Guatemala

Bien avant le départ, le Guatemala faisait parti de ces pays sur notre route qui m’intriguaient, notamment pour sa culture indigène encore très forte. Et puis finalement, après 8 mois au Mexique, à écumer les marchés des petites villes, les musées d’anthropologie et galeries d’art et artisanat natif, les villages Purepechas et Mixtèques… Ma curiosité pour le sujet était satisfaite. Si le Guatemala est différent du Mexique, il lui ressemble aussi énormément. Je serais tenté de dire : en plus rude. Mais nous ressentons tous les choses différemment. Ce qui est intéressant ceci dit, c’est qu’en voyageant lentement on a le temps de se rendre compte du glissement culturel très progressif depuis le nord du Mexique. La cuisine guatémaltèque est finalement très proche de la cuisine mexicaine, avec moins de piment, toujours autant de tortillas et haricots et plus de chou et bananes, ainsi que des pupusas salvadoriennes qui font la transition avec le pays suivant. La façon de parler l’espagnol évolue : très proche de l’accent mexicain mais avec des intonations parfois plus caribéennes et l’utilisation intensive du « vos » qui évoque déjà la Colombie, ici plus ponctuation et accentuation que simple pronom.

Les nouveaux papes verts

L’histoire du Guatemala au 20e siècle, comme celle du reste de l’Amérique Centrale, est marquée par la domination des Etats-Unis. Dans les années 60, ce sont les compagnies fruitières américaines qui dirigeaient le pays et mataient par le feu les révoltes de paysans. Aujourd’hui, si cette domination est plus subtile et complexe, elle n’en est pas moins toujours présente. Beaucoup d’argent entre dans le pays par l’intermédiaire du tourisme, principal secteur d’activité économique du Guatemala. Pourtant, cet argent profite finalement assez peu à ses habitants : la plupart des activités touristiques, en particulier les hébergements, étant possédés par des étrangers (américains et français notamment), ou une poignée de riches guatémaltèques. Les postes à responsabilité sont souvent confiés à d’autres étrangers parlant anglais, et il est fréquent que les hébergements emploient de nombreux volontaires, voyageurs étrangers travaillant gratuitement en échange d’un lit. Les seuls emplois réellement confiés à la population locale sont les moins gratifiants : ménage, entretien des jardins et bâtiments. Et quand les profits (parfois plusieurs centaines de milliers de dollars par an) ne sont pas entièrement déclarés (ce qui semble être la norme), c’est autant d’argent qui repart à l’étranger sans jamais profiter au développement de l’économie locale. En apprenant ce fonctionnement, je comprends mieux l’accueil parfois froid et les vols ciblant les étrangers, finalement seul moyen qu’ont pu trouver certains habitants pour tirer profit de la manne touristique qu’on leur impose, qui profite de leur histoire et culture et perturbe leurs modes de vie sans les inclure dans le partage des richesses.

San Marcos, au bord du lac Atitlán est pour moi l’exemple le plus écoeurant de ce système. J’imaginais San Marcos un peu comme San Mateo, où nous avions passé quelques jours dans l’état mexicain de Oaxaca : une destination certes plutôt hippie mais avec des entreprises gérées par les locaux, qui bénéficient aux locaux et à des prix accessibles aux locaux. À l’inverse, San Marcos est surnommé la « Riviera hippie », un surnom qui résume bien ce qu’elle est : une destination luxe avec un vernis maya-pachamama new age pour lui donner un air authentique, mais une destination luxe aux prix aberrants avant tout. On y trouve des pains au chocolat plus chers qu’à Paris (3€, et ils n’ont même pas l’air bons…), un sex-shop « classe » et des gens se promenant à moitié nus dans une région encore très religieuse et pudique. Si San Marcos se veut être un temple dédié au yoga, au bien-être et à un mode de vie en harmonie avec la nature et avec les autres, c’est finalement surtout un temple de l’égocentrisme. Ses retraites de yoga avec grandes ouvertures donnant sur le lac et les volcans sont avant tout pensées pour mettre en scène son corps blanc, mince et musclé dans un cadre ultra instagrammable. Les entrepreneurs qui gèrent ces lieux se présentent comme des néo-hippies spirituels et amoureux de la nature mais ne sont finalement que des capitalistes aux cheveux longs et pieds nus, profitant du prix dérisoire des terrains et de la main d’oeuvre locale pour vivre une vie de luxe sous les tropiques pendant que leurs clients autoproclamés progressistes, écolos et ouverts d’esprit viennent spécialement des Etats-Unis par avions entiers pour passer quelques semaines au soleil, dans une petite bulle d’entre-soi coupée du monde et loin du froid hivernal nord américain.

