Équateur

Après 3 mois en Colombie, pays magnifique mais où camper est assez compliqué et les hôtels tellement abordables (entre 5 et 12 euros la chambre pour deux… difficile de résister, surtout quand on a passé la journée sous la pluie ou dans la chaleur), nous avions hâte d’arriver en Equateur. D’après ce que nous voyions sur les réseaux sociaux, j’imaginais un prolongement de la Colombie, mais avec une nature plus accessible. La route que nous avions prévu de suivre, la TEMBR (Trans Ecuador Mountain Bike Route) serpente dans les montagnes principalement entre 3000 et 4000m d’altitude à travers les étages de la forêt andine humide et du paramo, écosystèmes fascinants dont nous avions eu un aperçu en Colombie et que nous avions hâte de retrouver.

Mais dans l’univers du voyage à vélo aussi, les médias sociaux (Instagram, Youtube, blogs etc) ont tendance à présenter une image déformée de la réalité. En regardant les publications des voyageurs qui nous ont précédé, je m’imaginais passer des journées entières à pédaler au milieu des frailejones, des lichens et des polylepis, entouré par les neiges éternelles des volcans andins. La réalité est toute autre : ces endroits préservés existent bel et bien, mais ne représentent finalement qu’une poignée de kilomètres sur l’ensemble de la Trans Ecuador.

Là haut sur la montagne

Je m’imaginais l’Equateur comme une version plus préservée et accessible de la Colombie, mais la réalité est toute autre. En Colombie, la population est globalement urbaine et regroupée sur la côte Caraïbes et à proximité des grandes villes, dans les zones au climat confortable (axe cafetier, altiplano cundinoboyacense, Cali, Pasto…). En dessous de 1000m d’altitude et au dessus de 3000m, il n’y a pratiquement personne. Ajoutons à cela les guérillas et mafias qui ont affronté le gouvernement pendant toute la deuxième moitié du 20e siècle (et encore aujourd’hui dans certaines régions isolées), empêchant l’accès à ces zones, l’aspect sacré des hautes montagnes pour certaines cultures indigènes et l’importance cruciale pour le pays de la préservation des écosystèmes de haute montagne en terme d’approvisionnement en eau potable, et nous avons un pays à la nature difficilement accessible mais globalement bien préservée.

La géographie de l’Equateur est très différente : en-dehors de la grande cité portuaire de Guayaquil, la plupart des grandes villes sont situées entre 2500 et 3000m d’altitude, et les montagnes sont densément peuplées de petites communautés indigènes entre 3000 et 4000m. Le paysage naturel que j’imaginais est en fait totalement défiguré par la main de l’homme. Ces communautés agricoles cultivent la pomme de terre, le maïs, le haricot là où autrefois devait exister la forêt andine humide, et font paître leurs nombreux animaux dans ce qui était le paramo. Et puisqu’il fait froid et qu’il faut bien se chauffer, les arbres autochtones à la croissance très lentes ont étés remplacés par des pins et des eucalyptus, au meilleur rendement. Même les parcs nationaux sont touchés : les pentes du Cotopaxi sont couvertes de bouses de vaches et de monoculture de pins bien alignés et régulièrement rasés à blanc sur des hectares entiers une fois la taille attendu atteinte. Pas vraiment ce que j’imaginais… Finalement, seuls les 40km après la frontière colombienne, relativement préservés, correspondent à ce que j’attendais du pays.

Pour le reste, ce n’est pas moche, loin de là. C’est même beau, juste différent de ce que j’imaginais. Elisa, qui n’avait pas d’attentes particulières, a vraiment apprécié traverser ces imposantes montagnes, malgré la difficulté de cette route, dont la combinaison de pourcentages souvent à deux chiffres et d’air appauvri en oxygène rendent la progression plus lente que d’habitude. Dire que la région est rude est un euphémisme. Il fait froid, humide et quand le soleil daigne se montrer, il tape très, très fort : ces montagnes sont la région terrestre la plus proche du soleil. Les épais ponchos de laine et les chapeaux sur toutes les têtes ne sont pas là que pour faire joli. Dans cet épais brouillard, ce n’est pas pour rien qu’une des questions qu’on nous a le plus posée est « quelle heure est-il ? ». Le ciel est tellement sombre et lourd qu’à 14h, il pourrait aussi bien être 7h ou 18h. Mais le climat n’est pas le seul élément qui rend cette région si austère. Tout transpire la misère et l’abandon. Les visages et les corps sont marqués, les animaux maigres et maltraités font peine à voir, l’architecture n’est que parpaings empilés et toits de chaumes. Lorsque nous expliquons à un groupe de villageois que nous sommes malades, qu’Elisa n’a pas pu manger depuis 2 jours et que nous avons à peine la force de pousser nos vélos, ils rient. La souffrance est leur quotidien. Le manque d’éducation également est flagrant : beaucoup parlent à peine espagnol, comme ce berger qui m’aborde dans une langue qui m’est inconnu, puis se reprend en castillan : « ah tu ne parles pas quechua ? », comme s’il n’avait pas conscience qu’il puisse exister des humains qui parlent d’autres langues que la sienne. Il faut dire qu’à part une poignée de cyclistes étrangers, personne ne vient ici. Nous sommes véritablement des extra-terrestres pour ces gens, dont le mode de vie a probablement très peu évolué depuis plusieurs siècles. Nous vivons des scènes incroyables : les enfants qui nous observent monter notre camp la bouche grande ouverte, hilares ou effrayés. Cet agriculteur qui nous a offert un toit un soir particulièrement pluvieux, et nous a bombardé de questions souvent naïves et touchantes, ébahi par notre réchaud à alcool, qui tenait absolument à voir « comment nous mangions » avant d’aller se coucher et à qui nous avons fait goûter pour la première fois de sa vie au gingembre, pourtant cultivé en Equateur et vendu dans toutes les tiendas des principaux bourgs avoisinants. Cet instituteur qui a accueilli de nombreux volontaires étrangers, plus curieux de savoir ce que cela fait de prendre l’avion au dessus de l’Atlantique que par les plus de 1000km que nous avons parcouru à vélo depuis Bogota.

Les routes sont vides de véhicules motorisés : nous voyons peut-être deux ou trois voitures ou camions et une dizaine de motos par jour. Pourtant nous ne sommes pratiquement jamais seuls : c’est juste que les gens se déplacent à pied ou à dos d’âne, de mule ou de cheval. Ces communautés sont particulièrement isolées du reste du monde et voient probablement passer plus de voyageurs à vélo que d’Equatoriens « de la ville ». Juin-juillet est la haute saison et nous estimons qu’à cette période de l’année passe environ un groupe de cyclistes par jour. Ce n’est pas la Loire à vélo, mais pour la région c’est déjà beaucoup. Nous réalisons que cela fait très longtemps que nous n’avons pas fait de bikepacking à proprement parler (activité plus proche de la randonnée pédestre que du cyclotourisme sur voie verte, que je définirais par le fait de rouler sur des chemins, dans des régions isolées et en autonomie). Cette absence de moteurs, l’accueil souvent curieux et bienveillant bien qu’un peu maladroit de la population et la facilité de monter la tente à peu près n’importe où (il suffit de trouver un humain et de lui demander s’il ne connaitrait pas un endroit plat où nous pourrions nous installer sans déranger : taux de réussite de 100%) rendent l’expérience plaisante malgré la difficulté physique. Pourtant, après une semaine, je ne peux pas m’empêcher d’être frustré. Il y a décidément trop de monde ici, je ne supporte plus de voir ces animaux en sale état aux airs si tristes et cette nature défigurée. Si camper dans une ferme ou un village est confortable, ce n’est pas ce que je suis venu chercher dans les Andes. J’ai envie de grands espaces et d’avoir l’illusion de traverser des régions à la nature « intacte », ou du moins peu impactée par l’agriculture et la sylviculture.

Salinas

Après avoir traversé cette campagne tellement pauvre, nous nous arrêtons à Salinas, petit village de montagne assez touristique et à part dans la région. L’attrait de Salinas n’est pas sa beauté : l’architecture en brique et parpaings nus est aussi inesthétique qu’ailleurs, et les paysages pas spécialement différents. Ce qui fait la réputation de ce village, c’est son artisanat, produit de manière assez unique dans la région. Dans les années 70, un prêtre italien débarque ici et organise les paysans en coopérative selon les principes du commerce équitable. Un suisse suit et apporte son savoir-faire de la production de fromages. Aujourd’hui, Salinas est réputé pour ses nombreuses pizzerias et sa marque Salinerito produisant fromages, chocolats, tisanes, liqueurs… Tout ce qu’on s’attendrait à trouver dans un village des Alpes.

Pour des raisons de santé (encore), nous avons dû nous arrêter un peu plus longtemps que prévu à Salinas. Ce qui m’a donné le temps d’observer son fonctionnement. Et force est de constater que le commerce équitable, ça fonctionne. Le village semble bien plus prospère que ses voisins : la coopérative fromagère dispose de matériel moderne, les infrastructures touristiques sont développées, bien équipées et tenues par des locaux, on y observe un nombre de véhicules motorisés (privés ou collectifs) bien plus nombreux qu’ailleurs dans ces montagnes. Et surtout il semble y avoir une véritable cohésion parmi les habitants, qui travaillent tous ou presque pour le même projet de développement de la marque de leur village et qui se ressent à travers les matchs de volley qui ont lieu tous les jours sur la place centrale, entre petits vieux en tenue traditionnelle, agriculteurs en bottes de caoutchouc et commerçants habillés de manière plus urbaine.

Quand on arrive en ville

En un mois en Equateur, nous sommes tombés malades 3 fois chacun… Un record. Probablement un parasite, apparemment assez courant dans la région. Cela nous a particulièrement affaibli et ralenti, ce qui n’était pas forcément nécessaire sur ces routes déjà difficiles. Nous avons donc dû prendre un peu plus de bus que prévu, raccourcir drastiquement notre route et passer plus de temps que prévu dans les villes qui sont étonnamment plutôt agréables. Surtout quand on vient de traverser l’Amérique centrale, la Colombie et l’Amazonie brésilienne, ou les villes ne sont malheureusement souvent pas très belles, pas très sûres voire même les deux…

En Equateur le contraste entre la ville et la campagne est saisissant. L’Amérique est un continent particulièrement inégalitaire, où l’extrême pauvreté côtoie le luxe absolu sans que cela ne choque personne. Le fatalisme (bien aidé par la religion) est la règle : la plupart des gens acceptent leur situation et celle des autres sans remettre en cause le fonctionnement de la société. Après tout, ceux qui ont réussi n’ont été aidé que par Dieu et par eux-même…

Quand on vient de traverser ces communautés tellement isolées et abandonnées et que l’on arrive à Cuenca, l’abondance qui règne ici est d’abord bienvenue, puis rapidement écoeurante. Cuenca est une ville très riche, mais aussi très provinciale et à l’ambiance guindée, très conservatrice, où règne l’entre-soi. Notre hôte Pedro nous confirme que la différence n’y est pas vraiment bienvenue, sauf si elle apporte beaucoup d’argent. Ici (et en Equateur en général) il vaut mieux être un retraité gringo blanc (qui forment une communauté de 15000 habitants à Cuenca, avec leur propre journal en anglais), qu’un équatorien noir… Ses habitants privilégiés vivent dans ce qu’ils pensent être le summum de l’élégance et du raffinement. Les prix sont au moins aussi élevés qu’en Europe de l’ouest et la concentration de pâtisseries, boulangeries françaises et cafés de spécialité est très forte. Pourtant, derrière cette apparence de raffinement, il faut bien se rendre à l’évidence : ce n’est pas parce que c’est cher et bien présenté que c’est bon. Le café a beau coûter le double du prix que nous avions l’habitude de payer en Colombie, il est au mieux insipide, la plupart du temps brûlé et imbuvable… Que les produits importés soient aussi chers dans ce petit pays isolé économiquement, passe encore. Mais que les produits locaux soient plus chers et moins bons que dans les pays voisins pourtant plus développés, c’est frustrant. Sans parler de l’accueil, qui s’il est tout à fait bienveillant chez les Equatoriens lambda, laisse un peu à désirer chez les commerçants et professionnels du tourisme. On a parfois l’impression de déranger… D’ailleurs Pedro nous confirme que les colombiens s’intègrent bien en Equateur grâce à leur réputation d’être beaucoup plus sympas, souples et arrangeants. Tout le monde aime le voisin cool, mais on ne suit pas forcément son exemple pour autant.

