J’imaginais l’Altiplano comme une étendue plate et immense, battue par le vent, aux nuits glaciales. J’imaginais des paysages monotones et des routes sableuses qui rendraient cette traversée très rude aussi bien mentalement que physiquement. Finalement je n’étais pas tellement loin du compte, mis à part pour la beauté des paysages qui rattrape tout le reste. C’est beau, c’est immense, c’est vide. On se sent petit face à l’immensité, fragile face au vent, infime parasite sur le dos d’une planète qui ici est bien vivante, en témoignent ces volcans gigantesques qui fument à l’horizon, ces rivières qui bouillonnent d’une eau brûlante, ces paysages qui semblent d’une autre planète mais sont pourtant bien là, sous nos yeux. Les humains qui vivent ici semblent âgés de millénaires. Ils parlent des langues qui existaient bien avant l’arrivée des espagnols et les églises jésuites semblent presque récentes à côté des chullpas, tours funéraires préhispaniques qui parsèment le paysage, portant en elles les ossements de générations d’humains qui ont parcouru ces espaces avant nous.

The simple life
De retour en Bolivie après notre petit détour par le Chili, nous nous dirigeons maintenant vers Uyuni et son mythique salar. Ce côté-ci de la frontière est plus peuplé, mais pour combien de temps ? Les villages semblent vivre en autarcie. Quand il y a des tiendas elles n’ont pas grand chose à vendre. Des bouteilles d’huile, des boites de thon, de la mayonnaise et des biscuits. Quand on est chanceux on peut espérer trouver des pâtes, du pain, plus rarement encore quelques légumes à la mine un peu triste et des oeufs. Tout le reste est produit sur place : viande de lama, pommes de terre, quinoa, oeufs. La rudesse du climat, l’isolement et le maigre pouvoir d’achat ne permettent pas vraiment une alimentation qui ne soit autre chose que du carburant. Comme dans beaucoup d’autres régions isolées des Andes que nous avons traversé depuis l’Equateur, ici on ne mange pas tellement par goût mais plutôt pour ne plus avoir faim.






Dans chaque village, le moindre petit aménagement, robinet d’eau ou banc, est accompagné d’une plaque en hommage à Evo Morales ou Luis Arce, les deux leaders politiques actuels du pays qui se succèdent au pouvoir. Il semblerait que chaque boliviano d’argent public dépensé dans ces villages implique une dépense supplémentaire pour que ses habitants intègrent bien le nom de la personne à qui ils doivent cet investissement et aillent voter pour lui aux élections suivantes… La situation politique actuelle de la Bolivie est tout aussi instable que sa situation économique : en un mois seulement dans le pays, nous avons été témoin d’une tentative de coup d’Etat contre Luis Arce, d’une tentative d’assassinat d’Evo Morales et de plusieurs grèves et blocages des grands axes routiers par les soutiens de l’un ou de l’autre en réaction à ces événements. À Coipasa, qui semble être un des gros villages du coin d’après la carte, nous arrivons le même jour que la caravane médicale, qui vient offrir des consultations dentaires gratuites aux habitants des villages isolés. L’ambiance est festive : tout le village est réuni sur la place, il y a une fanfare, des stands de friandises pour les enfants (il faut bien donner du travail aux dentistes de la caravane) et le maire fait un petit discours. L’évènement se termine par une distribution de soupe et nous aurons même droit aux restes. La dame qui sert le repas nous confie qu’en dehors de l’exploitation du sel qui génère quelques revenus, il n’y a pas de travail ici et tout le monde part dans l’espoir de trouver un meilleur avenir ailleurs. D’ailleurs selon elle, cette situation touche tout le pays. Les boliviens partent chercher du travail au Pérou, au Chili ou dans les autres pays voisins. Elle compare la situation que traverse actuellement son pays à celle du Venezuela. Coipasa semble avoir tenté de développer le tourisme fut un temps : il y a plusieurs hôtels dans le village, aujourd’hui tous fermés. Nous trouvons tout de même une chambre, ou plutôt une pièce qui semble servir de débarras dans laquelle se trouvent deux lits aux draps sales. Les sanitaires sont au milieu de la cour : un robinet, un seau d’eau, une toilette sans porte.
La Bolivie est magnifique, les boliviens sont très sympathiques, mais tout de même ce pays est de loin le plus inconfortable que nous ayons traversé. Le concept d’hygiène semble très lointain de nos standards : les marchands touchent la nourriture avec la même main que les pièces qui sont passées de main en main dans un pays où il n’y a jamais de savon ni de papier dans les toilettes, chose impensable même au Pérou qui nous paraissait pourtant déjà suffisamment extrême en termes de propreté. Les chiens pissent dans la rue au milieu des marchands ambulants qui vendent leurs produits à même le sol et La Paz est connue pour cultiver ses légumes dans la même vallée qui recueille ses eaux usées. Nous devons sans cesse faire attention à ce que nous mangeons, à ce que nous touchons. Manger quelque chose que nous n’avons pas préparé nous-même revient un peu à jouer à la roulette russe. L’état des draps dans les chambres en dehors des grandes villes touristiques raconte des histoires. Ils en ont vu passer des humains depuis leur dernier nettoyage. Et lorsque nous campons, les nuits sont froides, le vent soulève le sable et la poussière qui nous fouettent le visage et rentrent parfois jusque dans la tente. La nourriture très basique et les épiceries des villages assez rares nous obligent à transporter beaucoup plus de nourriture que d’habitude, et pas vraiment de fruits et légumes. En bref, l’inconfort est permanent.
Salares
Malgré cela, nous n’échangerions pour rien au monde notre place pour une autre plus douce. Car ici tout est beau, immense, irréel et presque vide d’humains. Les rencontres sont rares et ne pas s’arrêter pour se saluer et échanger quelques mots serait impensable. Et puis nous arrivons sur les salares : celui de Coipasa d’abord, puis celui d’Uyuni, vestiges d’un grand lac salé aujourd’hui asséché. Ces étendues plates sont couvertes d’une épaisse croûte de sel dur. Il n’y a pas de routes, aucun repères, et pédaler dessus est à mi-chemin entre naviguer sur la banquise et sur l’eau. On repère des volcans à l’horizon, on prend le cap et on avance en vérifiant régulièrement qu’on va bien dans la bonne direction. C’est une expérience unique et fascinante.




Les salares sont parsemés d’îles couvertes de corail fossilisé et de cactus candélabres. On y fait escale pour voir autre chose que du vide et marcher sur la terre ferme. Une de ces îles, Incahuasi, située plus ou moins au milieu du salar d’Uyuni dispose d’une source d’eau douce et est encore habitée par un couple très âgé. Tous les jours, des dizaines de jeeps de touristes viennent y contempler le coucher de soleil. Nous avions prévu de camper au milieu du salar mais les vents assez forts et la croûte de sel trop dure pour bien y amarrer la tente nous contraignent à venir au mouillage dans une des baies d’Incahuasi. Et c’est là que nous retrouvons Antoine, Olga, Ben, Thom, Céline et Rhodri, nos amis cyclistes que nous avions vu pour la dernière fois à la Paz, ainsi que Romuald et Gabi couple mexicano-breton qui remonte vers le nord. 10 cyclistes réunis par le hasard au même bivouac, c’est du jamais vu pour nous jusqu’à présent. Ce soir les températures ne descendent pas sous zéro et nous passons de longues heures à discuter sous les étoiles, avant de reprendre la route en groupe le lendemain. Dernière étape vers Uyuni.







J’espère que cet article vous a plus, on se retrouve très bientôt pour la suite !
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