Beautiful British Columbia

Wild Wild North

Quitter un village dans le nord de la Colombie Britannique, c’est un peu comme partir d’un port à la voile pour une traversée de plusieurs jours loin des côtes, dans un pays inconnu. Pas de possibilité de se réapprovisionner, pas d’abris, pas de réseau, aucune certitude concernant ce que l’on trouvera à la prochaine escale. Juste une idée plus ou moins précise du temps nécessaire pour atteindre le prochain objectif et de la quantité de nourriture pour y arriver. Une route, la Cassiar Highway, traverse du nord au sud cet immense territoire presque désert. Comme pratiquement toutes les routes que nous avons emprunté, elle a été initialement conçue pour l’exploration minière et les villages qui la ponctuent sont essentiellement des villes-champignons qui naissent et disparaissent au gré des filons. Jade City, minuscule hameau-entreprise de 25 habitants a d’ailleurs fait l’objet d’une série en 7 saisons sur Discovery Channel Canada.

Tout comme la Dempster Highway, la Cassiar est orienté nord-sud. De plus, elle commence dans l’intérieur, avec un climat très continental, traverse la cordillère cotière et se termine dans la vallée de la Skeena, à moins de 200km du Pacifique, où le climat est un peu plus tempéré et beaucoup plus humide. Tout au long des 720km de cette traversée, on observe donc le paysage évoluer progressivement, la végétation devenant de plus en plus haute et dense. Sur les derniers kilomètres, les premiers cèdres rouges, majestueux arbres emblématiques de la côte nord ouest de l’Amérique font leur apparition, accompagnés de fougères, mousses et lichens. Les bords de route sont riches en salmonberries, fruits très similaires aux framboises. Il est donc fréquent de voir des ours s’en mettre plein la panse à quelques mètres de la route. S’ils étaient plutôt peureux dans le Yukon, ici ils sont totalement absorbés par leur festin et n’ont aucune envie d’abandonner leur repas pour laisser passer deux cyclistes. Nous avons eu quelques montées d’adrénaline… Heureusement, en plein mois d’août, cette route est très empruntée et il n’y a jamais besoin d’attendre longtemps pour qu’une voiture passe et nous aide à passer en sécurité.

La Cassiar Highway se termine à Kitwanga, dans la vallée de la Skeena. L’ambiance change du tout au tout : cette fertile vallée au climat doux est l’endroit le plus au nord du Canada où poussent des arbres fruitiers. Après les étendues sauvages du nord pendant plusieurs semaines, il est étrange de voir des fermes, du bétail et des terres cultivées… Une route, la Yellowhead highway, connecte les nombreuses communautés de la vallée. La population est dense, la circulation également. D’autres détails attirent notre attention : de nombreux panneaux rappellent qu’il est interdit de faire du stop et de camper, les aires de repos sont sous vidéosurveillance et de nombreux avis de disparition collés un peu partout, principalement pour de jeunes femmes amérindiennes, créent une ambiance franchement glauque. Alors c’est ça la civilisation ? On n’était pas si mal dans le bush… Nous apprendrons plus tard que cette Yellowhead highway est surnommée « highway of tears » (route des larmes), et que Prince Georges, la grosse ville du coin, est considérée comme une des villes les plus dangereuses du Canada. La suppression des transports en commun a poussé de nombreux jeunes peu argentés et sans voitures à se déplacer en stop, et beaucoup ne sont jamais revenus. Les rumeurs parlent d’un marginal un peu bushed qui serait à l’origine de ces disparitions. Cette atmosphère nous motive à parcourir en une seule fois les 130km jusqu’à Terrace, malgré un fort vent de face. Nous y rencontrons Cheryl. C’est le début de la saison du saumon et la pêche bat son plein. Nous restons quelques jours chez elle, l’aidant à faire des conserves de poisson et du saumon fumé, avant de reprendre la route pour Prince Rupert et le ferry qui nous emmènera jusqu’à l’île de Vancouver. Les paysagers côtiers sont à couper le souffle. La végétation est magnifique, l’estuaire de la Skeena regorge de vie, les montagnes sont couvertes de glaciers qui tombent dans la mer… Prince Rupert est un port de pêche et de commerce actif au milieu de ce qui est surnommé la « côte sauvage ». Nous tombons immédiatement sous le charme et ne nous éloignerons plus du Pacifique jusque’à notre départ du Canada, 2 mois plus tard.