Après quelques jours à Cuenca, où nous avons retrouvé de nombreux autres voyageurs à vélo que nous avions croisé depuis Bogota, il est temps de couper court à l’aventure équatorienne et de prendre un bus pour le sud. Nous sommes déjà fin juin, si nous voulons traverser le salar d’Uyuni avant la saison des pluies il nous faut faire des choix. Le Pérou, ses hautes vallées perdues aux lacs turquoises entourés de sommets enneigés nous attire plus que le sud de l’Equateur surpeuplé.

Merci d’avoir lu cet article ! Nous espérons qu’il vous a plu. Nous débutons actuellement notre découverte du Pérou, retrouvez-nous bientôt pour le prochain article sur notre traversée de la Cordillera Blanca, plus haute chaine montagneuse du pays. À bientôt!

En Colombie sans les vélos : voyage en famille

Après notre petite semaine de randonnée et de tourisme dans la région de Salento, il est temps de rentrer à la maison pour préparer l’arrivée de ma famille, qui vient visiter la Colombie pendant 3 semaines. Trip le chat nous attends à l’hostel 82 de Bogota. Cet hôtel et le quartier de Chapinero ont vraiment été un foyer pour nous, où nous avons eu plaisir à retrouver notre petit cocon et un quartier familier et agréable après chacune de nos excursions pendant ces presque 3 mois d’aller-retour entre Bogota, le reste du pays et le Brésil.

Au programme de ces 3 semaines : une semaine sur la côte entre la Sierra Nevada de Santa Marta et Carthagène, une semaine dans la région cafetière du département d’Antioquia et une semaine à Mongui dans le département de Boyaca, commune la plus haute de Colombie située dans une vallée à 3000m d’altitude. Une bonne variété de climats, d’environnement et de cultures qui nous permettront à tous d’avoir un bon aperçu de ce pays tellement varié.

Il n’est pas toujours facile de voyager en groupe de 7 personnes. Chacun a des rythmes et des attentes différentes et il faut réapprendre à être patients et faire des compromis. Pour Elisa et moi qui avons l’habitude de voyager à vélo, nous redécouvrons une façon de voyager très différente. Nous avons un peu le sentiment d’être téléportés d’un endroit à un autre et que tout va trop vite. D’habitude, il nous faut plusieurs jours d’efforts, de nuits sous tente, de nourriture basique et répétitive, de fatigue, de climat parfois difficile pour rejoindre une petite ville touristique. Mais tous ces efforts sont accompagnés de jolis paysages, de rencontres… Et rendent d’autant plus désirable et appréciable l’abondance et le confort que nous trouvons ensuite. En supprimant cet inconfort pour aller d’un endroit à l’autre, nous ne parvenons plus à apprécier à sa juste valeur ce que nous trouvons dans ces endroits. Difficile également de nous motiver à explorer les alentours, tout simplement parce que sans les vélos, c’est beaucoup plus compliqué et beaucoup moins fun…

Ceci dit, avoir l’opportunité de passer 3 semaines en famille et de découvrir ensemble un pays est vraiment une chance incroyable. Cela faisait des années que nous n’avions pas passé autant de temps tous ensemble. Plus encore que les beaux endroits que nous avons visité, ce que je retiendrais de ces 3 semaines ce sont les apéros, les repas, les instants passés ensemble… Au moment où j’écris ces lignes, mes parents sont en train de traverser l’océan Pacifique en direction de la Polynésie française, Elisa et moi continuons notre route vers la Patagonie et mes frères sont rentrés en Europe. Je ne sais pas où et quand nous aurons la possibilité de nous revoir tous ensemble à nouveau, mais j’espère bientôt.

Au final cette pause nous a permis de prendre conscience à quel point le vélo est notre façon de voyager préférée pour la liberté qu’il apporte, le contact avec notre environnement, les rencontres qu’il génère… mais aussi d’ouvrir les yeux sur le fait qu’il ne permet pas tout non plus. Cela nous a remotivés à faire plus de randos dans les mois à venir et à peut-être s’arrêter un peu plus souvent dans des hostels, où l’on rencontre des gens qui voyagent de manière différente.

En Colombie sans les vélos : randonnée dans le parc national Los Nevados

Nous avions une dizaine de jours à occuper avant l’arrivée de ma famille, et après deux semaines de stress à Bogota, nous avions vraiment besoin de prendre l’air. Mais faire les touristes en bus ne nous inspirait vraiment pas : délocaliser notre sédentarité dans un autre endroit ne nous aiderait probablement pas à penser à autre chose. Nous avions besoin de nature, de camping, d’effort physique : ce que nous offre habituellement le voyage à vélo. Sans nos bicyclettes, le mieux serait donc de trouver une randonnée de plusieurs jours.

Après quelques recherches, nous nous sommes rendus compte que marcher et surtout camper en Colombie n’est pas si simple : il n’y a pas vraiment de culture du camping, les colombiens randonnent plutôt à la journée. Souvent, l’offre tourisme nature se présente de cette manière : une grande parcelle privée sur laquelle sont aménagés quelques hébergements, un petit espace pour une ou deux tentes, un restaurant, un petit sentier vers une cascade ou un ruisseau et éventuellement des activités d’éco tourisme (observation d’oiseau ou démonstration des activités agricoles de la finca généralement). Tout ça est souvent très amateur et convient certainement très bien à des citadins qui voudraient prendre l’air pour un weekend, mais moins à des européens en voyage habitués à des randonnées de plusieurs dizaines de kilomètres et à pouvoir camper un peu partout.

Quand on veut aller au delà de cette offre, il y a très peu d’informations en ligne sur des randos réalisables de manière indépendante. Tout ce que nous trouvons sont des offres construites par l’industrie du tourisme (Ciudad Perdidad), des randos qui semblent magnifiques mais nécessitent un guide, un permis et coutent très cher (El Cocuy, Sierra Nevada), ou des balades pour touristes en claquettes (Camino Real). De plus quand on demande aux gens localement, ils recommandent systématiquement de recruter un guide pour tout. À la fois par méconnaissance, parce que le tourisme est avant tout un business et parce que les terres sont pratiquement toutes privées dans ce pays et qu’il faut savoir naviguer entre les propriétaires plus ou moins ouverts et certaines zones où se passent des choses pas toujours bien légales.

Les parc nationaux ont avant tout une vocation de préservation pour des raisons environnementales, culturelles (lié aux cultures indigènes) voire de souveraineté (zones militaires). L’entrée sur ces terres, quand elle est possible, nécessite généralement d’acheter un permis, très cher pour les étrangers. Et ces parcs peuvent fermer leurs portes totalement pendant plusieurs semaines pour des célébrations religieuses indigènes, des risques environnementaux (éruptions volcaniques) ou permettre à la faune et à la flore de se régénérer.

En fouillant bien sur les blogs, nous finissons par trouver des possibilités de randonnées dans le Parc National Los Nevados, dans le centre du pays. Les conditions d’accès y seraient plus souples (pas besoin de guide ni de permis), et il y aurait de nombreuses possibilités de chemins. Cette zone est constituée d’un vaste plateau à plus de 3800m d’altitude sur lequel poussent les nevados, des volcans à plus de 5000m d’altitude couverts de neige éternelle (d’où leurs noms). C’est apparemment une zone populaire en Colombie pour l’alpinisme et la randonnée, et les fincas du secteur ont pratiquement toutes remplacé une grande partie de leur activité agricole par l’hébergement et l’entretien des sentiers. On trouve donc de véritables refuges de montagnes à intervalles réguliers avec douches chaudes, dortoirs, restauration et zone de bivouac. Exactement ce que nous cherchions ! L’information sur l’ouverture ou non de ces refuges étant introuvable, nous prévoyons d’être totalement autonomes : nous transporterons notre matériel de camping et notre nourriture pour les trois jours de la randonnée. L’avantage de voyager à vélo, c’est que nous avons déjà tout le matériel pour randonner, y compris les sacs à dos de 35L que nous utilisons à la place des traditionnelles sacoches.

Nous partons pour Salento, qui sera le point de départ de cette randonnée. Salento est un petit village colonial dans le « triangle du café ». Le village est très joli de 6h à 9h du matin, après c’est un peu Disneyland (le dimanche tout du moins). La plupart des touristes viennent ici pour deux choses : le café et la vallée de Cocora, avec ses palmiers de cire et ses toboggans à eau, sans savoir qu’en marchant un tout petit peu plus loin ils pourraient accéder à une des zones naturelles les mieux préservées du pays. C’est là que nous allons.

En route pour le paramo

Nous passons la première journée entière à monter dans une vallée pratiquement déserte. Pratiquement pas un mètre de plat ou de descente, cette marche d’approche est une ascension en elle-même qui nous amène jusqu’à 3700m d’altitude. Nos gros sacs à dos bien chargés, la verticalité du sentier, l’altitude et notre manque d’entrainement à ce genre d’exercice rendent cette journée particulièrement difficile. Mais les paysages et l’ambiance valent bien ces efforts. Nous ne croisons que deux groupes : les propriétaires de la finca où nous avons prévu de passer la nuit, qui font des allers-retours à cheval au village pour monter des provisions et du matériel, et un couple de traileurs colombiens avec leur chien qui fait l’aller-retour dans la journée. Nous passons la nuit à la finca la Argentina, où arrivent d’autres groupes de randonneurs. Ambiance refuge de montagne, on pourrait presque être dans les Alpes ou les Pyrénées, à la différence que nous sommes dans la ferme d’une famille qui vit ici à l’année, si loin et si proche à la fois du reste du monde. Leur quotidien est fait de grands espaces, d’élevage, de vie dans la nature. Le café bien chaud offert à notre arrivée, les gros ponchos en laine, le cheval comme unique moyen de transport… C’est beau de partager un peu de cette vie, même juste le temps d’une nuit.

