soupesé les différentes options que nous envisagions : continuer coûte que coûte au mental sans prendre de plaisir et bâcler la partie qui nous intéressait le plus, s’arrêter pour travailler ou faire du volontariat, rentrer. C’est finalement cette dernière option qui s’est imposée, et à peine les billets d’avions réservés nous nous sommes sentis libérés d’un immense poids.

Ce n’est pas un retour définitif, mais une pause. Une pause nécessaire pour souffler, préparer la suite, revoir nos familles et amis, faire quelques ajustements matériels… Nous pensions sincèrement pouvoir traverser le continent américain en une fois, sans prendre d’avions, sur deux à trois ans. Mais une traversée sur deux ans, c’est à la fois trop court pour avoir vraiment le temps de profiter de chaque région qui nous intéresse et trop long pour vivre en nomades sans pauses sédentaires. Alors nous avons préféré décider le faire en étapes pour garder la flamme intacte. Voyager c’est avant tout apprendre sur soi, évoluer et s’adapter. Nous ne savions pas vraiment ce que nous cherchions quand nous sommes partis. Tout comme nous, nos projets et nos envies peuvent mûrir et changer au fil du temps et de l’expérience acquise. Savoir s’écouter, mieux connaître nos envies et nos limites (qui elles aussi évoluent), réajuster nos plans plutôt que foncer tête baissée vers un objectif défini avant le départ, c’est aussi une des leçons que nous avons apprise de cette année et demie sur la route.