Dans mon île

Pete, cycliste canadien rencontré à Terrace, nous avait prévenu : « à Vancouver Island, les gens sont sur l’island time  (« heure de l’île » : expression signifiant que le temps s’écoule plus lentement sur les îles que sur le continent et que les notions de stress et de ponctualité y sont différentes). Nous pensions passer environ 3 semaines sur l’île, nous y sommes restés presque 2 mois. À croire que le temps s’y écoule réellement différemment. Il semblerait que plus l’île est petite et plus cet effet soit marqué : depuis Vancouver Island, nous sommes partis à la voile avec Alex pour Cortes Island, où nos journées commençaient vraiment vers 15h.

Dans l’imaginaire canadien, Vancouver Island et les très nombreuses petites îles qui l’entourent sont peuplées de hippies et d’écolos. C’était probablement vrai il y a encore 30 ou 40, et si une certaine atmosphère y persiste, le sud de l’île est de plus en plus densément peuplée et touristique. Beaucoup d’anciennes cabanes ont été transformées en véritables villas où les riches habitants de Vancouver ou Victoria viennent passer leurs vacances. Tout comme sur la Sunshine Coast, qui fait face à l’île de l’autre côté du détroit de Georgia, l’ambiance rappelle plus la côte d’azur que le Finistère. Sur la côte ouest, Tofino, spot de surf le plus réputé du Canada, a vu sa population de surfeurs vivant dans leurs vans ou dans des cabanes petit à petit remplacée par de riches touristes logeant dans des hôtels à 200$ la nuit…

Pour retrouver l’ambiance roots de l’île, il faut monter au nord de Campbell River. Le climat réputé plus austère et l’éloignement plus important de la métropole n’attirent pas. La population est principalement constituée de bucherons et de pêcheurs. C’est pourtant là que nous avons trouvé notre petit paradis. Le nord de l’ile est parcouru d’un dense réseau de routes forestières de terre, ouvertes au public aux possibilités d’exploration infinies. Une boucle de 1000km sur ces petites routes a été publiée récemment par le site bikepacking.com et chaque jour, nous avons rencontré des groupes de bikepackers. Des petits sites de camping gratuits y sont aménagés au bord de chaque lac, chaque rivière et chaque crique, certains envahis par les campings-cars, d’autres plus difficilement accessibles et beaucoup plus tranquilles. Après les longues journées sur les highways du continent, nous avons ralenti notre rythme, pour profiter plus. Campings magiques, belles rencontres humaines et animales sont devenus notre quotidien. Christopher nous a parlé de ses vaches, qu’il doit parfois défendre contre les cougars l’hiver, des ours qui broutent en paix sur ses terres et d’utopie sociale et environnementale. Don a passé deux jours avec nous au bord de l’eau à nous expliquer les relations entre saumon, rivière, faune et forêt. Alex nous a emmené sur son voilier découvrir les îles Cortes, Mittlenach et Copeland, à la rencontre des baleines, phoques et otaries. Au voyage physique sont venus s’ajouter d’autres voyages, dans le temps et dans des espaces plus lointains. Alex et ses anecdotes fascinantes sur sa jeunesse hippie dans des cabanes et sur des voiliers, ses aventures sur un brise-glace dans l’océan arctique. Dominique, ses aventures en Afrique, ses voyages en stop en Europe et son arrivée au Canada depuis sa Bretagne natale. Ross et Judy et leurs voyages à vélo et en moto en Amérique centrale, Inde et Pakistan, l’enfance de Judy en Inde et leurs combats pour l’environnement et l’inclusion sur l’île. L’hospitalité incroyable de Todd, Kelly et Brian et les histoires des nombreux voyageurs à vélo qu’ils ont hébergé sur leur ferme. Stephanie, son enfance aux quatre coins du Canada et ses années passées à Yellowknife dans les territoires du nord ouest, où les hivers sont si froids et secs.