Malheureusement, les guides nous informent que le parc national vient de fermer la veille pour cause de sécheresse… L’itinéraire que nous avions prévu n’est plus légalement accessible. Ils nous orientent vers une autre boucle (celle qu’eux font habituellement avec les groupes qu’ils encadrent). Pas de regret : cette boucle est certainement tout aussi belle que celle que nous avions prévu : le deuxième jour nous passons un col et arrivons sur le plateau, immense paramo (écosystème d’altitude des Andes du Nord) aux paysages d’un autre monde. Ici pousse un type de végétation très particulier de plantes à la croissance extrêmement lente, qui captent l’humidité de l’air pour l’amener dans le sol. Ces écosystèmes fragiles sont les véritables châteaux d’eau de la Colombie, c’est en partie grâce à eux que des millions de personnes ont accès à l’eau potable. D’où l’enjeu important de leur préservation très stricte. C’est magnifique et nous sommes très chanceux avec la météo : la pluie n’arrive qu’à la fin du deuxième jour et durera tout le troisième, nous permettant de voir ces paysages dans une ambiance très différente, sans l’inconfort de camper mouillés…

Nous traversons la Valle de Los perdidos (« vallée des perdus ») qui ne pourrait mieux porter son nom en ce jour : enveloppés dans un épais brouillard, enfoncés dans des sentes profondes et très érodées, nous cherchons notre chemin en lisant les traces de sabots au sol. Soudain, Elisa remarque une empreinte inhabituelle : une très grosse patte griffue… Certainement pas un humain et encore moins un cheval, mais pas un chien non plus. Le paramo est le refuge de plusieurs grandes espèces de mammifères, dont l’ours à lunettes (emblème des parcs nationaux de Colombie), le puma et le tapir. Dans ce brouillard, un de ces animaux (inoffensifs pour l’humain) pourrait passer à quelques dizaines de mètres de nous sans même que nous le remarquions… C’est à la fois magique et frustrant de s’imaginer qu’un de ces animaux extrêmement rares et timides se balade quelque part près de nous sans que nous puissions le voir.

Commence ensuite la descente. Nous passons sous la ligne des arbres et plongeons dans l’univers merveilleux de la forêt humide andine. Cet écosystème, véritable forêt enchantée où vivent lichens, orchidées, mousses, fougères et nombreux oiseaux dans une ambiance de brume est un de mes environnements préférés. Il pleut, il fait froid, le sentier très érodé n’est plus qu’un ruisseau dans lequel nous pataugeons. On est presque à mi-chemin entre la randonnée et le canyoning, et malgré l’inconfort et l’interminable descente bien raide (1700m de dénivelé négatif) qui nous brûle les quadriceps, on s’éclate.

Cette randonnée a vraiment été un des gros temps fort de notre séjour en Colombie, à telle point que nous envisagions d’y retourner quelques semaines plus tard avec ma famille. Les paramos sont des écosystèmes magnifiques et fragiles, indispensables à la vie dans les Andes du Nord (de l’ouest du Venezuela à l’Equateur) et il est facile de comprendre pourquoi ils sont sacrés pour les populations indigènes, et pourquoi ils sont aussi protégés. C’est un environnement d’un autre monde, rude et difficile d’accès qui incite au respect et invite à la contemplation. Nous avons hâte d’en traverser de nouveaux en Equateur, cette fois-ci à vélo.

Détour en Amazonie, quatrième partie : tous les nuages ont leur éclat d’argent

Cet article est le dernier de cette longue série d’événements qui nous a amené à traverser presque intégralement l’Amazonie et le continent d’ouest en est de la Colombie à Santarem, à quelques centaines de kilomètres en amont de l’océan Atlantique.

Escales

3 avril

Après une escale de 4 jours à Manaus, la voix du fleuve nous appelle à nouveau et nous embarquons sur un autre bateau direction Santarém, 700km en aval.
La veille, Julie nous demandait en riant si nous allions ensuite remonter le fleuve jusqu’à la Colombie pour rejoindre Bogota. Si l’idée était séduisante il y a encore quelques heures, je commence à déchanter. Nous sommes à peine partis et je ne retrouve pas cet état de contemplation heureuse dans lequel nous étions lors du premier voyage. Peut être me faut-il plus longtemps pour entrer dedans. Peut-être aussi que le paysage qui nous entoure m’écœure un peu : en effet la forêt tropicale ponctuée de rare communautés indigènes, le fleuve à peine troublé par quelques bateaux d’avant Manaus ont laissé place à une véritable autoroute fluviale aux berges érodées par la déforestation. On rase la forêt amazonienne, plus grande réserve de biodiversité au monde et poumon vert de la planète bleue, pour extraire du pétrole et autres matières premières, et surtout pour élever des bovins et permettre aux latino-américains de manger du bœuf 3 fois par jour… C’est écœurant.

À bord, l’ambiance n’est pas non plus la même. La cloche qui sonnait les repas (qui ne sont plus inclus dans le prix du billet) est remplacée par des annonces enregistrées, les bancs sur lesquels je passais des heures à contempler le fleuve ont disparu. Le bateau est moins encombré et je ne retrouve pas ces petits détails amusants qui faisaient le sel de la première traversée, comme ce voisin de hamac et son ventilateur accroché au dessus de la tête.

4 avril

« Avis aux passagers : les bagages suivants sont interdits sur le pont : barbecue, ventilateurs, télévisions… »

Finalement, malgré le petit coup de mou d’hier, j’ai retrouvé le goût de la navigation fluviale. Deux jours et une nuit à bord, c’est trop court : à peine le temps de rentrer dans le rythme. Le retour à Manaus devrait durer 60h, à un rythme deux fois plus lent… Tant mieux !

Comme la dernière fois, je n’ai pas envie de débarquer. J’ai tout juste eu le temps de finir de lire « Wild » de Cheryl Strayed, où elle raconte son expérience sur le PCT (Pacific Crest Trail, sentier de randonnée de plus de 4000km traversant la Californie, l’Oregon et l’Etat de Washington) en 1995, et comment le sentier l’a remise dans le droit chemin après une période d’errance difficile. Bien que le PCT ait l’air beaucoup plus dur physiquement que notre voyage à vélo, surtout à une époque où l’utilisation des gps de rando et du matériel ultraléger n’était pas répandue comme maintenant, ce livre m’inspire et me redonne le goût du voyage. J’ai hâte de reprendre la route, et surtout d’arriver dans des endroits vraiment sauvages, plus au sud. D’ailleurs, bonne nouvelle : la roue d’Elisa est réparée ! Elle arrivera à Manaus dans 2-3 jours… Et nous venons d’en partir. L’annonce de la bonne nouvelle me rend trop excité, je regrette d’avoir pris ce bateau pour Santarém… Je ne suis pas sûr de réussir à me détendre et à profiter une fois là-bas. Puis le rythme méditatif du bateau, le balancement du hamac (il y a du vent et l’eau est un peu plus formée par ici) m’apaisent. Après toutes ces mésaventures, on peut bien s’offrir quelques jours à la plage et un dernier tour de bateau avant de reprendre la route.

5-18 avril – Alter do Chao

Alter do Chao est ce que Gauthier, voyageur français échoué ici il y a 10 ans qualifie de « meeting point ». On y vient d’un peu partout (mais surtout de France et d’Argentine) pour retrouver des gens partageant le même état d’esprit. Et ici l’état d’esprit, c’est plutôt de vivre au rythme tranquille du Rio Tapajos. Nous retrouvons Julie et Ben pour la troisième fois, et nous faisons la connaissance de Leon, hollandais originaire du Surinam, de Xandao et Acawã, volontaires brésiliens de l’hostel… La salle de sport avec Ben, les cours de yoga de Julie, la natation en eau libre d’une plage à l’autre et la course pieds nus sur le sable et la possibilité d’une cérémonie d’ayahuasca en fin de séjour nous motivent à avoir une excellente hygiène de vie. Du sport, pas d’alcool et surtout une excellente nutrition, facilitée par l’abondance, la qualité et le prix d’une alimentation d’excellente qualité ici. La nourriture « traditionnelle » en Amazonie est composée de poisson, de noix, de manioc et de fruits très peu sucrés (voire pas du tout), mais extrêmement riches en vitamines et micronutriments. Le plus connu est probablement l’açaí, consommé chez nous sous forme de purée ou de jus et additionné de sucre, vanille et parfois banane. Mais l’açaí tel qu’il est consommé en Amazonie n’a rien à voir. Ici il est brut, son goût est légèrement amer et astringent et il est souvent consommé avec du poisson et du manioc. De prime abord, pas très agréable au palais. Mais bizarrement, nous sommes devenus très vite accroc. Comme si notre corps se rendait compte que ce fruit lui faisait du bien et nous en redemandait. Nous avons également découvert le copoaçu, sorte de grosse calebasse de la famille du cacao, dont on extrait une pulpe blanchâtre épaisse et légèrement acide, dont on fait un jus qui rappelle un peu le pulque mexicain, l’alcool en moins. Encore un truc qui nous a rendu accroc.

Après deux semaines de cette vie, nous avons eu l’impression d’avoir rajeunit. Nous avons rencontré Rachid, marocain de 51 ans vivant depuis un an au Brésil qui paraissait à peine plus âgé que nous. À croire que ce pays est réellement une fontaine de jouvence… Nous nous sentions bien dans notre corps, dans notre peau, dans notre tête. Je ne sais pas si c’est la bonne compagnie, la nourriture, l’eau du Tapajos, le sport, l’absence d’alcool ou probablement un peu tout ça réunit, mais le résultat était là. Nous serions bien restés beaucoup plus longtemps, si nos vélos et le désir de terminer notre projet de voyage vers le sud ne nous rappelaient pas en Colombie. Mais je sais qu’un jour je reviendrai à Alter et en Amazonie. Un projet de voyage sur l’eau a germé dans ma tête pendant notre séjour.

La route du retour

18 avril – Santarem – Manaus

Aujourd’hui pour la première fois de ma vie, j’ai vu la croix du sud. Assis sur le pont du navire qui file plein ouest à la vitesse décoiffante de 15km/h, sous un ciel dégagé (rare à cette période de l’année) je fais ce que je préfère sur ces bateaux amazoniens : regarder le ciel à la tombée de la nuit. Loin derrière nous à l’est, la foudre éclaire le ciel. Pleut-il à Alter do Chão ? Au dessus de ma tête la Lune presque pleine brille sans le moindre halo d’humidité. Le fleuve et ses berges sont d’un noir profond percé par les rares lumières des villages et bateaux. Sur le pont, une partie de l’équipage en pause reprend les refrains crachés dans la nuit par les hauts-parleurs du bar.

Au-dessus de ma tête brille la Voie lactée, que je n’ai pas vue depuis longtemps faute de ciel dégagé. Depuis Boyacá peut-être ? À une de ses extrémités vers le nord-ouest, Orion semble se jeter dans le fleuve. Et à l’autre bout, face à moi vers le sud, le ciel d’un hémisphère que je n’ai encore jamais vu, matérialisé par cette croix au dessus de l’horizon. La Lune aussi nous joue des tours : son cycle est inversé par rapport à l’hémisphère nord. Le premier croissant devient le dernier croissant et vice versa. On s’y perd.