Pédaler

Après près d’un mois dans le pays, j’ai encore du mal à savoir si j’ai aimé voyager ici. Une chose est sûre : à vélo, c’était horrible. Les routes sont mal conçues, étroites, biscornues, raides. Les bas-côtés sont séparés de la route principale par une haute marche, ils apparaissent et disparaissent, s’élargissent et se rétrécissent. Il faut savoir s’y jeter lorsqu’un camion klaxonne nerveusement dans notre dos, et revenir sur la route lorsqu’il est jonché de débris de verre, de branches d’arbres traîtresses ou de déchets. Au Guatemala, le permis de conduire est facultatif : la seule chose que contrôle la police est la carte grise du véhicule. De toute façon, le permis ne s’obtient pas, il s’achète : il n’y a pas d’école de conduite, les conducteurs apprennent sur le tas et reproduisent ainsi les comportements dans lesquels ils baignent. Les vieilles dames se signent en montant dans les bus, qui sont couverts d’inscriptions rappelant que la sécurité du véhicule est assurée par Dieu et non pas par le conducteur. Rassurant. Rouler à contre-sens et ne pas respecter les limites de vitesse est tout à fait normal, dépasser dans les virages, klaxonner et frôler agressivement les autres usagers presque un signe de virilité. Le Guatemala est extrêmement macho et cela se ressent jusque sur la route. Hansi, un cycliste finlandais à cuissard court et cheveux longs nous a confié avoir subi des moqueries homophobes. Elisa a fréquemment droit à des regards, gestes et mots désagréables. Moi même je me suis fait insulter plusieurs fois. Alors que depuis le Canada la plupart des gens étaient souriants, nous saluaient chaleureusement, parfois même nous offraient de l’eau, des fruits voire l’hospitalité spontanément, au Guatemala les regards sont souvent fuyants, parfois moqueurs voire assassins. Difficile de se sentir en sécurité et de rechercher l’échange dans ces situations. Heureusement nous avons aussi croisé des personnes très sympathiques, notamment dans la capitale ou à Antigua, où la culture du vélo est plus développée et où les gens sont certainement plus éduqués et habitués à voir des étrangers. Le pays étant très pauvre (plus de 50% de la population sous le seuil de pauvreté), c’est assez étonnant que la pratique du vélo n’y soit pas plus développée. On croise presque plus de beaux vélos de loisirs que de vélos utilitaires. J’ai d’ailleurs énormément de respect et de compassion pour ces cyclistes et coureurs de la capitale, qui pratiquent leur activité sur les autoroutes encombrées, extrêmement polluées, bruyantes et dangereuses autour de la ville. Sortir de Guatemala Ciudad fut probablement ma journée de vélo la plus désagréable et si elle n’a duré que 3h, je me suis mouché noir de gaz d’échappements pendant plusieurs jours après. Imaginer qu’on puisse le faire par plaisir ou pour « garder la santé » me dépasse complètement.

Notre deuxième pire journée de vélo au Guatemala fut pour rejoindre la côte et quitter le pays. À 1500m d’altitude, bien au frais sous les nuages d’Antigua, nous n’étions pas près à l’écart de température qui nous attendait au niveau de la mer, côté Pacifique. Cette étape n’était que de 100km dont 40 de descente, sans montées significatives. Sur le papier, elle aurait du être terminée en 4h. Mais la chaleur écrasante, l’absence d’ombre, le bitume brûlant, les feux de déchets en bord de route, les pots d’échappement et notre inadaptation à ce climat ont transformé cette journée en un long chemin de croix, où chaque pente de plus d’1% devenait une torture. Moi qui supporte habituellement bien la chaleur, j’ai souvent senti mon rythme cardiaque s’emballer et ma tête surchauffer. Entre midi et 15h, heures les le plus chaudes, nous nous arrêtions pratiquement toutes les 10min pour nous assoir, boire et reprendre notre souffle… Un long calvaire. Finalement, le corps s’habitue et les journées suivantes ont été rafraîchies d’un vent frais bien agréable qui nous a permis de traverser les pays suivants sans peine.

La Jungle

Heureusement, il n’y a pas que le vélo. Sur presque un mois dans le pays, nous n’aurons pédalé que 7 jours. C’est probablement le premier pays où je ne ressens aucune frustration à monter dans un bus. La nature du Guatemala est riche et variée, et le pays étant petit on passe vite d’un écosystème à un autre. Bien qu’étant colonisé et déboisé depuis les années 60 et surtout 90, le nord du pays dispose encore de quelques bouts de jungle préservés, à vocation notamment touristique. Ces petits coins de paradis regorgent de biodiversité et d’anciennes villes mayas aujourd’hui peuplées de singes, de jaguars et de dizaines d’espèces d’oiseaux plus belles les unes que les autres. Les quelques jours que nous avons passé à camper dans la jungle à Yaxcha, puis sur le bateau de mes parents à Rio Dulce ont été une vraie bouffée de nature. Puis au lac Atitlan, nous avons passé 4 jours à ne rien faire dans un camping où les nombreux arbres fruitiers attiraient toutes sortes d’oiseaux. Nos voisins, ornithologues amateurs, ont compté 45 espèces différentes en une seule matinée !

Fuego

Pour la première fois depuis le début de notre voyage, nous avons laissé les vélos de côté pour aller randonner à pied et camper pendant deux jours. Quel meilleur endroit que le volcan Acatenango pour ce changement de rythme ? Le sentier débute à 2500m d’altitude et monte jusqu’au sommet à 3976m. Si ce sentier est très fréquenté par les groupes, en planifiant bien son heure de départ et son itinéraire on se retrouve finalement facilement presque seuls dans la nature. Et quelle nature : l’ascension traverse quatre étages de végétation : champs de maïs et vergers, forêts tropicale humide, forêt des brumes et forêt de pins. Et le clou du spectacle : le sommet, avec la vue sur le volcan actif Fuego crachant à intervalle régulier des nuages de fumée noire au dessus de la mer de nuage d’où dépassent comme des îles les principaux sommets de la cordillère volcanique. Une fois la nuit tombée, le froid devient mordant et le spectacle encore plus beau, puisque la lave du Fuego, invisible dans la lumière trop forte de la journée, apparait. C’est un véritable feu d’artifice, un spectacle son et lumière où les plus grosses explosions résonnent dans la nuit pendant que les rochers incandescents jaillissent dans le ciel et roulent le long des pentes.

En Amérique centrale, c’est au final plus ou moins ce que nous imaginions : souffrir à vélo, mais découvrir la richesse naturelle et culturelle de cette région. Nous espérons seulement que les rapports avec les habitants des prochains pays soient un peu plus faciles. Les Salvadoriens et Costaricains ont la réputation d’être aussi accueillants que les mexicains : nous avons hâte de les rencontrer !

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