Sud Lipez, route des lagunes – première partie

Préparation

Malgré une journée de repos supplémentaire à Potosí, Elisa n’est toujours pas en état pour se lancer dans ce challenge que va être la route des lagunes. Cette route qui traverse la région désertique du sud Lipez, d’Uyuni en Bolivie à San Pedro de Atacama au Chili est un des grands mythes du voyage à vélo en Amérique du Sud. C’est le chemin le plus court entre ces deux villes, mais pas forcément le plus rapide : la route est longue de 450km, dont 300 sur une piste défoncée entre 4000 et 5000m d’altitude. En temps normal la progression y serait déjà lente et pénible en raison des nombreux passages dans le sable, la caillasse ou la tôle ondulée la plus affreuse que j’ai eu l’occasion de voir jusqu’à présent. Mais ce ne serait rien sans le fort vent de face qui souffle à partir de la fin de matinée et rend toute progression pratiquement impossible l’après-midi, et le camping également impossible en dehors de quelques endroits abrités. Il faut donc se lever tôt, dans les températures largement inférieures à 0 degrés du petit matin, et avancer suffisamment fort pour pouvoir couvrir la distance entre deux abris dans la matinée. Pour ajouter un peu de piquant, la région est également intensément parcourue par de nombreux jeeps transportant des groupes de touristes, qui sont à l’origine du très mauvais état des routes et dépassent les cyclistes à pleine vitesse en soulevant un nuage de poussière. Et bien sûr, puisque c’est un désert, il faudra transporter quelques kilos supplémentaires d’eau et de nourriture. Autant dire qu’il vaut mieux être en forme physiquement et costaud mentalement pour se lancer dans un tel projet.

Etant donné son état, Elisa décide qu’il est plus raisonnable qu’elle prenne un bus pour San Pedro, où elle m’attendra pendant que je traverserai seul et à vélo la route des lagunes. Nous avions déjà acheté la nourriture pour deux personnes et les douaniers chiliens sont toujours aussi tatillons. Elisa préfère ne pas essayer de faire passer en douce nos raisins secs de contrebande, mais nous ne voulons pas non plus perdre ce que nous avons acheté. Je vais donc transporter encore plus de nourriture que ce dont j’aurais besoin. Histoire de rendre le challenge encore plus intéressant.

Échauffement

Le 8 novembre, le réveil sonne à 5h du matin. J’accompagne Elisa à la gare routière d’Uyuni, l’aide à charger son vélo et ses bagages dans le bus et nous nous disons au revoir. Je vais pédaler seul pendant quelques jours pour la deuxième fois du voyage, mais cette fois-ci ça ne devrait pas durer aussi longtemps qu’au Pérou : la plupart des voyageurs à vélo empruntant la route des lagunes mettent environ 7 jours à rallier San Pedro. Des amis qui sont passés par là il y a quelques semaines m’ont dit qu’ils avaient pu charger leurs vélos dans un minibus pour quelques bolivianos, afin d’éviter les 140 premiers kilomètres, bitumés et peu intéressants. Je pars donc à la recherche d’un véhicule, mais les prix annoncés sont bien plus élevés. Visiblement on ne veut pas trop de moi… Un chauffeur a encore quelques places libres et accepte finalement de m’embarquer pour un prix raisonnable. Je l’aide à attacher mon vélo et mes bagages sur le toit, et alors que je m’apprête à payer mon billet, son responsable sort du bureau et nous demande de décharger mes affaires. Un groupe est arrivé à la dernière minute et il est plus rentable d’emmener cinq personnes sans bagages qu’un cycliste seul…