Sur le bateau du retour, j’ai lu « Latitude Zéro », le livre de Mike Horn sur son tour du monde en longeant l’équateur. Il est passé dans des endroits très proches de ceux que nous avons parcourus et allons parcourir dans les semaines à venir, et j’étais curieux d’avoir un regard différent. Je n’aime pas beaucoup Mike Horn car il me semble d’une autre époque, celle des projets ultra médiatisés à plusieurs centaines de milliers d’euros, sponsorisés par des grandes entreprises des industries automobiles ou pharmaceutiques. Je n’aime pas beaucoup Mike Horn non plus pour son côté égocentrique : dans son livre il raconte une anecdote où il ne comprend pas se retrouver au poste de police après avoir agressé physiquement l’employé de fourrière qui enlevait son camion mal stationné. Enfin je n’aime pas beaucoup Mike Horn pour son regard sur le monde : les montagnes et les océans sont pour lui des objets de conquête, qu’on « fait plier à sa volonté », en se mettant soi-même et son équipe en danger, pour pouvoir les « vaincre » et les épingler à son tableau de chasse. Je préfère une approche plus humble, moins guerrière et plus harmonieuse de la nature, que cette citation de Cesar David Martinez, photographe colombien, résume bien : « On ne monte pas pour conquérir la montagne, on fait l’ascension pour être conquis par elle. Pour avoir la bonne attitude, le mieux est de se soumettre à elle et d’essayer de percevoir sa majesté ». Et bien, même Mike Horn a perçu la majesté et la beauté de l’Amazonie, qu’il décrit comme un paradis vert. C’est dire si c’est beau.

19 avril

Il y a des moments qui se savourent et donnent l’impression d’être dans un film. Profiter de la brise fraîche de la fin de journée sur le pont d’un navire remontant l’Amazone à 15km/h, la lumière dorée de la fin du jour éclairant la rive qui défile à quelques mètres seulement, est l’un d’eux. Et quand les hauts-parleurs du bar crachent à plein volume « Voyage, voyage » pendant que de l’autre côté de la rambarde les singes hurleurs et les toucans regardent passer ce drôle d’équipage, j’ai l’impression d’être dans la scène finale d’un remake de Fitzcarraldo par Xavier Dolan, où le personnage rentrerait chez lui plein de nostalgie, après avoir eu un aperçu du paradis.

20 avril

Alors que nous sommes sur le point de retrouver Bogotá et nos vélos, il était temps de faire un petit point sur la direction que nous voulons donner à notre voyage pour les semaines à venir.
Si nous avions de grandes attentes concernant la Colombie, nos mésaventures dans ce pays nous laissent un petit goût amer. Nous n’avons plus le temps ni l’envie d’effacer les presque 3 mois qui se sont écoulés depuis notre arrivée à Bogotá et repartir à zéro, comme si de rien n’était alors que nous avons déjà pas mal voyagé dans le pays, sans les vélos, et notamment 3 semaines avec ma famille. Nous n’avons plus le temps ni l’envie de pédaler dans chaque recoin de ce beau pays et de nous frotter à sa culture cycliste si intense et passionnée.

Bien que tout ne se soit pas passé comme nous l’aurions souhaité, nous conservons tout de même un bon souvenir de ce pays dont nous n’avons qu’effleuré la surface, mais où nous avons découvert certains des plus beaux paysages de notre voyage, un climat parfait et la culture la plus européenne (et donc familière et réconfortante) des pays américains que nous avons traversés jusqu’à présent. C’est un pays qui mérite à lui seul de s’attarder plusieurs mois, et nous y reviendrons avec joie quand l’envie sera revenue. Mais pour l’instant, nous rêvons de grands espaces rudes et de nuits à la belle étoile plus que de jolis petits villages et de douceur de vivre. Il est temps de remettre le cap au sud : un continent de montagnes, de déserts et de forêts nous appelle.

Détour en Amazonie, troisième partie : sur le fleuve

Ayant eu beaucoup plus de temps pour écrire sur les bateaux qui nous ont mené de la Colombie à Manaus, Santarem puis Manaus à nouveau, j’ai choisi de faire un article dans un style un peu différent de ce que j’écris d’habitude. Ce qui suit n’est autre que mon journal de bord pendant ces 8j sur le fleuve, très légèrement retouché. N’hésitez pas à me faire des retours si le style vous plait (ou pas!).

26 mars

J’espérais prendre des photos souvenirs avec la roue d’Elisa, à la manière du nain de jardin d’Amélie Poulain. La roue sur le bateau à Tabatinga, à Santo Antonio do Iça, au bar du bateau, la nuit dans son hamac… Malheureusement à peine embarqué l’équipage me l’a confisqué. Les grandes malles aux couleurs des princesses Disney peuvent rester avec les passagers mais une roue de vélo, même bien emballée dans un carton, non. Direction la soute, avec le cargo.

La roue d’Elisa parmi les autres bagages en attente d’embarquement à Tabatinga.

Le bateau avance sur l’Amazone a un rythme comparable à celui d’un voyageur à vélo : environ 22km/h de moyenne, 18 en comptant les 8 escales en 4 jours dans des petites villes le long du fleuve. C’est qu’il y a du monde qui vit ici. J’imaginais l’Amazonie comme un grand désert vert et humide, peuplé de quelques communautés indigènes très isolées. Une version équatoriale de l’Arctique canadien en quelques sortes. Il n’en est rien : dans le seul état brésilien d’Amazonas, qui ne couvre qu’une partie de la forêt, sont recensés plus de 4 millions d’habitants (dont, il est vrai, plus de la moitié dans la seule ville de Manaus). Si aussi peu de routes apparaissent sur les cartes, c’est tout simplement qu’ici on se déplace en bateau. Plus qu’un désert, l’Amazonie est un immense archipel où les humains vivent sur de petits îlots entre fleuves, marais, lacs et forêts.

Si la vitesse d’un bateau de charge descendant l’Amazone est similaire à celle d’un vélo, le rythme du voyage est pourtant très différent. Le vélo est un mode de déplacement actif : le défilement des paysages, les endorphines, le rapport à la météo stimulent ou au contraire, anéantissent.

Sur le bateau, le ronronnement du moteur, le balancement du hamac, la petite brise qui chasse les moustiques et rendrait presque confortable cette chaleur saturée d’humidité et l’infinie monotonie des paysages pendant les 1600km du voyage lissent l’humeur. Le repas est servi à heures fixes, la durée du jour et de la nuit sont exactement égales et la préoccupation de l’endroit où passer la nuit disparaît. À vélo les paysages monotones peuvent être un véritable défi mental. Nous qui avons traversé le Canada en savons quelque chose : pendant plusieurs semaines nous roulions de 9h à 17h sans autre stimulation que cette selle qui nous brûlait le cul et l’attente du soir sous la tente avec un bon bouquin, à l’abri de la voracité des moustiques et de l’ennui. Ici la monotonie libère : puisqu’il n’y a rien à attendre et que le corps et l’attention ne sont pas monopolisés par le pédalage, on peut se concentrer sur l’essentiel. Lire enfin ces titres qui attendent depuis des mois sur nos liseuses, écouter des podcasts, écrire, se laisser bercer par les conversations en portugais brésilien, discuter avec les rares voyageurs qui parlent espagnol, anglais ou même français.

27 mars

Première journée entière à bord du Maria Monteiro II et je n’ai pas vu le temps passer. Pourtant la nuit a été courte : une première escale de minuit à presque deux heures et le réveil au son de la cloche du petit déjeuner à 6h, immédiatement suivi d’une seconde escale sous la pluie.

Avec 3 escales en 6h, nous nous sommes beaucoup arrêtés aujourd’hui. Les prochains arrêts sur les 1000km restant jusqu’à Manaus seront plus espacés, avec une dernière étape de plus de 400km sans interruption. J’aime les escales, l’animation qu’elles apportent, l’aperçu de la vie dans les villages le long du fleuve. La lourde masse du bateau manoeuvre difficilement dans le courant puissant du fleuve pour trouver une place au quai, où attendent une foule de voyageurs, de débardeurs et de vendeurs ambulants qui montent à bord pour vendre fromage, sandwichs, biscuits…

Mais elles cassent également le rythme lent et confortable du voyage. Contrairement à la mer, naviguer sur l’Amazone est très confortable, surtout dans un hamac, sur un bateau de la taille de cette taille. Pas de mal de mer, je peux me concentrer entièrement à la lecture, à la contemplation du ciel et des berges qui s’éloignent au fur et à mesure que les affluents nombreux viennent élargir le fleuve, à me perdre dans mes pensées et à observer la vie à bord : les joueurs de domino, les accros au téléphone, les enfants curieux fascinés par nos hamacs légers en toile de nylon si différents des leurs, épais, colorés et bordés de froufrous tressés.

Temps nuageux et averses n’offrent peut-être pas les meilleures lumières pour la photo, mais permettent une journée aux températures plus confortables et des cieux magnifiques, surtout au coucher du soleil : le soir, la lumière change et le fleuve s’active. Les dauphins invisibles en journée laissent parfois apercevoir leur nageoire dorsale, pendant que sur les berges les oiseaux s’activent. Le soleil descend vers l’horizon, énorme boule rouge incandescente floutée par la brume, et plonge dans le fleuve à l’arrière du navire. Le ciel s’alourdit et l’orage prend le relais du coucher de soleil pour éclairer la nuit noire seulement percé par les rares lumières des autres bateaux et des communautés sur les berges. Puis le vent et la pluie prennent le relais et la température chute. Sans couvertures ni sacs de couchage, nous devons porter tous nos vêtements pour ne pas avoir trop froid. Malgré cela, en hamac, que le bateau gite ou non, on dort tellement bien !

28 mars – Sur l’Amazone, environ 700km en amont de Manaus.

Les jours se suivent et se ressemblent. Le paysage est tellement monotone que j’ai l’impression de regarder toujours le même panorama qui défile en boucle. Seule la lumière et la disposition des nuages changent un peu : c’est dans le ciel que se déroule le spectacle. Chaque soir est une variation du même thème en trois actes : les nuages qui se dissipent au moment du dîner (vers 17h), en même temps que la lumière baisse. Le coucher de soleil sur le fleuve, à l’arrière du navire, éclairant les stratocumulus d’un rose orangé qui leur donne des airs de chamallows géants. Les éclairs font alors leur entrée et leur fréquence et intensité augmentent au fur et à mesure que la lumière du soleil baisse. Puis c’est le noir absolu, où les étoiles qui percent parfois les nuages. Les rares lumières des bateaux et communautés fluviales et même la pleine lune ne suffisent pas à éclairer le paysage. Seuls les orages, voyageant le long de leurs propres routes au-dessus de nos têtes permettent lorsqu’ils explosent d’entrevoir brièvement la berge. La forêt amazonienne libère chaque jour dans l’air 20 milliards de tonnes d’eau, qui se déplacent sous forme de nuages et arrosent une grande partie du continent sud-américain : on appelle ce phénomène rivières volantes.

J’ai terminé hier la lecture de « L’usage du monde », qui m’a ramené 10 ans en arrière, lorsque je trimballais mon sac à dos sur les routes des Balkans, de Turquie et d’Iran. Ce qui rend cette partie du monde (et en particulier l’Iran) si unique semble avoir peu changé entre le passage de Nicolas Bouvier dans les années 50 et le miens 60 ans plus tard. Je retrouve dans le regard du jeune homme d’une vingtaine d’années qu’il était alors, ce que mes yeux de jeune homme du même âge ont également observé.

Si l’alcool a disparu d’Iran et l’opium y est aujourd’hui tabou, nous y avons vu les mêmes camions hors d’âge bien trop chargés, les mêmes villes millénaires et surtout ces mêmes gens curieux, généreux, férus de poésie, à la gastronomie délicate et à la culture subtile façonnée par les centaines de générations d’azéris, arméniens, kurdes, perses, turkmènes, afghans, baloutches etc qui les ont précédés depuis des milliers d’années.