Metropolis

Pour continuer notre voyage, il fallait bien passer par Vancouver. Après 3 mois loin de la civilisation, entrer dans la 3e plus grande aire urbaine du Canada avec ses 2,6 millions d’habitants nous a d’abord fait un choc. La métropole s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres et il faudrait presque une journée entière pour la traverser à vélo. Le bruit, le traffic, l’orientation… Un environnement totalement nouveau à appréhender. Heureusement, ici aussi l’hospitalité canadienne nous a mis à l’aise. 4 hôtes différents nous ont hébergé et aidé lors de nos deux passages à Vancouver (merci!), où nous sommes restés beaucoup plus longtemps que prévu, pour préparer la suite du voyage : passage au consulat français pour obtenir un nouveau passeport, tentative infructueuse de passage de la frontière américaine, révision des vélos, réservation d’un vol pour le Mexique et préparation (un peu dans l’urgence) de la suite du voyage.

Si le premier jour n’a pas été évident, nous avons rapidement pris nos marques à Vancouver. Se déplacer à vélo, à pied ou en transport en commun dans cette ville est incroyablement confortable. Le centre-ville est petit et très contrasté, entre les hautes tour rutilantes du Downtown, l’ambiance parfois un peu glauque à la Blade Runner de Gastown et Chinatown et les plages et forêts de Stanley Park et Kitsilano. Tout autour, l’immense zone portuaire, qui s’étale sur des kilomètres le long des anses et du fleuve Fraser. Un peu plus loin, l’ancien quartier des docks du Downtown Eastside est récemment gentrifié et la bière coule à flot dans ses entrepôts transformés en brasseries artisanales.

Tree of life

« BC is built on forestry » (la Colombie Britannique s’est construite sur la foresterie). On peut lire ce slogan un peu partout, surtout dans les villages de bûcheron. À l’inverse, on retrouve au moins aussi souvent des slogans « protect the old growth » (« protéger les forêts anciennes »). Impossible de parler de la Colombie-Britannique sans évoquer ce sujet qui fâche. Beaucoup d’emplois, surtout sur la côte et dans le nord dépendent de cette industrie. D’un autre côté, cette activité, surtout depuis son industrialisation, peut-être destructrice pour l’environnement. Les anciennes forêts, très hautes et diversifiées en termes d’espèces, servent d’abri à de nombreuses espèces, protègent les sols de l’érosion et offrent de l’ombre aux rivières, leur permettant de conserver une température suffisamment fraîche pour que les saumons puissent s’y reproduire. Autrefois les bûcherons coupaient uniquement les arbres les plus matures et laissaient les autres pousser. Aujourd’hui, l’activité est mécanisée : des machines rasent intégralement les forêts, puis on replante des arbres identiques. Les arbres sont ensuite envoyés par bateau en Asie pour être préparés, puis reviennent au Canada (et ailleurs) pour être utilisés. Tout ceci à un coût écologique : ces dernières années, les inondations et glissements de terrain se sont multipliées, les grands arbres majestueux sont petit à petit remplacés par des forêts cultivés, un peu tristes et monotones et les saumons ne parviennent plus à se reproduire. Et le saumon, c’est la base de tout : il nourrit tout un écosystème de prédateurs (aigles, ours, corbeaux, crabes…), apporte du carbone au sol qui alimente la croissance des plantes… Sans saumons, tout cet écosystème est fragilisé. Par ailleurs, l’automatisation a également supprimé de nombreux emplois et le sujet commence à diviser les canadiens… En bref, c’est complexe.

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