Je vais donc devoir pédaler, mais j’ai déjà perdu de précieuses heures. Je repasse rapidement à l’hôtel pour utiliser la wifi pour prévenir Elisa que je mettrai un peu plus de temps à arriver. Il est 9h du matin quand je me lance enfin sur la route. Je ne suis pas encore sorti d’Uyuni que mon pneu arrière se vide soudainement de son air. Je le regonfle et repars. Au bout d’une dizaine de kilomètres, ça recommence. Ça va être long… J’ai perdu trop de temps, je m’arrête au bord de la route et tente de faire du stop, espérant encore m’éviter les 130 km de bitume restant jusqu’au village d’Alota, où, si j’arrive suffisamment tôt, j’aurai le temps de réparer sereinement. Plusieurs véhicules s’arrêtent, malheureusement aucun ne va dans ma direction. Je décide de jeter un coup d’oeil à mon pneu et me rend compte que la réparation faite par un atelier de Cusco, au Pérou, n’a pas tenu. À moins qu’elle n’ait été mal faite… Je roule avec des pneus tubeless, c’est à dire sans chambre à air. Celle-ci est remplacée par un liquide qui vient boucher les trous en cas de crevaison. C’est un système génial, qui permet de ne jamais avoir à démonter le pneu. La plupart du temps, nous ne nous rendons même pas compte que nous crevons. Il suffit juste de remettre un peu de pression de temps en temps, et voilà. En cas de crevaison plus importante, comme celle qui m’est arrivée au Pérou, il est parfois nécessaire de boucher le trou avec un petit morceau de caoutchouc, qu’on appelle bacon strip en anglais (tranche de bacon). Ce morceau de caoutchouc reste alors dans le pneu jusqu’à ce que l’on remplace celui-ci. Or, le trou dans mon pneu n’est pas comblé par une tranche de bacon. Soit celle-ci est tombée, soit l’atelier de Cusco n’en a jamais mis… Le trou est donc trop gros, et si le liquide a formé une petite boule qui en séchant l’a en partie rempli, ce n’est pas suffisant pour une réparation durable. Je suis soulagé, ce n’est pas grand chose à réparer. Je sors mes outils et en quelques minutes le trou est comblé, mon pneu est regonflé et je suis prêt à repartir.

J’ai perdu beaucoup de temps, il est un peu tard, d’autant plus que je vais vers l’ouest et que je risque d’avoir le vent de face dans l’après-midi. Je lance mon lourd vélo, dont le poids chargé doit bien avoisiner les 50 kilogrammes avec toute l’eau et la nourriture que j’ai. On verra bien. Le paysage est assez monotone, c’est qui est un atout : je ne suis pas trop tenté de m’arrêter pour prendre des photos. Je m’installe dans mon rythme de méditation : une allure assez lente, que je suis capable de tenir longtemps sans avoir à y penser. C’est un peu l’équivalent à vélo du rythme de la marche à pied. La route est totalement plate et les kilomètres défilent. Malgré la monotonie du paysage, je ne m’ennuie pas, et je ne ressens même pas le besoin d’écouter de la musique ou des podcasts. Je ne compte pas les heures, je ne compte pas les kilomètres. Je suis là, dans le présent, sans penser à rien, et c’est tout. Au début du voyage, au Canada, toutes les journées ressemblaient à celle-ci et il nous était très difficile moralement de lutter contre l’ennui. Les journées nous paraissaient interminables et nous n’avions qu’une hâte, en finir, monter le camp et lire pour penser à autre chose. J’ai l’impression que si je refaisais cette traversée du Canada aujourd’hui, tout serait beaucoup plus facile. Finalement cette route n’est pas désagréable, il n’y a pratiquement pas de circulation et le vent semble avoir décidé de ne pas se lever aujourd’hui. C’est tout juste si une petite brise avec parfois quelques rafales un peu plus fortes me ralentit. À 16h, j’ai couvert sans difficulté physique ni mentale les 140km d’Uyuni à Alota. Mais je sais que la véritable difficulté commence demain. Le vent s’est finalement levé alors que j’étais dans la dernière descente vers le village. Je décide de dépenser une partie des quelques bolivianos qui me restent pour m’offrir un lit à l’abri du vent et du froid, et une cuisine pour cuire mes pâtes au chaud. Je serai frais demain pour me lancer dans la véritable route des lagunes.

Cette petite traversée de seulement 4 jours fut infiniment courte dans le temps, mais infiniment riche et intense en expériences et paysages. C’est pourquoi j’ai choisi de couper l’article en deux parties. La suite se trouve ici.

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