J’ai retrouvé le silence du désert et les horizons infinis, la beauté simple des intérieurs hors du temps et où, à l’abri du climat rude, se développe une culture de la lenteur, du moment présent. Savourer le son du tar ou de la musique classique iranienne, la beauté de la langue persane, dont il n’est pas besoin de comprendre le sens des mots pour être touché par les sonorités…

J’ai vécu à nouveau cette nuit sur les immenses steppes des plateaux d’Anatolie, où descendant d’un bus dans le froid glacial de novembre j’ai été accueilli par des groupes s’affrontant dans des danses guerrières rythmées par le roulement écrasant des timbales et la plainte lancinante des bombardes.

Et surtout j’ai retrouvé cette spiritualité musulmane, heureusement souvent bien loin de l’islam fanatique auquel on pense malheureusement trop souvent lorsqu’on évoque cette religion. Une spiritualité qui fait écrire à Nicolas Bouvier qu’à l’inverse des chrétiens, qui croient en un Dieu qui aime l’homme et lui a donné la Terre pour l’exploiter jusqu’au dernier grain de sable, les musulmans afghans croient en un Dieu créateur d’un monde dans lequel les humains seraient au même niveau que les montagnes, les plantes et les autres animaux. Une vision qui réconcilie monothéisme et animisme ? En tout cas une vision qui remet l’homme à sa place. Il ajoute que dans les montagnes immenses, rudes et écrasantes de l’Afghanistan, comment l’homme pourrait-il se sentir maître du monde ? Voilà qui me donne hâte d’arriver dans les Andes pour ressentir cette puissance de la nature… Et de retourner un jour en Asie centrale. Ce rapport au monde rappelle d’ailleurs beaucoup celui des indigènes d’Amérique et notamment d’Amazonie, pour qui tout est sacré : l’eau, le fleuve, les dauphins qui l’habitent, la forêt… Et puisque tout est sacré, tout doit être respecté. Dans nos cultures qui placent l’homme au centre de l’univers, nous l’oublions un peu trop souvent.

Manaus, du 30 mars au 2 avril

Nous arrivons à Manaus au coucher du soleil. Cândido, prof de français et consultant francophone à la police touristique de Manaus et sa compagne Drucila nous accueillent pour nos deux premiers jours dans la ville. C’est rassurant d’être avec quelqu’un qui parle notre langue quand nous débarquons pour la première fois dans un pays et une ville inconnus. Cândido et Drucila nous initient à la cuisine amazonienne, à base de manioc sous toutes ses formes, de poissons et de fruits inconnus.

Manaus est une ville que je qualifierais de « dans son jus ». Elle a poussé comme un champignon à la fin du 19e siècle, lorsque l’industrie du caoutchouc s’est développée en même temps que la demande de pneus de voitures et vélos apparaissait. Le caoutchouc synthétique était alors inconnu, et le caoutchouc naturel ne poussait qu’en Amazonie. Une véritable ruée vers l’or a alors eu lieu et les abords du fleuve se sont industrialisés rapidement. Au début du 20e siècle, Manaus était surnommée le « Paris d’Amazonie », c’était la ville la plus riche d’Amérique latine : ses palais étaient construits en marbre importé d’Italie, les plus grands chanteurs d’opéra d’Europe venaient au théâtre Amazonas et la légende raconte que les plus riches habitants envoyaient leur linge sale se faire laver au Portugal. Puis dans les années 30, les anglais réussirent à exfiltrer des graines d’hévéa (l’arbre produisant le caoutchouc) et à développer sa culture en Indonésie. L’économie de Manaus s’est alors effondrée. Dans les années 70, le gouvernement brésilien y a installée une zone franche pour relancer l’économie et aujourd’hui c’est la troisième zone industrielle du Brésil, derrière Sao Paulo et Rio et la principale porte d’entrée sur l’Amazonie. Malgré ce dynamisme, le centre-ville donne un avant-goût de l’apocalypse. En dehors d’une ou deux places bien rénovés et surveillées, ces bâtiments autrefois si riches tombent en ruine. De plus, au Brésil aussi la drogue fait des ravages et le centre de Manaus n’est pas épargné. L’ambiance n’incite pas spécialement à la détente, on nous a d’ailleurs fortement déconseillé de nous balader à pied après 18h. Une fois la roue d’Elisa envoyée, nous n’avons pas spécialement envie de trainer ici. À l’hostel, nous retrouvons Julie et Ben, une québécoise et un français que nous avions croisé à Leticia. Ils vont à Alter do Chao, près de Santarem, à deux jours de bateau d’ici. Nous aussi.

La carte du fleuve affichée dans la bibliothèque centrale de Manaus. Un beau bâtiment qui tombe un peu en ruines et dont les ouvrages les plus récent doivent avoir une vingtaine d’années…

Détour en Amazonie, deuxième partie : l’Amazonie colombienne

Suite à la casse du moyeu Rohloff d’Elisa par un technicien à Bogota, nous devons rejoindre le Brésil pour pouvoir réparer cette pièce complexe. Le plan consiste à rejoindre Leticia, ville colombienne au bord du fleuve Amazone, d’où nous prendrons le bateau pour Manaus, capitale de l’Amazonie brésilienne où nous pourrons envoyer la roue par la poste à Klaus de Teutobike à Porto Alegre, expert sud-américain de cette technologie allemande.

Leticia

La première difficulté est d’arrivée à Leticia : pour rejoindre cette ville d’Amazonie, il existe seulement deux possibilité : l’avion ou le bateau. Idéalement nous préférerions éviter l’avion, mais les seules informations dont nous disposons concernant le bateau sont un peu déprimantes : il n’y aurait pas vraiment de ligne régulière, et il faudrait compter entre 10 jours et 1 mois de navigation sur le Putumayo pour atteindre notre objectif. De plus, un marin breton que nous avons rencontré quelques semaines plus tôt nous a raconté avoir tenté l’expérience et s’être retrouvé coincé à mi-chemin. En raison de la sécheresse sévère qui touche actuellement la Colombie, le niveau d’eau serait trop bas pour permettre aux bateaux de passer… Nous aimons l’aventure, mais dans le cas présent nous avons une mission et cette équation aurait un peu trop d’inconnues. Nous optons donc pour l’avion, espérant que cet aller-retour forcé sera le dernier avant longtemps.

Nous décollons de Bogota au lever du soleil et arrivons au dessus de Leticia après une heure de vol. Nous survolons un océan vert traversé par le serpent marron du Solimões, nom donné à la section du « fleuve océan » qui traverse cette région. L’Amazone est (de très loin) le plus grand fleuve au monde, son volume d’eau équivaut à 20% de l’ensemble de l’eau fluviale de la planète et il rejette quotidiennement dans l’océan Atlantique 112km3 d’eau douce. À titre de comparaison, le volume du lac Léman, plus grand lac d’Europe, est de « seulement » 89km3 . Comme le dit Gauthier, aventurier français que nous avons rencontré chez lui près de Santarem : « j’habite au milieu de la plus grande réserve d’eau douce au monde ». Toute cette eau ne vient pas de nulle part : la combinaison de chaleur et de de forêt immense génère une évaporation importante et donc beaucoup de pluie, particulièrement le soir et le matin en cette fin de saison humide. Et le matin de notre arrivée n’échappe pas à la règle : la piste d’atterrissage est couverte de nuages très bas. Au sol, c’est la tempête. L’avion entame son atterrissage, et au dernier moment, alors que nous ne sommes plus qu’à quelques dizaines de mètres au dessus du sol, remet plein gaz pour nous arracher aux nuages. Alors que nous reprenons de l’altitude, le commandant de bord nous avertit : les conditions ne sont pas suffisantes pour garantir un atterrissage en sécurité. Nous passons l’heure suivante à tourner en rond au dessus de la forêt en espérant que les nuages se dissipent… Avant que le manque de kérosène ne nous contraigne à repartir pour Cali, à l’autre bout du pays. Nous ne pouvons nous empêcher d’y voir encore un autre signe de l’univers nous indiquant de mettre fin au voyage, et surtout de ne plus prendre l’avion. Heureusement, après quelques heures d’attentes, les conditions semblent s’améliorer et nous pouvons repartir et atterrir sereinement dans la capitale de l’Amazonie colombienne.

Leticia, très loin du centre de la Colombie mais au carrefour de 3 pays.

Ici, tout est différent de ce que nous avons connu jusqu’alors. Le climat n’est pas aussi chaud que nous l’imaginions, mais il est totalement saturé d’humidité. Quelques pas dehors et ma chemise est trempée… La population est aussi différente de ce que nous avions vu jusqu’alors en Colombie. Très peu de blancs, de noirs et de métis, presque exclusivement des indigènes d’Amazonie. Les peaux sont foncées, les yeux bridés, les gens petits et fins et les femmes ont des cheveux noirs brillants dont la longueur rend admirative Elisa malgré ses nattes qui lui arrivent presque au nombril.

Leticia est une petite ville faisant partie d’une agglomération d’un peu plus de 130 000 habitants, répartis de part et d’autres de la « triple frontière » entre la Colombie, le Brésil et le Pérou. À l’inverse de Tijuana, où la frontière était matérialisée par un mur et théoriquement infranchissable, ici on passe d’un pays à l’autre comme si on changeait simplement de quartier au sein d’une même ville. À la différence que de part et d’autre de cette frontière presque invisible, l’ambiance et la langue changent du tout au tout. À Leticia et Santa Rosa on parle espagnol, à Tabatinga portugais. Et lorsque nous allons acheter nos billets de bateaux et faire nos formalités de migration au port brésilien, nous nous rendons compte à quel point la communication va être compliquée les semaines à venir. À l’écrit, les deux langues sont tellement proches qu’il nous est possible de comprendre l’essentiel d’un texte en portugais. À l’oral, c’est une autre paire de manches : la prononciation est totalement différente et nous ne comprenons absolument rien… Heureusement, beaucoup de brésiliens comprennent plus ou moins l’espagnol et nous pouvons communiquer dans un portugnol encore approximatif.

Puerto Nariño

Le bateau pour Manaus ne part que dans quelques jours et une fois passé la première surprise, Leticia/Tabatinga n’est pas une ville particulièrement agréable. Il n’y a pas grand chose à faire ici, et les routes sont saturées de motos qui rendent l’ambiance sonore particulièrement désagréable. Nous embarquons donc sur une lancha (grosse pirogue rapide) pour Puerto Nariño, petit village indigène à 70km en amont, où se concentre l’activité touristique de la région et où nous avons trouvé une agence de voyage qui propose de nous loger gratuitement dans une cabane dans la jungle en échange de notre aide pour servir d’interprète à leurs clients non-hispanophones. En d’autres termes, nous sommes logés, nous faisons les activités gratuitement et nous rencontrons les habitants du village en ayant un peu moins l’étiquette « touriste ».

Puerto Nariño est un véritable petit paradis à l’écart du monde. Ici pas de véhicules motorisés (en dehors des bateaux), tout le monde se déplace à pied ou à vélo. La grande fierté du village c’est le ponton tout neuf, le plus moderne de la région. Il a coûté cher, mais c’est un investissement utile pour attirer les touristes. Il faut que le monde le sache ! Le tourisme commence tout juste à se développer et en est encore à un stade un peu amateur. Les professionnels du secteur ne parlent qu’espagnol et les différents dialectes indigènes locaux, d’où leur besoin de volontaires étrangers comme nous pour les aider. Les activités auxquelles nous avons participé sont encore au stade de rodage, on sent qu’il n’y a pas encore encore de véritable expérience concernant les attentes des voyageurs et qu’on leur propose des contenus et des tarifs sans véritable idée de ce qui peut se faire ailleurs. Les habitants sont curieux de voir ces étrangers débarquer dans leur village et prennent le temps de discuter avec nous. Le samedi, le championnat local de football est l’attraction principale. Ce territoire de seulement 8000 habitants parvient à avoir plusieurs équipes sponsorisées par les entreprises locales et un public. Nous avons un peu l’impression d’être à un grand rassemblement familial, ce qui n’est pas totalement faux : dans ces petits villages indigènes isolés, comme c’était déjà le cas au Canada, la société est divisée en quelques clans, équivalent de familles élargies.

Malheureusement, le bateau pour Manaus va bientôt partir et nous ne pouvons rester que quelques jours à Puerto Nariño. Nous quittons à regret ce petit havre de tranquillité mais nous sentons vraiment que nous aurions pu rester un long moment ici, où notre présence et notre maitrise des langues étrangère aurait pu être réellement utile à la communauté. Encore un endroit où nous reviendrions bien, pour y rester plus longtemps… Puerto Nariño est seulement notre premier arrêt en Amazonie, et déjà notre premier pincement au coeur au moment du départ.

C’est tout pour cette deuxième partie ! Dans le prochain épisode, nous raconterons notre descente en bateau-hamac du fleuve Amazone, de la frontière colombienne au coeur de l’Amazonie brésilienne. À bientôt !

Détour en Amazonie, première partie : galère à Bogota

Nous sommes arrivés sur le continent sud-américain le 31 janvier 2024. Après un mois compliqué où les galères et les mauvaises nouvelles se sont enchainées, nous n’avons pratiquement pas pu rouler un seul kilomètre et, par conséquent, notre budget s’est envolé. Arrivés à Bogota, nous espérions avoir enfin conjuré le sort et reprendre la route sereinement. Nous ne le savions pas encore, mais le bout du tunnel était encore loin. Nos vélos étant un peu fatigués après plusieurs mois de chaleur humide et d’air salé en Amérique centrale, nous les avons confié à un atelier pour un changement des roulements de direction d’Elisa, de mes roulements de moyeu avant et de mon boitier de pédalier. Une petite révision de routine en somme. Malheureusement, le technicien a qui nous avons fait confiance a pris la liberté d’ouvrir le moyeu Rohloff d’Elisa sans savoir ce qu’il faisait, l’a détruit et nous a rendu le vélo l’air de rien, en essayant de camoufler les dégâts.

Les moyeux du fabricant allemand Rohloff sont un peu la montre suisse du vélo de voyage : précis, complexes, increvables… et chers. À elle seule, cette pièce coûte presque autant que le reste du vélo. C’est un investissement que nous avons choisi de faire pour plusieurs raisons : il permet de se libérer du dérailleur, partie fragile (notamment sur les chemins boueux ou caillouteux, ou lorsque l’on charge le vélo dans un bus ou un camion), de limiter l’entretien au strict minimum (plus de galets de dérailleurs à démonter, plus de crasse difficile d’accès entre les pignons de la cassette…) et d’avoir une transmission très durable (ces moyeux sont théoriquement capables de durer une vie entière de voyageur à vélo et se bonifient avec l’âge, contrairement aux transmissions classiques « jetables »). Le seul inconvénient : comme toute mécanique complexe, en cas de problème, tout est compliqué. Mais en théorie, il n’y a pas de problème. Sauf lorsqu’une intervention humaine le provoque… Nous restons convaincus que cet investissement est rentable sur le long terme comparé à une transmission plus classique et nous referions ce choix sans hésiter, mais à l’avenir nous serons plus prudents lorsqu’il s’agira de confier nos vélos à quelqu’un.

Après quelques échanges de mails avec Rohloff, le problème est rapidement identifié et le verdict tombe : les réparations nécessaires sont trop complexes, il faut envoyer la roue entière à un centre de réparation agréé. Le plus proche, Teutobike, est à Porto Alegre, au sud du Brésil, à 4800km à vol d’oiseau de Bogota. Au-delà des Andes, au-delà de l’Amazonie, à l’autre bout du plus grand pays d’Amérique Latine. Autant dire au bout du monde. D’après Klaus, le propriétaire de Teutobike, envoyer la roue depuis la Colombie vers le Brésil, puis à nouveau vers la Colombie est trop risqué : deux douanes à passer, des taxes à payer et le risque que la roue reste bloquée d’un côté ou de l’autre de la frontière. Pas le choix : nous devons aller au Brésil. Sur le moment c’est un véritable coup dur : notre budget, déjà entamé par le mois sédentaire qui vient de s’écouler, va être encore plus creusé par les réparations et le détour. Après tout ce que nous avons déjà subi depuis la blessure d’Elisa au Costa Rica, j’ai le moral dans le chaussettes. Je n’ai plus la force mentale de continuer, juste envie de rentrer en France, mettre fin à ce voyage qui me semble maintenant absurde et retrouver ma famille, mes amis et une vie stable. Ce qui me convainc de continuer, c’est la raison : nous avions pris un peu d’avance en Amérique centrale, ce qui nous permet, malgré ces contretemps, d’avoir encore la possibilité de traverser le continent en passant à la bonne saison les points critiques (hauts cols andins, salar d’Uyuni, Patagonie…), qui ne sont franchissables à vélo que quelques mois par an. Si nous rentrons maintenant, cette opportunité ne se reproduira probablement jamais. Ce serait vraiment dommage de faire une croix sur cette partie du voyage, qui promet à la fois des opportunités de camping sauvage dans des paysages grandioses, des routes intéressantes et des détours qui pourraient être l’objet d’un voyage à eux seuls. Depuis deux ans, l’Amérique du Sud est le véritable objectif, le reste n’étant qu’une sorte de long échauffement.

La solution la plus économique que nous trouvons consiste à nous rendre à Leticia, capitale de l’Amazonie colombienne, où nous pourrons embarquer sur un des bateaux qui transportent passagers et marchandises sur le fleuve Amazone, véritable autoroute fluviale de 3700km desservant 3 pays et plusieurs millions d’habitants, d’Iquitos au Pérou à Belem sur la côte brésilienne. Nous descendrons à Manaus, ville de 2,5 millions d’habitants en plein coeur de l’Amazonie, où nous enverrons la roue par la poste à Klaus, qui nous la renverra une fois les réparations terminées. Le plan est ficelé, ne reste plus qu’à le réaliser !

Trip le chat vérifie le bon emballage de la roue pour le voyage à venir.

La suite dans le prochain article !

Panama

Panama est un de ces toponymes, comme Samarkand, Ushuaia ou Ispahan, qui sonnent comme un rêve à l’oreille des voyageurs. Panama, c’est cet endroit où une étroite bande de terre d’une centaine de kilomètres réunit deux continents et sépare deux océans. Panama c’est une porte entre plusieurs monde : d’abord un simple port, où les galions espagnols regroupaient les richesses pillées le long de la côte Pacifique des Amériques, attirant la convoitise des pirates et des grandes puissances étrangères, puis un des plus grands ouvrages de génie civil de l’histoire de l’humanité, où circule aujourd’hui une part importante du commerce mondial sous forme de marchandise sur le canal et de manière plus virtuelle dans les banques de la capitale.

Panama City

On dit souvent que le voyage importe plus que la destination. Pourtant, arriver à Panama est pour nous un moment fort, tout comme notre départ de Tuktoyaktuk 18 mois plus tôt. Se savoir à cet endroit précis du monde, au bout d’une route qui ne va pas plus loin (ou presque), à l’extrémité d’un continent, à la fin d’une aventure et au début d’une autre… C’est assez émouvant mine de rien.

Pour des raisons de calendriers, nous avions prévu depuis longtemps d’arriver en bus à Panama. Après presque 24h de bus depuis San José, capitale du Costa Rica, ville qui nous sembla un peu triste et morne, Panama nous apparait par contraste d’une éclatante splendeur. Coincée entre l’océan Pacifique, la jungle et le canal, ville toute en hauteur avec ses gratte-ciels et son quartier colonial à plusieurs étages, elle tranche brutalement avec les autres villes centro-américaine, plates et étalées, que nous avons traversé jusqu’à présent. Panama est un curieux mélange : c’est à la fois un grand port à l’ambiance caribéenne sur la côte Pacifique, la ville la plus européenne et la plus nord-américaine que j’ai vu sur ce continent. Un foutu bazar, un palimpseste architectural et culturel évoquant l’histoire complexe de la région ces 5 derniers siècles et surtout depuis l’indépendance il y a tout pile 200 ans. Un mélange de modernité et d’antique, de pauvreté et de richesse, de cultures locales et importées, le tout dans un petit quadrilatère d’environ 25km sur 5 (à peine la moitié de la métropole lyonnaise) où les transitions d’un quartier et d’une ambiance à l’autre sont brutales. On y rencontre de tout : des vieux blancs nord-américains dans les hôtels des beaux quartiers, migrants temporaires ou permanents à la recherche de soleil, de services de santé peu onéreux et qualitatifs et d’un exotisme familier et rassurant; de jeunes latinos arrogants en costards-cravate, talons aiguilles et grosses voitures dans le quartier des affaires; des afro-caribéens aux noms français et indigènes Guna dans les immeubles délabrés qui s’étalent autour de la vieille ville. Panama me fait penser à un mélange de beaucoup d’autres villes que j’ai traversé : La Havane bien sûr, soeur presque jumelle qui serait resté figée dans le temps. Marseille, Porto et Lisbonne, grandes villes portuaires du sud de l’Europe, portes de l’Afrique et des outremers au passé grandiose, au présent décadent et au futur gentrifié. Vancouver enfin, pour ce mélange de gratte-ciel en bord de Pacifique et de forêts humides préservée en pleine ville, où la faune sauvage continue de vivre sa vie entourée d’humains bruyants. Dans la partie moderne de la ville, on croise plus de personne en blouse d’hôpitaux ou costumes de banquiers que partout ailleurs en Amérique centrale. À croire que le tourisme ici concerne surtout des personnages âgées à fort pouvoir d’achat. Pourtant, malgré l’eau potable au robinet, les transports publics modernes et la concentration inouïe de banques, 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Les bus panaméens, surnommés diables rouges. Les inscriptions religieuses et les motifs indigènes des bus guatélmatèques laissent ici la place à des décorations ultra sexualisées (boîte de préservatifs accrochées au rétroviseur, moumoute rose, dessins de femmes nues…), machistes et virilistes (inscriptions lues : « tu vas souffrir mais ça va être bon », « la vie est trop courte pour conduire prudemment »…). Je préfère le vélo.

Panama est une ville un peu folle, intense. Une ville qui malgré sa petite taille et ses transports en commun efficaces souffre d’une grave addiction à la voiture. Le dimanche, quand le malecón est fermé à la circulation motorisée et que les rues sont globalement plus calmes, plutôt que de se déplacer à vélo, les panaméens viennent garer leur véhicule transportant leur vélo au plus près du parcours. Ici la bicyclette est une activité élitiste et pas un moyen de transport : on trouve plus de boutiques haut de gamme vendant des casques à 300$ que de petits ateliers de quartier assurant la survie de vielles bécanes hors d’âge.

Autre symptôme de cette folie : Panama regorge de malls, grands centres commerciaux climatisés dans les premiers étages des grattes-ciels. On y trouve de tout : des magasins d’outdoor un peu cheap aux chirurgiens esthétiques. Pourtant ces malls font vides et artificiels, les vendeurs plus nombreux que les clients semblent s’ennuyer et de nombreuses boutiques sont fermées lors de nos passages.

En bref, c’est une ville fascinante, à la fois attirante, repoussante et épuisante. Une ville ardente, où l’excitation des premiers jours est vite remplacée par un désir tout aussi intense de fuir le plus loin possible de cette folie et agitation.

Darién

Si Panama est une porte pour les navires, c’est aussi un mur pour le transport terrestre : il n’y a pas de route entre ce pays et la Colombie voisine, séparés seulement par une étroite bande de jungle montagneuse. Cette frontière est réputée être l’une des plus dangereuses du monde. Pas tant par les obstacles naturels qu’elle présente, qui sont déjà grands, mais surtout parce qu’elle est une zone de non-droit contrôlée par les cartels, qui y font transiter toutes sortes de marchandises, drogues d’une part et humains d’autre part, à la recherche d’un avenir vivable et prêts à payer très cher le droit de tenter leur chance à travers ce territoire de tous les dangers. Ce qui s’y passe est opaque, caché dans l’ombre de la haute canopée et des nuages qui couvrent cette région pratiquement douze mois par an. Ce qui est certains, c’est que les gouvernements panaméens et colombiens interdisent formellement la traversée terrestre de cette frontière, et qu’il serait stupide de s’y aventurer simplement par plaisir et goût de l’aventure. Les seuls moyens possibles à l’heure actuelle de passer d’un pays à l’autre sont les suivants :

-en charter, gros voiliers de croisière proposant des traversées en quelques jours de la côte vers Carthagène des Indes. L’option la plus chère et la moins intéressante à mon avis : payer 700 dollars pour passer une semaine enfermé sur un bateau dans une ambiance spring break sans rien voir du pays, non merci.

-en lanchas, petits bateaux rapides utilisés par les locaux pour aller d’île en île et de village en village le long de la côte. C’est une option tentante, un peu plus chère que l’avion mais moins que les charters. Il faut environ 3 à 4 jours pour rejoindre la Colombie. Malheureusement, les échos que nous avons eu par les personnes qui l’ont tenté sont que cette aventure est très inconfortable et que le risque d’endommager les vélos est très élevé. Avec la blessure d’Elisa et en pleine saison des alizés avec une houle de plus de deux mètres, ce n’est clairement pas l’idéal.

-en bateau-stop : l’option la moins chère, si elle aboutit. Dans les faits, la probabilité de trouver un bateau allant en Colombie et acceptant de prendre des passagers, qui plus est avec des vélos, est proche de nulle. Nous avons la chance d’avoir mes parents dans le secteur qui prévoyaient de faire cette traversée et c’est l’option que nous avions retenue, avant que les conditions météo très défavorables et la complexité administrative ne mettent fin à ce projet.

-en kayak : c’est l’option retenue par nos amis Zach et Kacper, que nous retrouvons en pleine préparation à Panama City. Bien avant le voyage, nous avions vu la vidéo de Iohann Gueorguiev sur sa traversée en packraft par les îles San Blas. Le kayak est un peu le vélo des mers et des rivières, j’aime sa simplicité et sa capacité d’exploration qui lui permettent aussi bien de briser la glace avec les communautés locales que d’accéder à des endroits isolés. Sa capacité de portage plus élevée qu’à vélo, le fait qu’il ne dépendent pas de routes, qu’il puisse naviguer dans quelques centimètres d’eau et être porté sur terre si besoin lui ouvrent ainsi l’accès à des bivouacs inaccessibles par aucun autre moyen de transport. C’est l’option qui me faisait le plus rêver, mais c’est aussi la plus chère, la plus difficile et pas la plus sûre, surtout en cette période de vents forts et de houle. Elisa ne se sentait de toute façon pas prête à me suivre dans ce projet.

-en avion : le plus rapide, le plus sûr et le moins cher, mais pas le plus écolo ni le plus intéressant. Nous aurions aimé éviter cette solution, mais entre notre plan voilier tombé à l’eau, la blessure d’Elisa et le fait que nous ayons un rendez-vous en Colombie prévu avec ma famille… C’est finalement la solution qui s’est imposée. L’aventure en kayak sera pour une autre fois. Après tout, le monde ne manque pas de rivières, d’îles et de lacs.

Arrivés à Panama City le 17 janvier, nous devions retrouver mes parents vers le 20 sur la côte panaméenne. Suite à l’annulation de ce projet, nous nous sommes rabattus sur un vol le 31, ce qui nous laissait pas mal de temps à tuer. Malheureusement, la blessure d’Elisa nous a contraint à rester en ville, à proximité des médecins et hôpitaux pendant un bout de temps et nous n’avons pas tellement pu mettre ce temps à profit pour explorer le pays, qui semble pourtant regorger d’endroits magnifiques. Panama est le pays au monde ayant le pourcentage de territoire protégé le plus élevé au monde. Si le Panama est un pays assez touristique, son atmosphère est beaucoup plus tranquille et rustique comparé au Costa Rica voisin. À vélo, ce n’est sûrement pas non plus le pays idéal : le pays est peu peuplé et n’est traversé d’ouest en est que par la panaméricaine, d’où partent quelques routes sans issues, offrant peu de possibilité d’itinéraires à explorer. Mais c’est un bon pays pour se poser quelque part et profiter de sa nature luxuriante et de son ambiance particulière, mélange afro-caribéen, latino, européen et asiatique au rythme particulièrement lent et nonchalant.

Mis à part quelques jours sur la côte caribéenne avec mes parents une fois Elisa bien remise, nous n’en aurons donc que très peu profité. Mais l’hostel où nous passons une semaine dans la capitale devient vite un véritable foyer. Nous qui n’avons pas pour habitude de rester longtemps dans un logement payant pour des raisons de budget limité, nous redécouvrons les joies de se sentir un peu chez soi quelque part, de dormir dans un lit, d’avoir une cuisine et surtout, de rencontrer du monde. Ce qui est chouette au Panama, c’est que ce pays attire autant des touristes en vacances pour deux semaines que des voyageurs un peu plus aventuriers. Une sorte de mélange entre le Costa Rica et le Nicaragua en quelques sortes. Chaque jour de nouvelles personnes arrivent et repartent, pendant que d’autres restent plus longtemps, et tous ont des histoires différentes à raconter. J’avoue avoir un pincement au coeur en repartant. Chose qui ne m’attirait pas vraiment avant, je me verrais bien maintenant faire un volontariat dans un hostel. Dans ce genre d’endroit (ou même chez soi grâce à des plateformes comme Warmshowers, Welcome to my garden etc), on peut tout à fait voyager et s’inspirer tout en étant sédentaire, au gré des rencontres et des histoires de chacun. Ce séjour aura planté une petite graine dans ma tête, à voir si elle grandit.

Merci de nous avoir lu ! On vous retrouve bientôt pour la suite des (més)aventures en Colombie. Hasta luego !

Costa Rica

Entrée dans le pays par les collines : comme à chaque frontière l’ambiance change immédiatement. Ici on passe du pays le plus pauvre au pays le plus riche d’Amérique Centrale. De ce côté-ci, c’est très calme, les gens sont chez eux, il y a des grosses maisons typiquement nord-américaines avec des jardiniers qui arrosent le gazon et des grosses voitures garées dans l’allée. Personne dans les rues des petits villages que nous traversons, pas de musique… C’est très étrange. On se croirait un peu revenus dans la campagne européenne. Nous passons les deux premières nuits dans un camping géré par des suisses allemands. Et nous sommes pratiquement les deux seuls non germanophones ici. L’endroit est bien évidemment très propre et calme, il y a des singes qui se baladent dans les arbres et la question du jour (tous les jours) est de savoir dans quel arbre est suspendu le paresseux. Un petit coin de paradis ! Les propriétaires ont aménagé des sentiers de randonnée balisés avec des petits panneaux devant chaque arbre pour indiquer de quelle espèce il s’agit, il y a des guides sur les oiseaux, plantes et animaux que l’on peut emprunter à l’accueil. Le climat est doux et humide, il pleut la nuit, on est bien.

En route pour la côte

Notre projet au Costa Rica est de rejoindre la côte de la péninsule de Nicoya, qu’une piste de terre longe. Cela nous permettra d’éviter les routes principales du pays, réputées horribles à vélo (on confirme : probablement pire encore que les routes du Guatemala). Et cela nous permettra également de camper de plage en plage, pratique courante et légale ici. Ce qui nous évitera de nous ruiner en logement, le pays étant extrêmement cher. Une fois sortis de la route principale, nous trouvons un rythme bien agréable. Levés un peu avant le soleil, vers 5h30, départ vers 6h à la fraîche, petit-déjeuner à l’ombre vers 9h quand la température commence à monter… puis rythme tranquille, pauses baignades et arrivée au spot de camping de bonne heure pour profiter de la fin de la journée dans nos hamacs.

Tout s’annonçait bien. Jusqu’à ce qu’un chien de garde, probablement un peu excité par la fête d’anniversaire de ses maîtres, trouve bien appétissants les mollets d’Elisa… Allers-retours en moto chez le médecin avec les propriétaires, qui nous déposent ensuite à un camping à Samara, petite station balnéaire locale où nous nous posons en attendant le rétablissement d’Elisa. Pour moi ces quelques jours à Samara sont à la fois les plus stressants et les plus ennuyeux depuis très longtemps. Stressants car nous avons rendez-vous avec mes parents au Panama dans quelques jours pour embarquer sur leur voilier pour la Colombie, et que nous n’avons aucun moyen de les contacter ni de savoir où ils en sont dans leur traversée de Providencia au Panama. Les jours passent, leur date d’arrivée estimée aussi, et toujours pas de nouvelles. Pendant ce temps, Elisa ne peut toujours pas marcher, et je m’inquiète aussi pour son état de santé. Je suis tellement inquiet que j’en ai des insomnies et que je n’arrive à rien faire d’autres de mes journées que de m’abrutir à jouer à la belote sur mon téléphone. Le Costa Rica, et particulièrement les endroits touristiques comme Samara ne sont vraiment pas les bons endroits où s’arrêter. Tout est hors de prix et une fois payé le camping, nous sommes déjà au-dessus de notre budget de 10€ par jour et par personne. Nous ne pouvons nous permettre que de manger du riz, des oeufs, des bananes, des carottes, des ananas… et notre nourriture réconfortante ce sont ces burritos bananes – beurre de cacahuète – sauce piquante. Tout le reste est plus cher qu’en France, voire beaucoup plus cher. C’est dur moralement, car étant dans un endroit touristique il y a bien évidemment plein de choses attirantes : glaces, bières artisanales, pizzas italiennes, boulangeries françaises et même une vraie crêperie bretonne où j’ai très envie de soigner mon mal du pays qui recommence à se faire sentir, favorisé par l’ennui, le sentiment de « mais qu’est-ce qu’on est venu faire ici? » Et les messages pour la nouvelle année et mon anniversaire qui pleuvent. Elisa de son côté gère bien mieux que moi la situation : elle ne semble pas le moins du monde atteinte moralement et mets ce temps disponible à profit en passant ses journées à lire dans son hamac. Heureusement, la plage de Samara est réellement très belle au coucher du soleil et j’y passe mes fins d’après-midi à m’épuiser dans les vagues, entre les surfeurs et les oiseaux de mer qui plongent tête la première autour de moi.

Après quelques jours, n’ayant toujours pas de nouvelles de mes parents mais la date convenue se rapprochant, nous décidons de prendre un bus pour Panama pour être prêts à embarquer si besoin. 2 bus et 36h plus tard, nous sommes dans la capitale panaméenne. Je garde une impression mitigée du Costa Rica : forcément déçu de ne pas en avoir vu un peu plus, surtout que notre traversée côtière de plage en plage s’annonçait vraiment bien : camping facile, plage tous les jours, petites routes très raides et poussiéreuses mais peu fréquentées… à l’inverse, ce que nous avons vu du pays depuis les fenêtres du bus, de la côte à la capitale, ne me fait pas tellement regretté de ne pas avoir traversé cette partie du pays à vélo. Si les paysages montagneux sont beaux, les routes sont étroites, sans bas-côté et totalement saturées de véhicules. Étrangement, c’est au Costa Rica que nous avons vu le plus de cyclistes de route, alors que c’est à mon avis le pays qui se prête le moins à cette activité, et de loin.

Merci d’être passé 🙂 nous espérons que cet article vous a plu ! On se retrouve bientôt pour le Panama !

À bientôt.

Nicaragua

Le câble de dérailleur d’Elisa casse 20 kilomètres avant la frontière Honduras-Nicaragua. L’avantage du moyeu Rohloff c’est qu’on peut changer les vitesses manuellement avec une clé. L’inconvénient, c’est qu’il faut s’arrêter avant et après chaque bosse pour faire le réglage. Nous nous trainons donc jusqu’à la frontière, où nous devons encore attendre 3h pour obtenir notre tampon de sortie du Honduras. Il nous reste encore 120km à parcourir pour arriver à León à temps pour Noël. Zach part devant et Elisa et moi optons pour le stop. Nous montons dans un vieux camion et en quelques minutes seulement nous rattrapons et récupérons Zach, qui était pourtant parti une heure avant nous. C’est fou à quel point la notion de temps et de distance peut varier selon le moyen de transport. León qui nous paraissait si loin, est finalement rejoint en quelques heures seulement.

Première impression

Le contraste entre le Nicaragua et les pays précédents est assez marquant. Si le Honduras était également très pauvre, on y trouvait tout de même des petites tiendas en bord de route avec de la musique beaucoup trop forte, des stands de nourriture où l’on pouvait se ravitailler en eau potable et probablement les meilleurs tortillas d’Amérique centrales, larges et souples, certainement à base d’un mélange de farines de blé et maïs. Au Nicaragua, rien de tout ça. Traverser cette frontière c’est un peu comme voyager dans le temps : moins de voitures, plus de chevaux. Et plus tellement de ces petits stands de nourriture variés que l’on trouvait depuis le Mexique, et qui ponctuaient d’un peu de fraicheur et de divertissement la monotonie torride de la panaméricaine.

Changement de point de vue : la route depuis la cabine du camion qui nous a pris en stop

Noël à León

Notre première étape est León, ville coloniale un peu délabrée et chaotique. Pour la petite anecdote, la capitale du Nicaragua a souvent changé jusqu’au milieu du 19e siècle, entre León (préférée par les progressistes) et Granada (préférée par les conservateurs). Pour mettre les deux camps d’accord, il fut décider de fonder Managua à mi-chemin entre les deux, qui est toujours la capitale actuellement. À León on sent le poids de l’histoire récente : c’est d’ici que sont parties les révolutions et l’on retrouve le même genre de propagande révolutionnaire qu’à Cuba, le même mélange d’architecture coloniale et soviétique, deux styles qui me plaisent pour leur côté grandiloquent et un peu anachronique.

Nous arrivons en pleine période de Noël et comme partout depuis le Guatemala, les rues sont décorées de flocons géants, de sapins enneigés et de pauvres pères Noël qui doivent mourir de chaud dans leurs vêtements d’hiver. La place centrale se couvre de stands de jouets en plastiques multicolores et de nourriture « festive » : poulet frites, raspados (glace pilée mélangée avec de la confiture et du dulce de leche), coca-cola, chocobananos (banane congelée trempée dans une sauce au chocolat et saupoudrée de morceaux de cacahuètes) et de plantains frits. Niveau nourriture, ce n’est pas aussi pire que Cuba mais ça reste très pauvre et simple. On trouve aussi des stands de fruits « exotiques » : pommes, poires et raisins, importés d’Europe, des Etats-Unis ou du Chili. Des produits de luxe ici : une unique pomme coûte l’équivalent de plusieurs kilos de bananes. Ça nous rappelle les histoires de nos anciens, qui recevaient une orange d’Espagne ou d’Italie à Noël, fruits exotiques à l’époque et qui nous paraissent tellement proches aujourd’hui.

Cette petite pause urbaine et festive après notre traversée du Salvador et du Honduras nous motive à avancer. Nous avions prévu de faire un peu de tourisme au Nicaragua, mais les villes sont trop proches les unes des autres et après quatre jours à León nous avons juste envie d’avancer. Nous décidons de tracer directement vers Ometepe, au sud du pays, île enchanteresse au milieu du lac Nicaragua dont tout le monde nous parle. Granada et les volcans seront pour un autre séjour.

Ometepe

Ometepe vue depuis le volcan Maderas

Ometepe, comme son nom l’indique (« deux montagnes » en nahuatl) est composée de deux volcans côte à côte au milieu du lac Nicaragua, troisième plus grand lac d’Amérique Latine. Sa forme rappelle au choix le chiffre 8, ou de manière plus poétique, le symbole de l’infini, puisque le temps y est encore cyclique, s’écoulant au rythme immuable des jours et des saisons. Une forme qui évoque également le yin et le yang et rappelle l’équilibre qui règne ici : un volcan de feu et un volcan d’eau, un versant frais et exposé au vent du large et un autre chaud et abrité, aux couchers de soleils magnifiques. On rejoint Ometepe après une traversée d’une heure en ferry depuis Rivas. Et comme souvent avec les îles et bien que l’on ne s’en rende généralement pas compte lors du voyage aller, cette traversée fait l’effet d’un changement de dimension. Le temps passe à un rythme différent. Les voitures étant pratiquement absentes, tout est plus lent, au rythme des chevaux, de la marche, des vélos et du bus brinquebalant qui passe deux fois par jour.

Le climat de l’île lui aussi est particulier. Ces deux volcans couverts de végétation culminant à 1600m d’altitude au milieu d’une masse d’eau douce immense bloquent l’humidité balayée par la brise fraîche du lac. Leurs sommets sont presque toujours dans les nuages et cette combinaison d’ombre et de vent rend le climat particulièrement doux et agréable comparé à la chaleur torride du continent.

La population d’Ometepe vit encore de manière assez traditionnelle. La vie est rythmée par les saisons : lors de notre passage, la récolte des haricots rouges touchait à sa fin. La banane plantain est traditionnellement la principale ressource économique de l’île, mais depuis quelques années, le tourisme l’a rejoint. Au plus grand bonheur des habitants, qui y voient un moyen de compléter leurs revenus : l’agriculture bat son plein en saison humide, le tourisme en saison sèche. Encore un bel exemple de l’équilibre qui règne ici. Ce qui est beau, c’est que le tourisme à Ometepe est un éco-tourisme plutôt bien intégré. Les étrangers qui viennent ici recherchent surtout cette connexion à la nature, cette vie simple au rythme des saisons plutôt que le confort d’un all-inclusive au bord de l’eau. Et les étrangers qui s’y installent et développent des projets touristiques le font également de manière plutôt bien intégrée à cet environnement si particulier. Et c’est tant mieux. Si le tourisme sur l’île (et au Nicaragua en général) est très certainement amené à se développer fortement dans les années à venir au vu des richesses naturelles du pays, j’espère qu’il continuera sur cette voie plutôt que de suivre celle prise par ses voisins du Salvador et du Costa Rica.

Ometepe est un vortex, un trou noir qui aspire tous les voyageurs. Tous ceux que nous connaissons qui y sont passé sont restés plus longtemps que prévu. Voire, pour certains, s’y sont installé. Et pour être honnête, nous y avons pensé. Allan, notre premier hôte nous a bien vendu son territoire et nous étions à deux doigts d’acheter une parcelle en friche, d’y construire une cabane, planter des fruitiers et passer les mois ou années suivantes à regarder le temps passer. Un peu comme Lukas, notre second hôte. Un ancien backpacker allemand, arrivé ici complètement par hasard. Il était sur l’île en mars 2020, quand les frontières se sont fermées. Plutôt que de rentrer se morfondre en Allemagne il a acheté un bout de marécage insalubre pour une bouchée de pain et a passé les mois suivants à drainer le terrain, planter des arbres, construire des cabanes au bord de l’eau qu’il loue aujourd’hui et dont les revenus lui permettent de passer une partie de l’année dans ce petit paradis. Nous aurions voulu rester plus longtemps à Ometepe, mais l’opportunité d’effectuer la traversée du Panama à la Colombie à la voile s’est présentée et nous avons décider de la saisir, même si cela impliquait de nous arracher à contre-coeur de cette île paradisiaque.

À l’aller, Rivas et plus encore Moyogalpa (le port et principal village de l’île) nous paraissaient être des petites villes bien tranquilles. Au retour, nous nous sommes sentis submergés par la foule, la circulation, le bruit et le stress de ces endroits. C’est certains, nous retournerons un jour à Ometepe et au Nicaragua.

Le laissez-passer A38

Malheureusement, si le gouvernement du Nicaragua a fait beaucoup de bonnes choses pour le pays et ses habitants depuis les années 80, cette dernière décennie l’a vu glisser vers un mode de gouvernement plus autoritaire. Manifestations réprimées, censure de la presse… Ce qui rend assez ironique les canadiens fuyant la « dictature communiste » de leur pays pour venir s’installer dans cet éden de liberté. Pour nous autres voyageurs, cela se traduit de plusieurs manières. Jusqu’à récemment, il était interdit d’entrer dans le pays avec du matériel photographique, et si cette contrainte a été levée, les drones restent interdits. Les bagages sont passés aux rayons X à l’entrée et à la sortie du pays. On nous a également demandé quel était notre métier. Pour les personnes déclarant un quelconque métier en rapport avec l’image (journaliste, photographe, expert en communication etc), cela peut engendrer des complications voire un refus d’entrée sur le territoire. Comme à Cuba, mais dans une mesure un peu moindre, j’ai ressenti une forme d’absurdité dans l’administration. Comme le fait de devoir payer à quatre guichets différents pour prendre le ferry pour Ometepe (droit d’entrée sur le port, puis billet du ferry, puis taxe sur le billet, puis droit de transporter les vélos). Ou les ordres parfois absurdes donnés par certains policiers, auxquels il vaut mieux juste obéir même s’ils n’ont a priori pas trop de sens. Comme cet agent qui m’a demandé de faire demi-tour et un détour de plusieurs centaines de mètres parce que je n’avais pas le droit de passer par une rue en travaux pour des raisons de sécurité, alors que j’étais déjà au bout de la rue et que les ouvriers étaient en pause déjeuner. Nous avons entendu cette phrase qui résume un peu tout : « dans ce pays, c’est facile d’avoir des problèmes, mais c’est tout aussi facile de les éviter ». Avec un peu de patience, de calme et de discrétion, tout s’arrange toujours.

Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à nous faire un petit retour en commentaire ci-dessous. Le prochain article évoquera nos aventures et mésaventures au Costa Rica.

À bientôt !